Une éthique de la diffusion des résultats de recherche ?
3
juil.
2007
Saviez-vous qu'il y a une éthique de la diffusion des résultats de recherche ? C'est pourtant le cas s'il on en croit l'intervention du Comité d'éthique du CNRS sur la question, pas plus tard que la semaine dernière. Intervention dont on trouve la justification suivante dans le rapport :
L’entrée dans une économie de la connaissance ouverte implique plus que jamais que soient pris en compte des principes éthiques qui, en dépit de la révolution des moyens de production et de circulation des documents, demeurent constants dans leurs grandes lignes : exigence de qualité, responsabilité des producteurs de documents, transparence des sources et accessibilité des objets publiés.
Et après quelques éléments historiques assez inhabituels, on trouve une réflexion sur la dynamique du libre accès, l'absence ou la présence d'un filtre scientifique, le référencement des publications, l'accélération de la transmission des connaissances via Internet ou les développements à l'échelle européenne. Et une liste des enjeux éthiques à prendre en compte :
- l'accès de tous aux connaissances (notamment les pays du Sud), pour sortir de l'
attitude élitiste de restriction de la diffusion des savoirs
; - les antagonismes et conflits d'intérêt entre diffusion électronique libre et revues traditionnelles ;
- les notions de monopole ou d'impérialisme, avec des journaux dominants, un
nombre assez limité des moteurs de recherche réellement consultés
, une langue anglaise omniprésente ; - la décision de publication :
Le travail est-il suffisamment abouti ? Quelles seront les répercussions de sa publication ? Le choix de la revue est-il totalement fondé et n’est-il pas le résultat d’un effet de mode ?
.
Les recommandations ne sont pas révolutionnaires mais toujours bonnes à dire, si ce n'est deux remarques qui peuvent être assez décisives :
Si l’incitation au dépôt des résultats dans des archives ouvertes peut convenir dans un premier temps, c’est l’obligation qui donnera au système toute son efficacité. Cette obligation sera d’autant mieux acceptée que l’explicitation aura été satisfaisante.
Envisager des formules pour contrebalancer la prédominance de l’anglais dans les systèmes de diffusion de connaissance en favorisant en particulier le bilinguisme et éventuellement dans certaines disciplines la traduction assistée par ordinateur. Ces démarches peuvent paraître vaines mais elles s’inscrivent dans le souci, qui doit demeurer permanent, de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles (Convention Unesco 2005).
Commentaires
Je ne sais pas si c'est parce qu'il est tôt et que je viens de me lever, mais l'hypocrisie du propos me choque profondément, surtout quand on sait que le CNRS est connu pour les magouilles autour de la publication ! Les effets de mode, le choix des revues, surtout en langue anglaise, gouvernent complètement le fonctionnement du recrutement, ce qui pousse, à mon sens, les chercheurs du CNRS à voir l'acte de publier comme un moyen de récupérer des postes et des bourses plus qu'une façon éthique de répandre la connaissance ! Alors, je me doute bien que le comité d'éthique du CNRS n'est pas lié à la politique de publication de l'institut, mais à mon avis, ça serait une bonne idée de les mettre en relation !
Attention, il y a une erreur d'orthographe dans le § sur la traduction “assisté” par ordinateur :)
Béné a raison, le COMETS raisonne comme si la recherche était une entreprise désintéressée et que les chercheurs agissaient dans un espace libre de contraintes. Il appartient au CNRS de changer les règles du jeu, comme sur le dépôt d'archives ouvertes, les choix de revues, ou encore la vulgarisation.
A la fois consternant et typique des mandarins bureaucratiques et gauchisants et du CNRS.
"l'accès de tous aux connaissances (notamment les pays du Sud), pour sortir de l'attitude élitiste de restriction de la diffusion des savoirs" On notera d’abord l’utilisation péjorative et inappropriée du terme élitisme, un grand classique des organismes de recherche. La connotation péjorative du terme est liée habituellement à la notion de caste, d’auto-reproduction des élites, et de position à vie donnée par un diplôme. On ne voit pas du tout en quoi cela concerne l’accès a la connaissance des pays du Sud. Pour vous donner une idée de l’emploi du terme élitisme dans les organismes de recherche, imaginez une réunion de section du CNRS, ou l’on doit donner un emploi à vie a un candidat-chercheur, 20 candidats pour un poste, la plupart des autres seront au chomage ou en exil. On a droit en general à une déclaration de principe d’un délégué syndical contre l’élitisme. Pas contre l’attribution d’un emploi a vie, naturellement, mais contre l’attribution du poste aux meilleurs. Ca tombe bien, le candidat qui doit avoir le poste à l’issue de la magouille n’est pas le meilleur (mais travaille chez un des membres du jury). Donc, dans les organismes de recherche, on applique une utilisation raisonnée de l’anti-élitisme. Au niveau de l’accès aux connaissances dans les pays du Sud, ca donne quoi ? Fournir des accès internets aux pays du Sud ? Pas sur. Plutot une voie de diffusion des découvertes de nos mandarins en Francais, à destination de nos anciennes colonies, afin qu’ils soient enfin reconnus a l’étranger.
