Le retour de la science populaire ?
29
déc.
2006
Au XIXe siècle, alors que la science se publicise à travers les expositions universelles et des collections de livres de poche ("Bibliothèque des Merveilles" d'Hachette à partir de 1864), de nombreux périodiques de vulgarisation apparaissent : Le Magasin pittoresque, Cosmos, La Science pour tous, Le Magasin d'éducation et de récréation, L'Ami des sciences, La Science populaire... soit au moins dix revues scientifiques différentes disponibles jusqu'en 1890.
Mais le point remarquable est que nombre de ces revues n'offraient pas simplement de vulgariser les savoirs de l'Académie et des savants officiels mais proposaient aux lecteurs de devenir de petits savants : c'était le programme de la "science populaire", largement promu par Camille Flammarion[1]. La science populaire, ce sont d'abord des livres-modes d'emploi : 100.000 exemplaires vendus de l'Astronomie populaire de Flammarion, 46 réimpressions de la Science amusante de Tom-Ti. Ce sont aussi des cours du soir publics et gratuits, comme les cours d'astronomie populaire donnés par Auguste Comte (lui-même !) ou par François Arago. Ce sont enfin des activités comme les explorations en ballon, l'observation du ciel et des étoiles, des expériences de science amusante... auxquelles le quidam peut prendre part. Malheureusement, le poids croissant de l'Académie des sciences (à qui les amateurs peuvent en théorie soumettre leurs travaux, mais qui ont bien du mal en pratique) et la professionnalisation de la science aura raison de ce mouvement.
Et aujourd'hui, à part l'observation naturaliste et éventuellement l'astronomie, les sciences sont trop complexes pour devenir objet de pratiques amateurs. A moins de réintroduire la science amusante, ou de s'adonner quotidiennement à la cuisine moléculaire d'Hervé This. Pourtant, elle semble ressurgir aux Etats-Unis avec la SAS, Society for Amateur Scientists. Un petit coup d'œil à son bimensuel, The Citizen Scientist, vous convaincra de la diversité des activités de ses membres, de l'étude de la fixation de l'azote par les bactéries à la détection de la radiation...
P.S. Pour en savoir plus sur l'histoire de la vulgarisation au XIXe sièce, je vous conseille fortement l'article de Bernadette Bensaude-Vincent : "Un public pour la science : l'essor de la vulgarisation au XIXe siècle"...
Notes
[1] Flammarion commença à écrire à 16 ans, alors qu'il était apprenti graveur-ciseleur, avant d'acquérir une formation scientifique sur le tas comme élève astronome à l'Observatoire de Paris.
Commentaires
C'est interessant ça... je pense qu'il y a effectivement une demande du public pour une telle forme de vulgarisation serieuse.
Matthieu > Est-ce vraiment de la vulgarisation quand les profanes s'emparent des concepts et méthodes scientifiques et les mettent en œuvre pour de bon, à leur échelle ? Difficile d'y voir de la vulgarisation, plutôt de la production de connaissances, mais "bâtarde" puisque ne participant pas directement au concert de la science (quel chercheur va fouiner dans la revue The Citizen Scientist et quelle base de donnée scientifique l'indexe ?).
hmm, c'est vrai que le terme est peut-etre mal choisi, mais je me défendrais en disant que je me placais du point du vue du lecteur, plutot que de l'expérimentateur. donc je refait ma phrase : il y a peut-être bien, effectivement, une demande du public pour ce genre de revue de "science amateur". Je n'ai pas de meilleure terme. La science par les amateurs pour les amateurs, si ca te rappelle qqchose :-)
Matthieu > Justement, notre échange innocent montre bien la difficulté du concept... Ce n'est ni de la vulgarisation dans le sens habituel de transmissions de savoirs simplifiés entre des chercheurs et des profanes, ni de la science car ne satisfaisant pas aux canons habituels (peer review, revues spécialisées, propension à aller vers le général plutôt que vers le particulier) mais de la science amateur. Pour autant, s'adresse-t-elle uniquement aux autres amateurs ? Tu as l'air de le penser, je n'en suis pas si sûr... Un chercheur ne pourrait-il pas utiliser à son avantage ces connaissances ?
j'appellerai ça de la culture, et la culture, c'est bien connu, ca fait du bien à tout le monde, scientifique comme profane ... d'autant plus qu'ils sont "amateurs" (littéralement) ...
