La science, la cité

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Nouvelles du front (8)

Dernière livraison de l'année pour ces nouvelles du front à  parution irrégulière, qui avaient commencé en janvier. Que la formule vous plaise ou non, vous êtes invités à  le dire en commentaire. Mais je continuerai en 2008 de toutes façons, car à  moi elle me plaît :-p !!

Malgré ce que j'espérais en février, aucun Français n'a remporté le prix Descartes pour la communication scientifique cette année. Nous avons donc probablement encore beaucoup de travail et une bonne marge de progression, mais félicitations à  tous les gagnants !

Dans Le Monde du 20 septembre, Valérie Pécresse donnait sa vision de la science sous le titre "Avec la science, inventons l'avenir !". Certains ont été surpris de trouver, derrière un titre aussi bateau, un discours humaniste digne d'intérêt. Mais comme l'ont fait remarquer Eric Gall et Jacques Testard dans le même journal quelques jours plus tard, une fois le constat posé que la science est en crise et cette crise ne sera surmontée que si les scientifiques s'ouvrent à  la société, il est naïf d’affirmer, comme le fait la ministre de la Recherche, que les défis sanitaires et environnementaux auxquels nous sommes confrontés « resteront insurmontables si notre société ne renoue pas avec la confiance qu’elle accorde traditionnellement à  ses scientifiques (car) c’est d’eux que viendront les réponses que nous attendons aujourd’hui ». Ce texte de la ministre fit aussi beaucoup rire lors du colloque "Sciences en société" à  Strasbourg (voir la toute fin de cette intervention).

Elsevier, fameux éditeur de revues scientifiques, a ouvert en septembre un site spécialisé sur le cancer financé par la publicité. OncologySTAT vise les cancérologues en leur apportant toute l’information sur leur discipline, et l’accès gratuit aux publications de Elsevier (et aux autres, si elles sont aussi d’accès gratuit). Ils espèrent avoir 150.000 utilisateurs enregistrés en un an (dont l'annuaire pourra être vendu à  des tiers) et attirer des annonceurs spécialisés comme les entreprises pharmaceutiques. Hervé le Crosnier se demande : La science peut-elle y gagner quelque chose ?

Le New York Times a recensé l'opinion des candidats aux primaires américaines sur le réchauffement climatique. Certains candidats républicains ne sont pas piqués des vers (descendre en bas de la page)…

La source du financement d'une recherche et les déclarations d'intérêts des chercheurs se banalisent dans les revues scientifiques. Mais que se passe-t-il quand un article est repris par la presse généraliste ? Des chercheurs ont enquêté sur 1152 articles sur la science parus aux Etats-Unis en 2004 et 2005 dans des journaux généralistes. 38% d'entre eux mentionnaient l'origine du financement (qu'elle soit publique ou privée) et 11% les intérêts financiers des chercheurs (brevets, participation à  un conseil d'administration, poste de consultant), avec mention du nom du chercheur impliqué dans presque la moitié des cas. En regardant uniquement les articles de presse qui ne disaient rien, les chercheurs ont trouvé que dans 27% des cas l'information était disponible dans l'article scientifique original et n'a pas été reprise par le journaliste. On aimerait la même étude en Europe mais sur cette base seule, des progrès sont largement souhaitables…

J'ai déjà  mentionné James Hartley, dont les travaux portent sur l'écriture scientifique et ses codes. Si vous voulez l'aider, vous pouvez remplir ce questionnaire en ligne (qui vous prendra une dizaine de minutes) sur la lisibilité des abrégés (abstracts) d'articles scientifiques.

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Chacun à  sa place

L'ordre des auteurs qui signent un article scientifique, ou même la décision de qui doit apparaître comme auteur, est un enjeu loin d'être anodin : il en va de l'éthique du chercheur (tous les signataires sont censés endosser la responsabilité de l'article), de la garantie contre la fraude (dans l'affaire Hwang, un co-auteur n'était qu'un faire-valoir ; dans certains domaines en vue, les prête-noms sont communs) ou simplement du pragmatisme le plus déconcertant (quand on est dix à  avoir travaillé sur un sujet, comment savoir qui mettre en premier, puis en deuxième, en troisième etc. ?). Le sujet ressortait la semaine dernière dans la revue Nature, sous la plume de deux lecteurs.

