La langue de la science
18
janv.
2007
Si François s'attache au style de l'écrit scientifique, je vais ici me pencher sur la langue. En effet, c'est un lieu commun : la science s'écrit en anglais, point barre, merci d'être venus. Ce n'est pas faux, la littérature scientifique en anglais représente une large majorité de la littérature scientifique mondiale, et c'est en tous cas celle qui est prise en compte préférentiellement par l'ISI-Thomson pour le calcul du fameux facteur d'impact (cf. Archambault et al., Scientometrics 68, 2006 pour une récente analyse de ce biais dans le domaine des sciences humaines et sociales). Les brevets en anglais risquent aussi de s'imposer en Europe si la France ratifie le protocole de Londres, qu'elle est pour l'instant le dernier pays à bloquer.
Or voilà , la science peut s'écrire et s'écrit en français. En majorité en sciences humaines, mais aussi en mathématiques, soit précisément les matières où nos chercheurs sont les plus admirés et demandés à l'étranger ! Car la langue est plus qu'un outil en science, c'est le véritable support de pensée. C'est le médiateur entre la réalité et tout discours sur cette réalité. Sans langue, pas de science, et selon la langue on n'obtient pas la même science. Cela tient à la construction logique ou à l'utilisation d'analogies qui lui sont propres, deux éléments cruciaux dans la méthode scientifique. Difficile de donner des exemples mais on peut mentionner que la fameuse incertitude d'Heisenberg est en fait une Unbestimmtheit, soit une indétermination, maladroitement passée par l'uncertainty anglo-saxonne. Et voilà tout un pan de fausses théories échafaudées sur une mauvaise traduction qui s'effondre ! Ou encore le projet de refonte des mathématiques de Nicolas Bourbaki s'est accompagné d'un renouveau du vocabulaire, avec de nouveaux termes et concepts aussi imagés que "faisceaux", "fibrés", ou "adhérences".
De fait, ce n'est pas tant la langue de publication ("communication institutionnelle") que la langue de la communication informelle qui compte, laquelle reste principalement le français, sauf dans quelques labos plus internationaux. Mais publier en français reflète aussi une attitude et un engagement plus profonds. Voici comment le mathématicien français Laurent Lafforgue (médaille Fields 2002) décrit la position unique de l'école française de mathématiques :
Sur le plan psychologique, faire le choix du français signifie pour l’école française qu’elle ne se considère pas comme une quantité inéluctablement négligeable, qu’elle a la claire conscience de pouvoir faire autre chose que jouer les suiveuses et qu’elle ne se pose pas a priori en position vassale. Bref, ce choix est le signe d’une attitude combative, le contraire de l’esprit d’abandon et de renoncement... Bien sûr, un esprit combatif ne garantit pas le succès, mais il est nécessaire. Comme dit le proverbe chinois, les seuls combats perdus d’avance sont ceux qu’on ne livre pas.
Jean-Marc Lévy-Leblond le dit autrement dans "La langue tire la science" in La Pierre de touche, Gallimard Folio, 1996 :
les sciences sociales et humaines semblent garder une possibilité de publication plurilingue que n'ont plus vraiment les sciences de la nature, dominées économiquement et techniquement par un modèle unique.
Sans compter les inconvénients de publier en anglais. Cela correspond pour certains (comme René-Marcel Sauvé) à payer une taxe sur la recherche scientifique
. En effet, les chercheurs ne fournissent pas le même effort pour publier dans leur langue maternelle et dans une langue apprise à l'école, payant dans ce dernier cas un prix en terme d'efficacité, de visibilité et de prestige (combien de Français moqués en conférences parce qu'ils s'exprimaient de manière risible en anglais ??!!). De plus, le résultat est souvent un basic english bien pauvre, qui empêche de penser ou presque ! Et des publications en anglais ne seront jamais facilement comprises par tous les publics, même si elles sont mises à disposition gracieusement par le mouvement d'accès libre. Quid alors de l'éducation scientifique des citoyens et du retour à la société des fruits de la recherche ?