Oh! Oh!....Vieux débat. N'oubliez pas chers scientifiques pleins de concepts que vous êtes spécialistes et que vous n'êtes que des profanes dans des spécialités autres que la vôtre. On n'est plus à la Renaissance. Et chacun à un moment donné a besoin de l'éclairage des spécialistes; et c'est là qu'on s'aperçoit que peu de spécialistes savent bien communiquer.
J'ai dans ma bibliothéque Savants et Ignorants de Daniel Raichvarg et Jean Jacques, paru en 1991 au Seuil dans la collection Science Ouverte qui m'a énormement aidé à retrouver des ouvrages de vulgarisateurs du XIX° lorsque je me balade dans les vide-greniers et les brocantes.
quand à cette définition stricte de ce qu'est la vulgarisation, elle ne me semble pas tenir, puisqu'il n'est à mon sens pas besoin d'être chercheur patenté pour pouvoir appréhender les objets de la sciences et les transmettre à ceux qui veulent bien les écouter. Ainsi en est-il du journalisme scientifique. En ce sens, je mets ca sur le même plan qu'un animateur qui organiserait un atelier d'écriture en centre aéré ou en colo, sans être lui-même auteur ou Académicien, mais qui fort de sa terminal L ou de ses lectures tard le soir, est à même d'orienter un peu son public.
finalement, au terme de culture que je proposais tout à l'heure, je substituerais plutot celui d'éducation, dont le champs est bien plus vaste que celui de vulgarisation et qu'elle se déroule dans le cadre institutionnel de l'école, ou par blog/club/colo d'amateurs...
PAk > Quand je parle de "transmissions de savoirs simplifiés entre des chercheurs et des profanes", ce n'est pas nécessairement d'un chercheur à un public profane directement, mais cela peut effectivement passer par un médiateur (qu'il soit animateur, journaliste, amateur etc.) : le savoir transmis provient toujours d'un chercheur à l'origine... De la même façon que les savoirs transmis par l'animateur d'atelier d'écriture, même amateur, sont des savoirs codifiés (figures de style, rhétorique, etc.). Par contre, il y a une part plus subjective (ou "moins académique") qui est transmise par l'animateur d'atelier d'écriture, et sans doute à cette part-là que s'apparente la culture scientifique : c'est tout ce qui fait que l'on peut s'engueuler à propos de science, faire de la critique de science (pour reprendre l'expression de J.-M. Lévy-Leblond) Mais nous voilà bien loin de notre science amateur, toujours insaisissable pour moi.
Jean-Pierre > En effet, ce livre de Daniel Raichvarg comme d'autres (je pense à celui sur La vulgarisation scientifique chez Gallimard Découvertes) sont recommandés !
La science amateur n'a parfois rien à envier à la recherche pro. Un exemple : l'aquariologie récifale. Jusque dans les années 80, la maintenance en aquarium des coraux était mal maitrisée (notamment cycles de l'azote, du calcium, des phosphates). Aujourd'hui il existe deux méthodes éprouvées : l'une développée à l'aquarium de monaco (système Jaubert, du nom du scientifique qui l'a mise au point), l'autre dite berlinoise ... car issue d'un club d'amateurs berlinois. Les deux fonctionnent et la dichotomie s'éfface maintenant par emprunts mutuels. On a plusieurs exemples de labos ayant embauché des amateurs éclairés lorsqu'ils devaient élever en aquarium une bestiole délicate (poissons, ascidies, éponges).