Le premier contestait une proposition de ce même journal de faire signer à  l'auteur principal, pour chaque article, une déclaration qui engage sa responsabilité et celle des co-auteurs dont il certifie qu'ils ont relu l'article et sont en accord avec lui. Ce qui n'est pas nécessaire si la signature de l'article lui-même est suffisamment réfléchie et qu'elle est par exemple accompagnée d'une note sur la contribution exacte de chaque auteur. Cette pratique de plus en plus courante, adoptée par les plus grandes revues, permet en effet de trier entre les auteurs de prestige et ceux qui ont réellement travaillé.

Décrire la contribution de chacun n'est pas toujours aisée. Mais la quantifier et la pondérer au vu du résultat final l'est encore moins ! C'est pourtant ce que proposaient Christine Beveridge et Suzanne Morris : dans leur labo, l'ordre des auteurs se détermine désormais en fonction du poids attribué à  la contribution de chacun (deux graphiques pour Dr. X, un chapitre pour le thésard Y, la relecture pour le Pr. Z). Je me suis laissé dire qu'il n'y a rien de plus difficile que de mettre en regard l'écriture d'un chapitre avec un travail de manip aboutissant à  une figure, une idée originale ou l'apport d'un financement. Par contre, il peut être bénéfique de confier chaque article à  un chercheur, qui va distribuer les tâches puis les bons ou mauvais points. Un principe de gouvernance efficace, en quelque sorte. C'est en tous cas l'avis d'Umesh Chandra Lavania (qui est "végétaliste" comme le sont Beveridge et Morris, est-ce un hasard ?), qui surenchérissait ainsi dans Nature.

Voilà  donc où les chercheurs en sont de leurs réflexions, je ne sais pas ce que vous en pensez…

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Une association dénonce les manquements d'une université

J'ai déjà  souligné ici les contributions importantes des groupes de vigilance (watchdogs) pour la transparence et l'éthique dans la recherche. C'est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de dénoncer des collusions d'intérêts, des pressions inavouables ou des manquements à  l'éthique.

Il y a un peu de tout cela dans l'affaire de l'université A&M du Texas, comme le raconte le magazine Scientific American dans son numéro d'août. Tout commence en février 2006 quand une étudiante mal équipée nettoie un laboratoire de niveau P3. Le laboratoire travaille sur la brucellose et elle attrape cette maladie mortelle, classée comme arme biologique potentielle par le gouvernement américain. L'étudiante tient alors le lit pendant plusieurs semaines, ignorant la raison de ses fièvres. Quand son docteur diagnostique la brucellose deux mois plus tard, elle en informe l'université, qui garde le silence (alors qu'elle est censée en informer le CDC) et attend un an avant de rendre compte de l'incident... sous la pression du Sunshine Project, une association de chiens de garde sur les armes biologiques. Celui-ci avait menacé l'université de tout dire si elle ne le faisait pas elle-même, et la poursuit maintenant devant la justice : l'université risque une amende de 500 000 $ et jusqu'à  250 000 $ par personne qui aurait tu l'incident.

Le même article nous apprend que ces contaminations, bien que rares, ne sont pas inexistantes. Espérons que l'exemple ci-dessus inspirera les autres organismes de recherche ou université à  qui cela devait arriver, malgré la pression très forte qui les pousse à  ne rien dire pour sauver leur image et permettre aux laboratoires de niveau P3 ou P4 de continuer !

Mà J 04/10 : Quinze jours après mon billet, la revue Science abordait également cette affaire en posant la question : "Nos laboratoires de recherche en biosécurité sont-ils sûrs ?"

