La science, la cité

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Nouvelles du front (3)

Les eaux troubles de la science ne connaissent aucun repos, et ce blog continue de s'en faire le témoin dans la mesure du possible. Cette livraison est entièrement due à  PLoS Medecine, qui confirme son statut de "Monde Diplo de la médecine" (©© François).

On commence avec un article publié le 9 janvier dernier, décortiquant 111 études et tests cliniques publiés entre 1999 et 2003 et portant sur des sodas, jus de fruits et lait. 22 % d'entre eux étaient financés entièrement par l'industrie et 32 % en partie par l'industrie et en partie par le secteur public. Les auteurs ont trouvé une corrélation entre des conclusions positives et un financement privé (p = 0.037). Pour le sous-ensemble des articles de type recherche clinique ("interventional studies"), aucune étude financée entièrement par l'industrie ne rapportait des résultats défavorables aux commanditaires contre 37 % des études financées uniquement sur fonds publics (p = 0.009). Résultat qui transpose à  l'industrie agro-alimentaire ce que l'on savait déjà  à  propos de l'industrie pharmaceutique…

 Instituto de Fisiologàƒ­a Celular (Bartok Industries II), UNAM.©© Gazapo Feral

Le numéro du 27 février propose deux articles qui font suite, comme le souligne le communiqué de presse de PLoS, à  un article très remarqué publié en 2005 — où John P. A. Ioannidis développait l'idée que la plupart des résultats de recherche sont faux. Heureusement, le premier de ces deux nouveaux papiers montre statistiquement que la réplication des résultats rend plus probable la véracité des résultats. Rassurant, mais reste peut-être à  favoriser la publication de résultats répliqués dans les revues scientifiques, qui ne le font pas toujours… Le second article approche le problème différemment en calculant la probabilité de véracité à  partir de laquelle les résultats de recherche sont acceptable par la société. Cela parce que selon les auteurs, il est impossible d'obtenir une vérité absolue en recherche et donc la société doit décider quand des résultats imparfaits deviennent acceptables. Cette probabilité dépend des bénéfices espérés et des inconvénients éventuels du résultat en question, ainsi que du "regret acceptable" c'est-à -dire notre tolérance à  accepter des résultats qui sont en fait faux (sorte d'erreur de type II).

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Nouvelles du front

Mise bout à  bout, l'actualité de ces derniers mois sur l'expertise, l'autorité et l'indépendance scientifique n'inspire pas confiance...

Lundi dernier, c'est PLoS Medicine qui publiait un article (en accès libre) sur le ghost authorship. Il est en effet connu que les auteurs qui apparaissent sur un article relatant les résultats d'essais cliniques ne sont pas toujours, ou pas toujours complètement, les auteurs qui ont conçu ou analysé l'essai voire écrit le papier. Pourquoi ? Parce que ces ghost authors (ou "nègres" selon la traduction du Monde) sont souvent des chercheurs de l'entreprise pharmaceutique en question, ou des écrivains freelance, qu'il est délicat de mettre sur le devant de la scène. Une pratique qui pourrait cacher des conflits d'intérêt dont le lecteur devrait être informé, et a pour cette raison été condamnée par le monde académique, des comités de rédaction et quelques entreprises pharmaceutiques. Les auteurs de l'étude ont analysé 44 essais cliniques approuvés en 1994 et 1995, dont les résultats ont été publiés entre 1997 et 2002 : 75 % d'entre eux ont une liste d'auteurs qui ne reflète pas la réalité du travail effectué. Parmi les nègres passés à  la trappe figure une grande proportion de statisticiens, ces employés qui conçoivent concrètement l'étude et sur lesquels repose finalement la significativité du résultat ! Ces pratiques existent aussi ailleurs qu'en médecine, comme dans les études sur l'environnement, voir l'exemple célèbre de l'histoire qui a inspiré le film "Erin Brockovich"… [via PAk, que je remercie, et Stayin' Alive]

En décembre dernier, on apprenait par Libération que Sir Richard Doll, décédé en 2005 et expert reconnu du lien entre tabac et cancer du poumon, aurait été gracieusement payé par Monsanto pendant plus de vingt ans. Dans les périodes fastes comme les années 80, il pouvait ainsi percevoir jusqu'à  1200 euros par jour ! Or Doll travaillait dans ces années-là  sur le fameux agent orange employé par Monsanto au Vietnam... en niant toute relation entre celui-ci et des cas de cancer ! Il aurait aussi touché 22 000 euros de plusieurs firmes de la chimie dont Chemical Manufacturers Association, Dow Chemical et ICI, pour avoir publié une étude assurant qu'il n'y avait aucun lien entre le chlorure de vinyle (utilisé dans les matières plastiques) et le cancer (sauf celui du foie), conclusion que l'OMS conteste toujours...

