La science, la cité

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Mot-clé : médecine

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Consignes de sécurité et politique de santé

Alors que je volais en direction d'Édimbourg, le message d'extinction des appareils électroniques lors de l'atterrissage et du décollage a fait naître quelques réflexions. Il est évident qu'un téléphone portable que son propriétaire aurait oublié d'éteindre ne causerait pas pour autant la chute de l'appareil, ou nous aurions à déplorer bien plus d'accidents aériens qu'il y en a actuellement[1]. Ce message est donc plutôt destiné à éviter que l'ensemble des passagers de l'avion laisse leur téléphone et ordinateur allumés, ce qui occasionnerait un rayonnement électromagnétique bien plus important et susceptible sans doute de perturber les instruments de bord.

Ainsi, un message destiné à tous ("Merci d'éteindre vos appareils électroniques") peut être ignoré par une minorité, mais pas au-delà. Or en ne l'explicitant pas, en laissant croire que c'est le moindre appareil qui doit être éteint, on s'expose à la situation suivante : un passager qui n'éteindrait pas son appareil et constaterait que ça ne fait aucune différence sera tenté de répéter l'exercice et, d'effet d'aubaine en effet d'aubaine, tout un vol pourrait désobéir à la consigne. Problème. À l'inverse, si on explique clairement que l'avion ne peut supporter qu'une minorité d'appareils allumés mais qu'on demande un effort collectif, les individus téméraires seraient refroidis.

Ce mécanisme, c'est le même qui régit les politiques de vaccination. Si la vaccination est obligatoire pour tous, la collectivité peut en réalité supporter quelques individus isolés qui refusent le vaccin, ces "free riders" ne compromettant pas l'immunité de groupe. Ils en profiteraient même, constatant alors que la vaccination n'est pas obligatoire (pour eux) et ouvrant une brèche redoutable. Si les campagnes de vaccination expliquaient par contre que la vaccination n'est normalement obligatoire que pour 85 % de la population mais que la responsabilité collective impose que chacun soit vacciné, ce comportement individualiste serait diminué ou au moins responsabilisé.

Moralités :

  • les vols en avion inspirent des réflexions sur le fonctionnement de nos sociétés
  • une bonne politique de santé/sécurité est une politique qui va dans les détails et explicite le poids respectif de l'individu et du collectif, quitte à sacrifier sa brièveté.

Notes

[1] J'en veux pour preuve deux personnes qui discutaient devant moi dans la queue pour l'embarquement, l'un disant à l'autre que le mode "Avion" de l'iPhone dispense d'éteindre l'appareil au décollage, l'autre lui rétorquant le contraire — combien de passager oublient ou se dispensent ainsi de suivre la consigne d'extinction ?

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Histoire de blogs : les débats bioéthiques

Ce mois-ci dans ma chronique blogs sur la Radio suisse romande, les questions de bioéthique.

La bioéthique fait l'objet de débats car elle ne s'arrête pas à  ce que dit ou fait la science mais l'interroge. Elle confronte les points de vue, chacun pouvant apporter sa pierre à  l'édifice en fonction de son vécu, ses convictions ou sa religion, et fournit un échange permettant d'aller au fond des choses et au-delà  des apparences. Le but final ? Construire un monde dans lequel nous pouvons tous vivre ! C'est notamment pour toutes ces raisons que la France a lancé récemment les états généraux de la bioéthique, prélude à  la révision d'ici 2011 de sa loi de bioéthique datant de 2004 et déjà  dépassée.

Cette réflexion sur la bioéthique est vaste est vaste mais on en trouve quelques éléments sur les blogs. Regardons d'abord du côté du blog créé par la Conférence des évêques de France (une grande première !), qui devrait couvrir à  terme tous les thèmes des états généraux, des recherches sur l'embryon à  la maternité pour autrui en passant par le diagnostic prénatal et l'assistance médicale à  la procréation. C'est un blog très vivant, avec de longs commentaires auxquel les auteurs du blog prennent la peine de répondre. Exemple, ce billet sur la maternité pour autrui écrit par le doyen de la faculté de théologie de Lyon, également membre du Comité consultatif national d'éthique. Xavier Lacroix s'y oppose à  l'assistance médicale à  la procréation pour les personnes célibataires et les couples homosexuels, ainsi qu'aux mères porteuses, soit une opinion très tranchée et nettement argumentée. Mais les commentaires n'offrent pas moins une belle palette d'opinions variées et de témoignages, entre le chercheur qui raconte les premiers stades du zygote mû par un "souffle de vie", le citoyen qui se penche sur la notion de "famille" ou deux jeunes femmes qui racontent leur impossibilité physique de porter un enfant à  terme mais se divisent sur le recours à  la gestation pour autrui ou non.