Alors, défendre le français en science n'est pas seulement un combat d'arrière-garde mené par une administration dépassée. C'est aussi la défense d'une vision du monde et d'une autonomie de la recherche ![1]
Notes
[1] Attention quand même à l'angélisme, ce billet n'est pas un plaidoyer en faveur de toutes les revues scientifiques en français, y compris les plus inadaptées et dispensables ! La défense de la langue ne saurait être un prétexte à la médiocrité, mais plutôt un encouragement à améliorer le paysage dans sa globalité
Commentaires
preliminaire : j'ai ecrit ma these en francais parce que je pense comme toi qu'il faut un "retour à la société des fruits de la recherche" et que la these est un moment ou cela peut se faire, d'autant que la majorite de son contenu scientifique avait ete publie en anglais precedemment.
liminaire : je travaille en flandres. Legalement mon patron n'a pas le droit de me parler autre chose que le neerlandais. Je suis bien content que nous travaillons en anglais. C'est une langue neutre entre nous. J'ai travaille au CERN, je suis bien content de ne pas avoir eu besoin d'apprendre l'italien, l'espagnol, l'allemand, le neerlandais, l'indi, le chinois, le japonais, le russe, le hongrois, le coreen, le tcheque, le danois et le suisse allemand pour communiquer avec mes collegues. La Suisse a des universites en 3 langues. Pour les demandes de subventions, etc., l'anglais sert de denominateur commun, neutre. Je participe regulierement a des conferences internationales, je suis tres heureux de pouvoir comprendre toutes les personnes avec lesquelles j'ai besoin / envie d'interagir. Et je n'ai jamais rencontre un seul anglophone qui m'ait pris de haut si je ne comprenais pas un mot ou une phrase.
liminaire 2 : j'ai eu l'occasion d'interagir avec des theoriciens russes. Regulierement dans la conversation "ah oui mais XXX (un russe) a publie ca il y a 20 ans (en russe)". Super. Ya nie gavariou pa rouski !
liminaire 3 : je n'ai pas l'impression d'etre empeche de penser quand je pense en anglais. Heureusement. Ensuite la langue n'est pas, de loin, le seul mode de pensee. Quand j'ai un article sous les yeux, apres l'abstract (pardon, le resume) je regarde les figures. Quand je prepare une presentation, je passe beaucoup plus de temps a preparer des graphiques que des phrases. Quand on utilise un tableau, ce n'est jamais pour ecrire des phrases mais pour dessiner des schema ou ecrire des equations.
liminaire 3 bis : le raccourci langue = pensee est employe avec beaucoup de condescendance voire de mepris vis-a-vis des classes populaires. Ces gens qui ne savent pas parler correctement ne savent pas penser correctement, ce sont des sous-citoyens, etc. Ce n'est jamais dit aussi frontalement mais implicite a bien des discours.
conclusion : la communication trans-nationale, meme informelle, est indispensable a la science. Il faut une langue commune. Je suis pret a parier que l'usage de la langue vernaculaire est inversement proportionnel au nombre moyen de signataires et a la demi-vie des citations d'un article dans la discipline etudiee. Oui les sciences humaines sont un bon exemple. Il y a certainement aussi une question de masse critique : si 5% (chiffre a l'oeil) des biologistes mondiaux sont francais, la proportion monte certainement dans les sciences humaines ou en maths, domaines forts en france.
On peut regretter la disparition du latin. On peut regretter que la France ait perdu ses colonies et sa place dominante dans le monde. Mais les "no pasaran !" (pardon "ils ne passeront pas") des "resistants" et leurs argumentaires me font plus penser a des justifications a posteriori d'une certaine paresse a apprendre l'anglais. Je suis desole d'etre aussi sec, mais le debat recurrent sur la place du francais dans la science a tendance a m'enerver. Et je n'ai jamais entendu mes collegues non-anglophones et non-francophones se plaindre que leur langue ne soit pas plus utilisee.
Certains sont plus avantages que d'autres par l'anglais. Aucun doute la-dessus. Certains sont aussi plus habiles que d'autres avec les ordinateurs aussi, pourquoi ne pas continuer a s'en passer (on peut faire de l'excellente science sans ordinateurs !!) ?
