Consignes de sécurité et politique de santé
16
nov.
2009
Alors que je volais en direction d'Édimbourg, le message d'extinction des appareils électroniques lors de l'atterrissage et du décollage a fait naître quelques réflexions. Il est évident qu'un téléphone portable que son propriétaire aurait oublié d'éteindre ne causerait pas pour autant la chute de l'appareil, ou nous aurions à déplorer bien plus d'accidents aériens qu'il y en a actuellement[1]. Ce message est donc plutôt destiné à éviter que l'ensemble des passagers de l'avion laisse leur téléphone et ordinateur allumés, ce qui occasionnerait un rayonnement électromagnétique bien plus important et susceptible sans doute de perturber les instruments de bord.
Ainsi, un message destiné à tous ("Merci d'éteindre vos appareils électroniques") peut être ignoré par une minorité, mais pas au-delà. Or en ne l'explicitant pas, en laissant croire que c'est le moindre appareil qui doit être éteint, on s'expose à la situation suivante : un passager qui n'éteindrait pas son appareil et constaterait que ça ne fait aucune différence sera tenté de répéter l'exercice et, d'effet d'aubaine en effet d'aubaine, tout un vol pourrait désobéir à la consigne. Problème. À l'inverse, si on explique clairement que l'avion ne peut supporter qu'une minorité d'appareils allumés mais qu'on demande un effort collectif, les individus téméraires seraient refroidis.
Ce mécanisme, c'est le même qui régit les politiques de vaccination. Si la vaccination est obligatoire pour tous, la collectivité peut en réalité supporter quelques individus isolés qui refusent le vaccin, ces "free riders" ne compromettant pas l'immunité de groupe. Ils en profiteraient même, constatant alors que la vaccination n'est pas obligatoire (pour eux) et ouvrant une brèche redoutable. Si les campagnes de vaccination expliquaient par contre que la vaccination n'est normalement obligatoire que pour 85 % de la population mais que la responsabilité collective impose que chacun soit vacciné, ce comportement individualiste serait diminué ou au moins responsabilisé.
Moralités :
- les vols en avion inspirent des réflexions sur le fonctionnement de nos sociétés
- une bonne politique de santé/sécurité est une politique qui va dans les détails et explicite le poids respectif de l'individu et du collectif, quitte à sacrifier sa brièveté.
Notes
[1] J'en veux pour preuve deux personnes qui discutaient devant moi dans la queue pour l'embarquement, l'un disant à l'autre que le mode "Avion" de l'iPhone dispense d'éteindre l'appareil au décollage, l'autre lui rétorquant le contraire combien de passager oublient ou se dispensent ainsi de suivre la consigne d'extinction ?
Commentaires
Le message d'extinction des appareils électroniques (jeu, baladeurs, mp3 etc) est également destiné à éviter la dispersion de l'attention des passager et à avoir donc toute leur attention captée par les consignes de sécurité, l'attachement des ceintures et à se tenir prêt à réagir (et écouter les consignes) en cas de problème à l'atterrissage et au décollage (moments où ont lieu la majorité des accidents d'avion, il me semble, mais je n'ai pas les chiffres). Source : discussions personelles avec des chefs de cabine (oui, j'AIME discuter avec les pros sur leur métier et la communication qu'ils en font auprès du grand public (est-ce qu'ils disent tout, comment ils adaptent, etc). Mais à vérifier pour généraliser.
@elifsu : Je l'ignorais, et je pense que je ne suis pas le seul… merci ! :-)
Ton affirmation "À l'inverse, si on explique clairement que l'avion ne peut supporter qu'une minorité d'appareils allumés mais qu'on demande un effort collectif, les individus téméraires seraient refroidis" me parait tout à fait discutable. Voir avec les psychologues des foules, ou sociologie des comportements collectifs, faire des expériences pour voir si c'est aussi évident que les gens ne vont pas se dire, à l'inverse "le système tolère quelques % de non-suivi des consignes (et écouter tranquillement son baladeur ou jouer à son jeu), donc ça va être moi qui vais en profiter". Ca s'appelle de l'égoisme et mes observations personnelles tendent plutôt à me montrer l'immense généralité du sentiment.
Comme dans une classe qui ne peut tolérer que quelques bavadarges (mais si tout le monde s'y met, ça devient infernal) et où l'élève (bavard) a tendance à penser que tant que tout le monde ne bavarde pas, lui peut tranquillement continuer...