La réflexion bioéthique ne connaît pas de frontières et les blogueurs expatriés, comme Tom Roud qui est aux Etats-Unis, peuvent nous éclairer sur nos débats nationaux. Ce mois-ci, il commentait la décision de Barack Obama d'autoriser à  nouveau la recherche sur les cellules souches en ressortant le discours de Bush de 2001 qui avait mis ces recherches entre parenthèses ! Sa conclusion, c'est que la conclusion que la doctrine Bush s'appuyait à  la fois sur une argumentation politicienne habile et sur une foi religieuse assumée et revendiquée. Dans les commentaires, la discussion tourne essentiellement autour du statut de l'embryon : être humain, être en puissance ou simple forme biologique vivante. Nuances absentes du discours de Bush, qui profite de certaines approximations pour construire son argumentation.

Et puis je voudrais mentionner pour finir le blog de Samia Hurst, médecin et bioéthicienne, qui travaille à  l'Institut d'éthique biomédicale de Genève. Elle y publie abondamment sur de nombreux sujets, depuis les récentes déclarations du pape sur le préservatif en Afrique jusqu'à  la situation du don d'organe en Suisse. Par rapport à  ses voisins, celle-ci connaît une pénurie d'organes nettement plus importante. Dans le détail, elle s'en sort mieux pour les dons de son vivant (par exemple un rein à  un proche) que pour les dons posthumes, la faute à  une campagne d'information du public peut-être un peu trop molle et à  l'organisation de la profession insuffisamment volontariste

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Journalisme scientifique et grands médias

Ce texte est la traduction autorisée d'un billet paru sur le blog de John Hawks (professeur d'anthropologie à  l'Université du Wisconsin-Madison), que je remercie. Son point de vue m'a semblé intéressant et j'espère qu'il suscitera des discussions !

La médiatrice sortante du Washington Post, Deborah Howell, a signé un éditorial sur le journalisme scientifique. Elle y répond aux réactions des lecteurs et professionnels suite à  la publication d'un article d'envergure en novembre, lequel rapportait que les statines pourraient réduire de 44% l'incidence des crises cardiaques, même chez les personnes sans antécédents de maladie cardiaque ou accident vasculaire cérébral.

Le problème fondamental, souligné notamment par l'ancien directeur des NIH Harold Varmus, est qu'une réduction de 44% d'une valeur très faible (1,36%) n'est pas grand chose. Pour dire les choses différemment, près de 97% des personnes utilisant le médicament ne verraient aucune différence.

Howell se concentre essentiellement sur le manque de transparence des financements privés derrière les études cliniques — un vrai problème, mais qui dissimule souvent une volonté de supplanter l'argent de l'industrie par les subventions publiques. (Après tout, pourquoi pas les deux ?)

Mais dans un passage beaucoup plus intéressant, elle cite le chef de la rubrique "Science" du Washington Post, à  qui revient l'ultime décision sur quoi publier et à  quelle place :

Nils Bruzelius, le chef de la rubrique "Science" du Washington Post, explique : J'ai pensé que l'article et sa place en couverture étaient justifiés parce que son impact potentiel était significatif, bien que je comprenne les critiques. Il y a une tension inévitable entre le désir des journalistes et rédacteurs de bien placer leurs histoires et le besoin d'éviter la mode et la surenchère, et nous ressentons cela très fortement avec les histoires scientifiques ou médicales, car les avancées, même celles qui se révèlent faire partie de quelque chose de très gros, viennent généralement par étapes incrémentales. J'ai longtemps cru que les histoires scientifiques et médicales ont un certain désavantage dans cette compétition. Je n'ai sûrement aucune preuve mais je soupçonne la plupart des rédacteurs de haut rang qui décident de ce qui va en couverture d'être moins attirés vers ces sujets que le lecteur moyen car, à  quelques exceptions près, ils sont un groupe auto-sélectionné qui est arrivé là  où il est à  la force de sa familiarité avec des sujets tels que la politique, les relations internationales, la guerre et sécurité nationale — et non la science.