PS : ah oui, j'ai un clavier qwerty :-)
Hello, globalement d'accord avec blop sur le fait d'avoir besoin d'avoir une langue commune, sur le problème récurrent avec les articles en Russe, et sur le fait que les gens sont assez indulgents sur la langue (en apparence en tous cas). Mais je suis d'accord avec Enro que ça pose un vrai problème entre anglophone et non-anglophone. On sait bien que la science, c'est aussi des relations publiques et de la politique. On entend régulièrement parler de découvertes faites au même moment par des équipes anglophones et non-anglophones, et le papier anglophone est incontestablement favorisé avec tout ce que cela entraîne. On parle souvent des prix Nobel anglo-saxons, mais on parle rarement du fait que nes non-anglophones se trouvent exclus du Nobel sans raison apparente : un des exemples récents est le prix Nobel de chimie, donné à trois américains, alors qu'un des véritables découvreurs était français et s'appelait Kagan. La communauté chimique française avait été très secouée à l'époque. Par ailleurs, si les gens sont indulgents avec ceux qui parlent mal anglais, l'impression laissée est désastreuse, l'image est terrible et n'incite pas à aller vers le chercheur en question. Conclusion : retournons tous au latin, nous serons tous égaux ;)
Je suis parfaitement d'accord avec blop (c'est marrant, je suis d'accord avec lui sur tous les blogs sauf le mien :-) ). S'il y a un problème, c'est le système éducatif français qui fait qu'apres x années d'anglais, la majorité des gens ne sait pas faire une phrase correcte.
Il est évident qu'il ne s'agit pas de vouloir remplacer (à court terme) l'anglais comme langue privilégiée d'interaction entre chercheurs en sciences naturelles (tout en s'en méfiant !). Mais c'est bien à la communication institutionnelle (les publications et les colloques que vous avez évoqués) qu'il faut la cantonner, en laissant au français la communication informelle (conversations, e-mail) et la communication publique (médiatisation, expertise etc.). Il ne faut pas l'oublier et s'efforcer de le promouvoir là où c'est possible, comme le fait le Ministère de la culture… et ne pas s'étonner que les diplômes français soient conditionnés à un rapport écrit en français (ou dans une langue étrangère mais avec un résumé consistant en français).
Pour conclure, une idée proposée par J.-M. Lévy-Leblond, que je vous incite à expérimenter et à rendre compte ici : en réunion avec un Italien ou un Espagnol, essayer de parler chacun dans sa langue au lieu de parler dans un basic english commun. La proximité de nos langues romanes fait qu'il doit être possible de se comprendre et de s'exprimer à la quasi-perfection…
C'est tout à fait faisable, après un temps d'adaptation...
Quant à
, ce n'est pas l'anglais de Tolkien (qui est assez tordu) ou de Shakespeare. C'est un anglais et formel. Il est par contre bien utile (j'aurais quelques difficultés à me faire comprendre de l'administration de la fac ou je pars en stage, mon tchèque étant un peu rouillé, s'il n'y avait pas l'anglais)Pour avoir eu pas mal de cours avec des profs italiens ou espagnols, je peux te confirmer qu'au bout d'un temps d'adaptation, on ne faisait plus la différence (ce qui reste assez déstabilisant, c'est de changer trois fois de langue dans un paragraphe, dont deux fois dans une phrase...)
Et comme le dit Blop, l'important, c'est aussi les données. Il est possible (enfin ca doit, puisqu'on me l'a fait faire en DEUG) de "lire" un article sans toucher le texte, en analysant les figures.
Billet intéressant, by the way :)
Plutôt d'accord avec l'idée que la généralisation de l'anglais n'est pas un mal. Il est à mon avis incoutarnable d'avoir une langue commune pour partager ou publier les avancées scientifiques. Il se trouve que c'est l'anglais, et pas le français. Bon. J'avoue que je ne me sens pas particulièrement lésée ou vexée. Ca ne m'empêche pas d'utiliser quotidiennement notre langue, de lire et d'apprécier la littérature francophone, la vraie (j'ai du mal à appeler littérature les articles scientifiques, au même titre que Proust ou Hugo, mais c'est une coquetterie, j'en conviens). Après tout, certains avaient rêvé d'une langue universelle qui relieraient les hommes, et c'est presque le cas en sciences!? Ok, je m'égare...