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Une éthique de la diffusion des résultats de recherche ?

Saviez-vous qu'il y a une éthique de la diffusion des résultats de recherche ? C'est pourtant le cas s'il on en croit l'intervention du Comité d'éthique du CNRS sur la question, pas plus tard que la semaine dernière. Intervention dont on trouve la justification suivante dans le rapport :

L’entrée dans une économie de la connaissance ouverte implique plus que jamais que soient pris en compte des principes éthiques qui, en dépit de la révolution des moyens de production et de circulation des documents, demeurent constants dans leurs grandes lignes : exigence de qualité, responsabilité des producteurs de documents, transparence des sources et accessibilité des objets publiés.

Et après quelques éléments historiques assez inhabituels, on trouve une réflexion sur la dynamique du libre accès, l'absence ou la présence d'un filtre scientifique, le référencement des publications, l'accélération de la transmission des connaissances via Internet ou les développements à  l'échelle européenne. Et une liste des enjeux éthiques à  prendre en compte :

  • l'accès de tous aux connaissances (notamment les pays du Sud), pour sortir de l'attitude élitiste de restriction de la diffusion des savoirs ;
  • les antagonismes et conflits d'intérêt entre diffusion électronique libre et revues traditionnelles ;
  • les notions de monopole ou d'impérialisme, avec des journaux dominants, un nombre assez limité des moteurs de recherche réellement consultés, une langue anglaise omniprésente ;
  • la décision de publication : Le travail est-il suffisamment abouti ? Quelles seront les répercussions de sa publication ? Le choix de la revue est-il totalement fondé et n’est-il pas le résultat d’un effet de mode ?.

Les recommandations ne sont pas révolutionnaires mais toujours bonnes à  dire, si ce n'est deux remarques qui peuvent être assez décisives :

Si l’incitation au dépôt des résultats dans des archives ouvertes peut convenir dans un premier temps, c’est l’obligation qui donnera au système toute son efficacité. Cette obligation sera d’autant mieux acceptée que l’explicitation aura été satisfaisante.

Envisager des formules pour contrebalancer la prédominance de l’anglais dans les systèmes de diffusion de connaissance en favorisant en particulier le bilinguisme et éventuellement dans certaines disciplines la traduction assistée par ordinateur. Ces démarches peuvent paraître vaines mais elles s’inscrivent dans le souci, qui doit demeurer permanent, de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles (Convention Unesco 2005).

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Ethique des nanotechnologies, bis repetita

Quelques mois après le Comité d'éthique du CNRS, le Comité national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a publié le 1er mars son 96e avis consacré aux questions éthiques posées par les nanosciences, les nanotechnologies et la santé. Parmi les personnes auditionnées par le groupe de travail, notons la présence des philosophes et sociologues des sciences Jean-Pierre Dupuy et Bernadette Bensaude-Vincent.

Passées les cinq premières pages re-situant le paradigme des nanotechnologies et de la convergence Nano-Bio-Info-Cognitif (NBIC), les considérations éthiques démarrent en constatant que pour le moment, les nanosciences ne semblent pas (encore ?) avoir modifié notre représentation de l’univers et les nanosciences n’apparaissent pas, pour l’instant, comme une discipline scientifique nouvelle qui nous révèlerait le monde, ou nous-mêmes, comme différents de ce que nous croyons être. L'enjeu se situe plutôt au niveau de ce que les nanotechnologies permettent de faire, d’où la discordance qui surgit entre la perception du public et ce qui est proposé sur le marché (on me permettra d'être circonspect…).

Les problèmes éthiques des nanotechnologies sont donc réduits aux problèmes que posent habituellement le développement des technologies :

  • traçabilité ;
  • effet biologique et biodégradabilité ;
  • éventuelles « propriétés nouvelles » de la matière manipulée à  l’échelle du nanomètre ;
  • portion congrue du budget de R&D consacrée aux risques pour la santé (0,4% seulement au niveau mondial) ;
  • tentation d’une déconnexion entre le discours et la réalité (parallèle fait avec les débuts des OGM, où l'on promettait de lutter contre la faim dans le monde alors que des maïs resistants au Round-Up étaient mis sur le marché).