Voilà  une affirmation qui en dit long. Je ne crois pas que la science soit unique de ce point de vue, malgré tout — après tout, la plupart des processus politiques sont incrémentaux, et impliquent bien plus de sujets obscurs comme la procédure parlementaire, la comptabilité du budget et les officiels dans les arcanes. Un article sur la réforme du système de soins doit décrire toutes ces choses de la même façon qu'une histoire sur la génomique personnelle. S'il y a une différence, elle tient à  ce que les sujets scientifiques reçoivent largement moins d'attention, si bien qu'il y a peu de gens qui suivent les étapes incrémentales. Cela signifie que chacune des histoires peu fréquente doit contenir toujours le même matériau de fond ou bien être très superficielle. A l'autre extrême se trouve le journalisme sportif — pour lequel de nouveaux résultats tombent constamment et dont la plupart des lecteurs connaissent les équipes principales, les joueurs et les règles du jeu.

Le problème réel n'est donc pas la nature du sujet, c'est la nature des chefs de rubrique — voir la dernière partie de la citation de Bruzelius. Ils comprennent la politique. Ils ne comprennent pas la science. N'ont aucune formation en la matière. Sentent difficilement ce qui est réaliste et ce qui est fantaisiste. Et contrairement à  la politique — pour laquelle peu de journalistes ont peur d'éditorialiser — il y a peu de tentative de tenir une posture éditoriale cohérente.

(via Bora Zivkovic, "A blog around the clock")

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La médecine scientifique selon "Grey's Anatomy"

Depuis quatre saisons, la série américaine "Grey's Anatomy" dissèque pour nous le monde de la médecine, encore mieux que ne l'avaient fait d'autres séries antérieures. Problèmes sentimentaux à  l'hôpital, difficultés relationnelles, attachement trop fort à  un patient conduisant à  enfreindre les codes d'éthique de la profession (l'histoire entre Izzie Stevens / Denis Duquette) mais aussi la voix off qui ouvre et referme chaque épisode sont là  pour nous rappeler que la médecine est une activité avant tout humaine et qu'elle est le paroxysme du théâtre de la vie (et de la mort).

Mais la 5e saison diffusée actuellement aux Etats-Unis a introduit un personnage détonnant dans ce paysage : le Dr. Virginia Dixon, interprété par Mary McDonnell… déjà  aperçue dans la série "Urgences" ! Le Dr. Dixon, contrairement à  ses acolytes, ne fait preuve d'aucune empathie et n'a aucun sens des relations sociales. Comme le veut la mode, les scénaristes l'ont affublé du syndrome d'Asperger, ceci expliquant cela. Mais, dans l'épisode 10 diffusé le 4 décembre dernier, elle révèle tout autre chose et sa fonction apparaît enfin.

Attention spoiler

Alors qu'une jeune patiente de 16 ans meurt devant ses yeux, le Dr. Dixon se réjouit de disposer ainsi d'une donneuse d'organes en bonne santé et s'étonne que la décision soit difficile à  prendre pour les parents de la jeune fille. Pour elle l'équation est simple, et elle ne peut se résoudre à  faire entrer les sentiments dans la balance.

Fin spoiler

Ce personnage, qui n'est pas plus "scientifique" que ses collègues (pensons par exemple au Dr. Shepherd et ses essais cliniques publiés dans une revue académique), est incontestablement moins humain. Le téléspectateur réalise alors en creux que l'exercice de la médecine est autant un art qu'une science ou une technique, autant une activité contingente et subjective que l'application stricte de méthodes dont l'efficacité a été rigoureusement démontrée. Cela semble évident ? Et pourtant ! Pendant que la communauté médicale s'écharpe autour de l'evidence-based medicine (EBM) anglo-saxonne, c'est-à -dire la médecine basée sur les preuves, le patient est ravalé au rang d'une unité statistique plutôt que d'un individu singulier. Pour les partisans de l'EBM, la statistique des essais cliniques randomisés et des méta-analyses fait force de loi et peut importe la cohorte minoritaire, seule compte le résultat de la cohorte majoritaire. Les cas isolés ou allant à  l'encontre du courant actuel sont redéfinis en anecdotes, en artefacts ou paradoxes. On imagine très bien tout cela sortir de la tête du Dr. Dixon.