Donc l'égoisme existe massivement, la question c'est comment il se négocie avec la tendance à suivre les consignes de sécurité (et les consigns en général, les gens sont quand meme plutot obéissants), ce qui va forcément dépendre des types d'individus présents dans ton vol (les expériences ne donneront que des comportements-types statistiques)
"la vaccination n'est normalement obligatoire que pour 85 % de la population"
Je ne sais pas d'où tu sors ce chiffre unique, mais le % de vaccination nécessaire pour obtenir une "herd-immunity" ou "community-immunity" (immunité de groupe) dépend de (1) l'agent pathogène (et plus précisément de sa virulence et de sa transmissibilité) et (2) de l'efficacité du vaccin, et enfin (3) des types de contacts dans la population (forte densité avec bcp de contacts etc).
Il faut aussi se rappeller que ce sont les modèles mathématiques qui déterminent ce seuil de vaccination et que le % de la population non vaccinée devrait en principe être les gens qu'on ne peut pas vacciner (maladies auto-immunes, impossibilité d'y accéder, etc) et non ceux qui (par idéologie ou confort) refusent la vaccination...et compromettent ainsi l'efficacité globale de la vaccination (sur la communauté).
Le pourquoi-il-faut-éteindre-les-appareils-électroniques-au-décollage-et-à-l'aterrissage devrait être étudié plus en détail, je vous invite tous à (1) fouiller le web et (2) interviewer tous les chefs de cabine (et pilotes, si possible) que vous croisez dans la limite de leur gentillesse, patience et capacité à communiquer sur leurs pratiques ! Et on met tout en commun ici même !
Merci pour la discussion !
Si on part sur l'hypothèse d'un comportement individuel égoïste, la stratégie "on dit tout" aurait au moins comme effet de responsabiliser les effets d'aubaine comme je le dis dans mon 3e paragraphe. Ceci dit, je connais un moins une personne non favorable aux vaccins qui, ayant fait des études scientifiques et connaissant l'immunité de groupe, est capable de passer du raisonnement individuel au raisonnement collectif et de se soumettre quand même à la vaccination.
Mon chiffre de 85 % est tiré de l'article Wikipédia et s'applique au cas de la variole.
Selon une amie qui a commenté sur Facebook, qui le tient d'un ami pilote,
.La classe, le copain qui fait passer le bien de la communauté devant le sien propre. Par contre je suis pour le moins surprise de l'idée de pouvoir être "non favorables aux vaccins", surtout quand tu as fait des études scientifiques !! Ah, là, vraiment, c'et épatant. Il y a tant de vaccins différents, que d'avoir une position commune vis-à-vis de l'ensemble me parait très osé intellectuellement. Ca dépend, du côté du pathogène, de son danger réel (prévalence, virulence, transmissibilité), et du côté du vaccin (préparé avec quelle(s) souches, attenué ou mort, recombinant ou pas, avec adjuvant ou pas, etc), au moins.
D'ailleurs j'ai du mal à comprendre s'il n'est pas favorables aux vaccins, pourquoi finalement il le fait ?? S'il trouve que cest dangeureux ou inutile, dans ces 2 cas, au moins, il ne devrait pas le faire, au moins par accord...avec lui-même ;-)
Pour les seuils de vaccination au-delà duquel on a mise en place d'une immunité de groupe suffisante (ne permettant donc plus la transmission efficace du pathogène dans la population), faire attention à ne pas prendre le cas d'une maladie très particulière (la variole) comme règle générale. A ce titre, la page "Herd_immunity" de wikipedia semble assez complète (mais je n'ai pas vérifié en détail tout ce qui y est dit).
@elifsu : Et l'impératif catégorique de Kant alors ?
@elifsu : Le cas de la variole m'a servi à donner un ordre de grandeur mais je peux rajouter un addendum dans le billet si ça fait plaisir à ta rigueur !
Merci d'avoir ajoute les accents en plus ! C'est mieux avec :]
Cela inspire des réflexions sur la vie en général, si à chaque fois nous laissons une partie des gens faire, cela encouragera toujours les autres à faire la même.