« les antagonismes et conflits d'intérêt entre diffusion électronique libre et revues traditionnelles » Visiblement, nos éthiciens ne savent pas ce qu’est un conflit d’intéret. Là , ils auraient du dire divergence d’intérêt. Un conflit d’intérêt, c’est quand, par exemple le jury de la section donne son avis sur le candidat d’un membre du jury (ici, on crie au scandale quand on parle de faire sieger des experts internationaux independants), ou quand un scientifique renommé rédige un rapport favorisant une entreprise qui le rémunère. Mais dans un pays ou Axel Kahn a été membre aussi longtemps d’un comité d’éthique, il est tres difficile de savoir ce que le terme de conflit d’intérêt recouvre (et également celui d’éthique).
« les notions de monopole ou d'impérialisme, avec des journaux dominants, un nombre assez limité des moteurs de recherche réellement consultés, une langue anglaise omniprésente » Et la, on est en plein dedans. Le problème du monopole des journaux dominant n’est pas un problème d’éthique. C’est un problème de divergence d’intérêt entre des scientifiques francais (prétendant représenter tous les autres) et la communauté internationale. Et quand un comité chargé de réfléchir sur l’éthique fait une telle presentation, on est alors en plein conflit d’intérêt. Un seul mot : Bravo ! Rappelons que c’est la possibilité de publier dans des revues internationales qui nous permet d’échapper a l’évaluation faite par les mandarins pour les mandarins, et que, même si c’est plus dur pour nous que pour les anglophones de publier dans une revue prestigieuse, nous Francais sommes tous logés a la même enseigne. Mais la stratégie est la suivante : on doit faire accepter qu’une publication dans une revue prestigieuse n’est pas un gage de qualité, sauf lorsqu’elle émane d’un mandarin. Par contre si vous n’avez pas de relations aupres des mandarins, n’essayez pas de prétendre publier dans des revues de plus faible facteur d’impact pour manifester votre anti-impérialisme. Ca ne marchera pas.
En conclusion, aucune des recommandations du comité d’éthique sur les publications ne releve de l’éthique. Pourtant il y a bien des domaines qui sont considérés a l’étranger comme relevant de l’éthique de la publication, comme, par exemple, « qui peut signer un article ? ». On comprend que nos mandarins soient discrets sur ce sujet.
Pour finir, les derniers soubresaults du CNRS ne témoignent plus seulement d’une faillite scientifique, mais d’une faillite morale. Ce sont les derniers jours de l’empire soviétique.
Fr > il semble que la faute de francais ne soit pas dans le document original
anon > rhaaa, ca fait du bien de lire ca....
blop > Exact, merci. A la suite du commentaire de Fr. j'avais rajouté le "sic", persuadé que l'erreur était dans le rapport puisque que j'avais fait un copier-coller. Mea culpa, elle semble s'être glissé pendant que j'écrivais le billet. Je corrige, cette fois pour de bon !
Je ne suis pas sur que l'on gagne beaucoup a utiliser des termes aussi lourds de sens qu'imperialisme ou sovietisme. Peut etre suis-je naif car n'ayant jamais connu le systeme francais, mais les problemes souleve me paraissent aller au dela d'un groupe de personnes cherchant a assoir leur pouvoir.
Le probleme de la langue anglaise ultra majoritaire me semble bien relever de l'ethique, qui depasse largement les problemes franco francaise. Il y a tout un equilibre a trouver qui n'est pas evident; si personne ne publie dans sa langue maternelle, ce serait tout de meme dommage, et va a l'encontre d'un certain ideal scientifique d'universalite. Personnellement, ca me derange d'avoir toujours eu a faire mes papiers et compte rendus en anglais. Et ca derange d'autres scientifiques qui ne sont pas mandarins (ni meme de gauche, c'est dire !). Typiquement, L. Lafforgue a ecrit dans un article pour Pour la Science qui commence ainsi (je n'ai pas trouve de version en ligne complete du dit article):
Ensuite, il y a bien conflit d'interet dans le monde de la publication (mais en effet pas comme dit dans le communique, qui n'a pas beaucoup de sens): la publication d'articles est censee participer a la diffusion, mais ceux qui publient les journaux ont au contraire interet a controler leur diffusion. Il s'agit la aussi d'un domaine qui n'est absolument pas propre au CNRS ni a la France. Des gens comme D. Knuth se sont publiquement inquietes de l'etat actuel des choses en la matiere: http://theoryofcomputing.org/crisis.html. Il y a quelques annees, l'IEEE, un des plus gros organismes de publication au monde, avait interdit aux chercheurs de certaines nationalites comme la Birmanie ou l'Iran d'etre membres de la societe IEEE, avec tous les problemes que ca causait (probleme resolu depuis, heureusement).