Il y avait plus, dans le billet d'origine, qu'une simple contestation de l'omniprésence de l'anglais... La question de fond, me semble-t-il, c'est : est-ce que la langue est vraiment si transparente que ça en sciences, mêmes "dures" ? Tiens je résiste pas au plaisir de vous copier-coller un ptit bout de Lévy-Leblond déjà cité ici :
Il y a tout plein de choses intéressantes dans ce débat (le problème de la traduction par exemple, très bien expliqué dans une introduction bilingue à l'ouvrage dirigé par Jean-Claude Barbier sur les politiques sociales, éd. Peter Lang, 2005).
Mais je me méfie de l'hypothèse d'arrière-plan qui dit qu'écrire des articles scientifiques, ou pire, des brevets, c'est rendre hommage à la langue française, ou même être combatif. Mon Dieu, mais quels faux combats ! Penser sauvegarder son patrimoine culturel dans ces entreprises souvent déshumanisantes qui traitent la langue comme un vulgaire utilitaire, quelle monstrueuse erreur !
Pour les maths, admettons une exception, on sait que les mathématiciens développement une forme d'élégance dans leur démonstrations (Kant citant Dirac sur la beauté des maths).
Mais les brevets, c'est ridicule ! Pour défendre le français, il faut donner des fonds aux enseignants de français dans l'enseignement secondaire et subventionner l'étude des oeuvres classiques, encourager le cinéma francophone, baisser les prix du marché de l'art !
Mon opinion reste donc sur ce sujet que la majeure partie de l'entreprise scientifique peut se passer de la langue française et se corrompre dans l'anglais internationalisé, et que s'il faut défendre la langue française, ce n'est pas le bon champ de bataille. Qui lit les revues scientifiques ? A quoi rime de défendre la langue française pour un cénacle de CSP+ ? C'est dans les arrêts de bus, sur les panneaux publicitaires et à la télévision qu'il faut redonner du lustre, pas sur Internet (cf. tentatives ridicules de traduction pour 'blog' et assimilés) ou dans les sciences.
P.S. C'est un débat qui requiert du punch et des idées tranchées, merci Enro, tu sais que c'est plus mon style que les conférences de consensus :)
Fr. > Je ne suis pas d'accord, surtout en ce qui concerne les brevets. Dans ce cas, c'est la domination d'une technologie qui est en jeu, et un pouvoir économique non négligeable. Or la langue n'y joue pas un rôle secondaire. De fait, selon le rapport du Sénat de 2001 :
Là encore, finalement, ce sont aussi des questions d'autonomie et de domination qui se jouent !! ;-)
Dans le même rapport, on trouve autre point de vue qui se place à un autre niveau :
Tout juste. Une amie suédoise m'expliquait que dans la mesure où les suédois sont aujourd'hui tous bilingues, ils ne traduisent plus certains mots techniques ou néologismes universitaires. J'en ai été étonné, mais c'est assez logique. Ce danger d'appauvrissement me semble donc bien exister. Ceci dit, je suis tout à fait favorable au bilinguisme, c'est un autre débat. Ou plutôt, l'objectif devrait être de favoriser l'apprentissage de l'anglais tout en favorisant les publications en français et les traductions. ce qui est compliqué, puisqu'on apprend l'anglais surtout quand on se retrouve obligé de le lire... Pour rebondir sur un commentaire précédent, ton texte montre me semble-t-il que la question se situe au niveau des rapports de pouvoir et pas tellement au niveau du type de description que la langue induit (même si j'aurais tendance à faire une distinction sur cette question entre science de la nature et science de l'homme - là , ce problème se pose - , quoi que ce ne soit peut-être plus trop à la mode).
Clic, merci, tu as très bien résumé ma pensée. Et si je parle un peu de tout dans mon billet, c'est vrai qu'appuyer trop sur la question de la description de la nature me ferait passer pour relativiste ;-) La question reste néanmoins intéressante, mais il semble très difficile d'y répondre (à moins de la rattacher à la question de l'hypothèse de Sapir-Whorf) et je n'ai pas d'exemples en tête de travaux historiques qui auraient montré le rôle particulier d'une langue dans le développement d'un concept scientifique...
Attention, Enro, il y a collision, dans ton commentaire, entre deux objections différentes. Objection #1 (émanant de toi) : la langue joue un rôle social important dans le dépôt de brevets. C'est juste, et je ne dis pas le contraire. Ce qui m'intéresse, c'est la seconde objection.