Enfin, en septembre, le Guardian rapportait une grande première : la British Royal Society, pour la première fois de son histoire, demandait publiquement aux entreprises soutenant des "instituts de recherche" niant le réchauffement de la planète (comme le Competitive Enterprise Institute (CEI) américain), d'arrêter de les financer. Cela concerne au premier chef ExxonMobil et sa filiale Esso, qui a distribué en 2005 2.9 millions de dollars à  pas moins de 39 groupes et instituts. On ne s'en étonnera pas, Exxon est aussi un gros sponsor du parti républicain et de ses candidats... [via Stayin' Alive]

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Conflits d'intérêts à  la FDA

Pour rester dans le thème des déclarations d'intérêts et des conflits d'intérêts que l'on rencontre parfois, je découvre via le blog "What's new doc" un article de 2006 paru dans le Journal of the American Medical Association, à  propos des conflits d'intérêts au sein de la FDA.

Les chercheurs ont analysé 221 réunions tenues par 16 commissions d'experts entre 2002 et 2004, depuis que les déclarations d'intérêts ont été instituées par la FDA. Dans 73 % des réunions, au moins un des experts ou consultants — qui ont aussi le droit de vote — a révélé un conflit d'intérêts. Seulement 1 % des membres ont été récusés. Au total, sur les 2947 participants, 28 % ont déclaré un conflit d'intérêts. Pourtant, résultat rassurant, l'analyse a montré qu'il n'y a pas de corrélation statistiquement significative entre les conflits d'intérêts et les schémas de vote. Et l'exclusion des membres qui avaient déclaré un conflit d'intérêts aurait défavorisé le médicament examiné, mais sans changer l'issue du vote.

Le résultat n'est donc pas bouleversant ou inquiétant mais montre que la transparence est nécessaire et utile pour exercer une surveillance (scientifique, politique et citoyenne) continue.

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Les déclarations d'intérêts, peu suivies en réalité

En juin dernier, je remarquais que la déclaration d'intérêts que doit remplir chaque chercheur qui publie un article ou siège à  un comité d'experts est une des mesures mises en place pour limiter les collusions d'intérêts et obliger à  un peu de transparence. Dans le cas des articles de recherche, les déclarations sont publiées et doivent permettre une lecture plus critique d'une étude réalisée par un chercheur ayant des intérêts financiers dans une start-up ou des contrats de valorisation en cours.

Pourtant, comme le rapporte l'association GeneWatch UK, ces règles sont peu suivies en réalité et les déclarations d'intérêt sont très souvent incomplètes, donc mensongères. C'est le résultat d'une étude publiée en septembre 2006 dans le Journal of Medical Ethics : une analyse des articles de biologie moléculaire et génétique publiés dans Nature entre janvier et juin 2005 fait apparaître que les auteurs de sept articles n'ont pas révélé qu'ils avaient une demande de brevet en cours et que ceux d'un huitième article avaient caché des des connections avec l'industrie biotech. Pourtant, le dépôt de brevets fait bien partie des "intérêts" qui doivent être déclarés à  la revue Nature. Pour Sue Mayer, auteur de l'étude, cela s'apparente à  de la publicité déguisée...

L'association GeneWatch UK demande donc :

  • que des sanctions soient imposées par les revues aux auteurs qui auraient caché des intérêts — par exemple un "boycott" temporaire de cet auteur ;
  • que les universités et instituts de recherche établissent un registre public des competing interests de leurs chercheurs ;
  • que les revues fasse un réel effort envers les déclarations d'intérêts et qu'elles les publient en même temps que l'article et non à  part sur le site web comme c'est le cas chez Nature.

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