Mais on voit aussi dans cet épisode de "Grey's Anatomy" que la médecine traite des humains et que la formation des futurs soignants doit intégrer la dimension sociale de la pratique médicale, à  l'instar de ces cours d'humanités donnés par des philosophes, éthiciens, historiens et sociologues dont Anne Rasmussen défend à  juste titre la raison d'être dans le numéro de décembre de La Recherche (p. 90). Comme l'explique dans Le Matin le rédacteur en chef de la Revue médicale suisse :

La médecine moderne est très technique, de plus en plus cloisonnée, il est donc important que les étudiants apprennent à  la relier à  la narration subjective que le patient fait de sa maladie. La littérature favorise cette approche du sens, d'autant plus précieuse que le patient attend beaucoup du médecin. Souvent, il projette sur lui des pouvoirs exagérés. Le médecin doit avoir conscience de cette image de « gourou », de son rôle devenu encore plus complexe avec l'effondrement des croyances traditionnelles.

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Nouvelles du front (8)

Dernière livraison de l'année pour ces nouvelles du front à  parution irrégulière, qui avaient commencé en janvier. Que la formule vous plaise ou non, vous êtes invités à  le dire en commentaire. Mais je continuerai en 2008 de toutes façons, car à  moi elle me plaît :-p !!

Malgré ce que j'espérais en février, aucun Français n'a remporté le prix Descartes pour la communication scientifique cette année. Nous avons donc probablement encore beaucoup de travail et une bonne marge de progression, mais félicitations à  tous les gagnants !

Dans Le Monde du 20 septembre, Valérie Pécresse donnait sa vision de la science sous le titre "Avec la science, inventons l'avenir !". Certains ont été surpris de trouver, derrière un titre aussi bateau, un discours humaniste digne d'intérêt. Mais comme l'ont fait remarquer Eric Gall et Jacques Testard dans le même journal quelques jours plus tard, une fois le constat posé que la science est en crise et cette crise ne sera surmontée que si les scientifiques s'ouvrent à  la société, il est naïf d’affirmer, comme le fait la ministre de la Recherche, que les défis sanitaires et environnementaux auxquels nous sommes confrontés « resteront insurmontables si notre société ne renoue pas avec la confiance qu’elle accorde traditionnellement à  ses scientifiques (car) c’est d’eux que viendront les réponses que nous attendons aujourd’hui ». Ce texte de la ministre fit aussi beaucoup rire lors du colloque "Sciences en société" à  Strasbourg (voir la toute fin de cette intervention).

Elsevier, fameux éditeur de revues scientifiques, a ouvert en septembre un site spécialisé sur le cancer financé par la publicité. OncologySTAT vise les cancérologues en leur apportant toute l’information sur leur discipline, et l’accès gratuit aux publications de Elsevier (et aux autres, si elles sont aussi d’accès gratuit). Ils espèrent avoir 150.000 utilisateurs enregistrés en un an (dont l'annuaire pourra être vendu à  des tiers) et attirer des annonceurs spécialisés comme les entreprises pharmaceutiques. Hervé le Crosnier se demande : La science peut-elle y gagner quelque chose ?

Le New York Times a recensé l'opinion des candidats aux primaires américaines sur le réchauffement climatique. Certains candidats républicains ne sont pas piqués des vers (descendre en bas de la page)…

La source du financement d'une recherche et les déclarations d'intérêts des chercheurs se banalisent dans les revues scientifiques. Mais que se passe-t-il quand un article est repris par la presse généraliste ? Des chercheurs ont enquêté sur 1152 articles sur la science parus aux Etats-Unis en 2004 et 2005 dans des journaux généralistes. 38% d'entre eux mentionnaient l'origine du financement (qu'elle soit publique ou privée) et 11% les intérêts financiers des chercheurs (brevets, participation à  un conseil d'administration, poste de consultant), avec mention du nom du chercheur impliqué dans presque la moitié des cas. En regardant uniquement les articles de presse qui ne disaient rien, les chercheurs ont trouvé que dans 27% des cas l'information était disponible dans l'article scientifique original et n'a pas été reprise par le journaliste. On aimerait la même étude en Europe mais sur cette base seule, des progrès sont largement souhaitables…

J'ai déjà  mentionné James Hartley, dont les travaux portent sur l'écriture scientifique et ses codes. Si vous voulez l'aider, vous pouvez remplir ce questionnaire en ligne (qui vous prendra une dizaine de minutes) sur la lisibilité des abrégés (abstracts) d'articles scientifiques.

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