Salut,
D'un point de vue psychosocial, je ne pense pas que ton argument tienne. Cela mériterait évidemment d'être expérimenté, mais je pense que le plus probable, si tu expliques clairement qu'une minorité d'appareils peuvent rester allumés, ce serait une sorte d'apathie de groupe, les individus pensant que la plupart des gens ont probablement éteint leurs téléphones, et que du coup, c'est OK si le leur reste allumé. Il est récurrent en psychologie sociale de voir à quel point l'humain se trompe quand il fait des hypothèses sur autrui (voir, par exemple, la notion de pluralistic ignorance ou ce qui se nomme the curse of knowledge).
De même, à moins de lui attribuer une certaine malveillance, je pense que la réaction typique d'une personne ayant omis d'éteindre son téléphone serait plus probablement de se dire qu'elle a eu de la chance, et qu'il ne faudrait pas tenter le diable une deuxième fois.
@Fab : Merci pour cet éclairage. Une autre idée alors : divulger la mécanique des consignes ne fournit-il pas à chacun un "rationale" pour raisonner son comportement et aller au-delà de l'égoïsme spontané ? Comme dans cet exemple du scientifique qui est contre le vaccin à titre individuel mais s'y soumet car il comprend ce qui est en jeu…
Pour toute ces questions sans réponses Enro... LA source que tout le monde se doit de vérifier : Mythbusters (Discovery Channel). Certes ils ont des difficultés avec le concept de témoin et de répétabilité, mais ils sont excusés par les explosions qui émaillent régulièrement l'émission! En tout cas, c'est un des mythes testés dans de l'épisode 49 : l'avionique moderne semble correctement blindée contre ce genre de perturbations. J'ajouterais que maintenant certaines compagnies proposent du WiFi en vol, ce qui est une preuve supplémentaire de l'innocuité de cette gamme de fréquences !
Merci Fab d'abonder dans mon sens contre l'argument qui voudrait que si on dit aux gens que seuls quelques appareils peuvent rester allumés, alors ils vont éteindre le leur ! Je n'avais aucune donnée psycho mais sentais bien qu'il fallait chercher par là ..et faire des manips, bien sûr ! Se méfier du sens commun (et de ce qu'on pense que les gens pensent)
Je ne sais pas. C'est un argument rationnel que tu apportes là, mais je ne suis pas sûr qu'il soit très plausible en réalité. Tout comme je ne suis pas sûr que ce soit l'égoïsme (dans un sens relativement négatif) qui guide la plupart des comportements.
Tu connais les travaux de Johnson et Goldstein (2003) sur le don d'organe ? Ce qu'il mettent en évidence, c'est que nous autres humains, nous sommes une grosse bande de fainéants.
Prendre une décision, ou émettre un comportement est souvent coûteux, et généralement, nous choisissons l'option de ne rien faire. Dans le cas de Johnson et Goldstein, le comportement de cocher une case pour exprimer notre accord ou désaccord avec le don d'organe apparaît extrêmement coûteux, et nous finissons par céder à l'option par défaut (d'ailleurs, cela ne vous rappelle-t-il pas une récente modification concernant la redevance audiovisuelle ?).
Evidemment, les enjeux liés à la prise de décision ou au comportement, ainsi que la multiplicité des options (rendant plus difficile de faire un choix) jouent un rôle prépondérant sur le comportement, mais je pense que dans le cas présent, donner l'information risquerait de donner l'impression que les risques encourus sont minimes, et que l'extinction des appareils électroniques est quelque chose de coûteux. Mais encore une fois, c'est mon hypothèse, et elle mériterait d'être testée.
Si je puis me permettre d'apporter un témoignage, je dirai ceci: les consignes d'extinction des appareils électroniques sont également valables à l'hôpital, mais je doute que quiconque les respecte. En effet, ce n'est pas notre vie qui est en jeu, mais uniquement (et encore) celle des malades. Donc, et d'accord avec Fab, le respect des consignes en avion vient de la crainte sacrée de l'écrasement de l'appareil, et ma phobie est telle qui si l'on me demandais de suspendre ma respiration je le ferais.
Pour répondre à Anthropopotame, le respect des consignes en avion est franchement quelque chose qui se perd (depuis environ 2 ans, d'après mon expérience personnelle). Quand avant on pouvait voir un teenager rebelle refuser d'éteindre son portable pour braver la mort et ses parents, je croise désormais de plus en plus de trouducs hommes d'affaires ou autres décérébrés qui pensent que leur liberté de jouer au démineur ou d'envoyer dess textos n'a pas à s'embarrasser du respect des règles, jouer ostensiblement avec leur substitut pénien même pendant l'atterrissage ou le décollage.