Les auteurs constatent aussi avoir le sentiment que le domaine des nanosciences et des nanotechnologies se présente plus comme une série de réponses et de solutions, que comme une activité de questionnement, caractéristique habituelle de la recherche. Ce problème éthique essentiel regrette que l'on produise pour comprendre avant de produire pour vendre et que l'on manque de recherche fondamentale — ou pire, que celle-ci ne soit pas rendu publique. C'est parce que la connaissance est un pré-requis nécessaire à  l’exercice de la responsabilité que la première recommandation d’ordre éthique serait d’exiger un développement de la recherche fondamentale amont, et pas simplement en aval, des applications techniques.

Les autres recommandations incluent :

  • la mise à  disposition d'information suffisante sur la redoutable propriété ambivalente des nanosystèmes moléculaires conçus par l’homme de pouvoir traverser les barrières biologiques, notamment entre sang et cerveau, et d’être actuellement peu ou pas biodégradable, ce qui risque d’avoir, en dehors d’indications thérapeutiques précises, des conséquences majeures pour la santé (pfiou !) ;
  • le développement de la nanométrologie pour concevoir et multiplier les instruments qui permettront de détecter et identifier les nanoparticules ;
  • le soutien du développement de la recherche fondamentale du domaine des nanosciences, en respectant la liberté de cette recherche et en incorporant la réflexion éthique (par exemple sous la forme d'un paragraphe dédié dans les thèses en nanosciences et nanotechnologies) ;
  • l'incitation, dans une même problématique, des recherches pluridisciplinaires pour que la conception de nanomatériaux et nanosystèmes nouveaux s'accompagne de l’étude de leurs effets primaires sur l’environnement et la santé, par exemple en ne les séparant pas entre différents appels à  projets (ANR, PCRD etc.) ;
  • la priorité à  toutes les mesures de protection nécessaires des travailleurs au contact des nanomatériaux, et de confinement des lieux d’étude et de production de ces nanomatériaux en privilégiant les effets des faibles doses ;
  • le rétablissement d'une relation de confiance par la transparence et la diffusion continue des acquis scientifiques à  la communauté des chercheurs publics et privés grâce à  une réglementation européenne exigeant une déclaration obligatoire de toutes nouvelles nanostructures avec leurs conséquences éventuelles sur la réactivité biologique (avec un nano-REACH ?) ;
  • la priorité aux informations en réseaux des Agences : de la Biomédecine, AFSSAPS, AFSSA, et celles de l’Institut de Veille Sanitaire — en obligeant par exemple les industriels à  étiqueter visiblement les produits contenant des nanoparticules créées intentionnellement pour que le consommateur puisse éventuellement en refuser l'usage ;
  • le développement de la diffusion de la culture scientifique, technologique et industrielle dans le domaine des nanosciences et nanotechnologies en organisant par exemple des débats citoyens (appel du pied à  l'association VivAgora…) ;
  • une vigilance extrême sur les graves conséquences pour les libertés individuelles et le respect de la dignité humaine si les capacités d’identification et d’interconnexion se développent à  l’insu des personnes.

Les conclusions de l'avis sont très sages, en soulignant notamment que la course à  l'innovation — qui engage la société dans son ensemble, et qui ne peut pas être simplement laissée aux seuls acteurs économiques ou associatifs — ne doit pas se faire au détriment de l'intégrité physique et mentale des personnes ! Souvenons nous que pour le Comité d'éthique du CNRS, il faut une concertation des parties intéressées et notamment des représentants de la société civile pour cerner les attentes du corps social dans son ensemble ” afin de réguler le cours des recherches en fonction de la désirabilité des innovations techniques et pas seulement de leur acceptabilité. Bis repetita, que nos dirigeants les entende

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