Bref, independemment d'ou vient le communique, et du but recherche, il me semble poser des questions tout a fait valides.
david > Merci pour le commentaire. La question de la langue de publication est en effet très importante et soulève toujours autant de débats : le billet que j'avais écrit à ce sujet a été parmi les plus commentés ! Quant à l'exclusion de certains pays des sociétés professionnelles, si tu te réjouis de la réintégration des Birmans ou Iraniens par l'IEEE, ça n'empêche malheureusement pas ces mêmes Iraniens d'avoir récemment été exclus de l'American Chemical Society... Ils viennent à peine d'être réintégrés !
David, je n'ai pas dit que la langue n'était pas un problème. Mais pour moi ce n'est pas un problème d'éthique. Quant aux convictions de Laurent Lafforgue, je ne les partage pas du tout. En mathématiques, vous ne dépendez pas d'un mandarin pour avoir les moyens logistiques, financiers et humains de produire des résultats, ce qui explique le bon niveau francais dans ce domaine, c'est tout.
Je ne sais pas ce qu'a voulu dire exactement LF, mais les mathématiciens français ne publient pas en français au détriment de l'anglais. Ils publient très bien dans les deux langues. C'est une impression de l'extérieur.
Je reconnais que la pratique du français a des avantages, mais j'estime que la pratique exclusive du français a des inconvénients. C'est assez clair en SHS, de là où je viens. La situation varie selon les branches.
> Enro: je me soucie de l'IEEE parce que c'est l'incontournable dans mon domaine (traitement du signal/IA), mais je ne suis pas etonne que ca concerne d'autres champs "sensibles".
> anon: on peut ne pas etre d'accord avec LF, je ne l'ai d'ailleurs pas donne comme argument d'autorite, mais comme exemple de non mandarin (et un peu en boutade, puiqu'on ne peut certainement pas l'affubler d'un quelconque suffixe a consonance marxiste ou derivee). Je ne comprends pas pourquoi ce n'est pas un probleme d'ethique: pour moi est de l'ordre de l'ethique ce qui concerne les valeurs et les choix d'une societe. Le choix de la langue de publication rentre en plein dedans: une langue qui n'est plus utilisee pour les sciences, c'est une langue qui perd de la valeur. La langue est plus qu'un simple moyen de communication, la culture sous jacente transparait. C'est de ca dont parle LF. Ramener ca au mandarinat, ca me parait tenir un peu a l'obsession (le manque de moyens, ce n'est pas la meme chose que le mandarinat). Une des raisons qui font que je veux rentrer en France pour faire de la recherche, c'est de pouvoir publier dans ma langue maternelle (ce que je n'ai jamais pu faire jusqu'a maintenant), et c'est bien un choix base sur des valeurs qui je pense meritent d'etre defendues.
> Fr. La difference en maths, enfin mon impression et de ce que j'en comprends, c'est que l'on peut encore publier des papiers fondamentaux en francais, et avant de les publier en anglais. Donc il y a bien une notion de "detriment". Bien sur, on transmet dans les deux langues le plus souvent. Je n'ai par ailleurs jamais parle de pratique exclusive du francais.
En fait, pour completer mon precedent billet non fini, je pense qu'on peut facilement avoir un biais "pro anglais" parce que l'anglais de base utilisee dans les sciences restent quelque chose d'assez trivial pour les francais et les europeens en general, et que la culture derriere est suffisament proche pour nous paraitre "sans biais". Mais au Japon, ou en Chine, c'est une veritable barriere; les articles que l'on comprend qu'a partir des figures comme je l'ai vu sur le billet cite par Enro, je veux bien que ca marche de temps en temps, mais avez vous deja essaye de lire un article japonais ? Traduire du francais mot a mot pour de l'anglais, ca marche pas trop mal, mais en Japonais, ca donne des choses assez bizares (mais rigolotes quand c'est sur des Tshirt).
David, la langue est une valeur, certainement, mais pas une valeur morale. On peut parler de valeur morale seulement lorsqu'on oppose l'intérêt commun et l'intérêt individuel. Quant à imaginer que l'on puisse revenir en arriere en essayant de communiquer en francais, je n'ose meme pas l'imaginer. Personnellement, en face de ces comités d'evaluation francais, j'ai l'impression, quand je leur parle en francais, que pour eux c'est du chinois.