Objection #2 (émanant du rapporteur du Sénat) : rédiger les brevets français en anglais appauvrit notre langue. Je suis totalement opposé à cet argument, par pur scepticisme d'ailleurs : je suis prêt à lire et accepter nimporte quelle démonstration convaincante de la véracité de cet argument, mais donnez-m'en une, bon sang !
L'objection #2 est fausse jusqu'à preuve du contraire : montrez-moi comment un dépôt de brevet
la langue française… Si l'on admet que nimporte quel texte rédigé en français enrichit notre langue, alors autant subventionner les blogs (et les Skyblogs). Il ne faut pas renverser la charge de la preuve : montrez-moi un brevet qui enrichit la langue française.Dans l'attente, je persiste à croire que rédiger des brevets peut se faire en anglais sans perte sèche pour la langue française. Encore une fois, pour enrichir la langue française, ce n'est pas le dépôt de brevets qu'il faut sauver, mais le statut des gens qui se donnent un mal fou pour faire monter Camus et Sartre sur les planches des théâtres, ou de ce qu'il en reste.
Ou alors laisser s'exprimer Ségolène Royal, qui a plein de nouveaux mots à proposer à l'Académie (le spin doctoring de Jack Lang à ce sujet était fantastique).
Voilà un paradoxe de politique publique : on laisse mourir la création artistique mais l'on s'attache à la rédaction de brevets. Mon argument vaut, à mon sens, pour la rédaction scientifique dans son ensemble. S'il faut sauver les lettres, c'est dans l'enseignement et la culture, pas dans les routines de travail académiques (version forte de mon argument), du moins pas prioritairement (version faible).
Merci pour ce débat très riche, le Café a atteint au moins un de ses objectifs.
Fr. > Merci tout d'abord de désintriquer ma pensée confuse ;-) Tu veux
en capitalisant sur son patrimoine (Camus, Sartre), c'est intéressant et pour le moins inattendu !! Mais tu sauras que la langue se joue aussi au présent, et qu'une langue qui est à la traîne dans les domaines de pointe sera plus tard à la traîne dans les matières enseignées à l'université. Alors si tu veux que tout l'enseignement se fasse en anglais comme dans la Suède que décrit clic, libre à toi, mais je ne partage pas ce point de vue.Et par "langue", je ne parle pas seulement ici de quelques mots qu'il faut inventer pour se tenir à la page (mots souvent directement importés de l'anglais d'ailleurs, n'en déplaise à la commission de terminologie). Mais bien de l'écosystème qui fait qu'un élève qui va étudier en français pourra trouver des publications (éventuellement des traductions) en français et de haut niveau liées à son sujet d'étude pour plus tard écrire lui-même en français ou en anglais.
Quant à un brevet qui enrichirait la langue française, c'est une question piège au regard de ce que je viens d'écrire. Et le renversement de la charge de la preuve n'est pas aussi évident que tu veux bien le dire : rédiger en anglais peut appauvrir la langue sans que rédiger en français ne l'enrichisse (tu réduis le champ des possibles à deux possibilités). Mais je garde l'idée en tête, on ne sait jamais...
Oui, on peut enrichir la langue en revenant aux classiques. En regardant un récent numéro de l'émission
, tu entendras Serge Moati citer l'oxymore de l'obscure clarté et Nicolas Sarkozy ne même pas reconnaître Corneille…Ensuite, le débat ne peut pas s'épaissir si l'on mélange la rédaction des brevets et l'enseignement (oral). Est-ce que j'ai écrit qu'il fallait enseigner à la suédoise, certainement pas : je suis le premier à déplorer le monolinguisme, dans un sens comme dans l'autre.
Ce sont des remarques assez périphériques au coeur de mon propos : je reste sur la ligne
qui dit que s'il faut aider la langue française à exister, alors il faut bien choisir ses domaines d'intervention. Bien enseigner les langues n'a que des avantages, mais ce n'est pas le sens des politiques actuelles de la francophonie.Dans l'ordre
Tom > Le latin ? Mais ca donnerait un avantage trop important aux scientifiques du vatican ! (comment dit-on "intelligent design" en latin?) Et puis choisir le latin, c'est vouloir remplacer la langue de l'empire par la langue d'un empire plus ancien... Non, militons pour le gaulois !
Tom (encore) > Oui ca pose un probleme de domination parfois. Mais les tractations pour les Nobels sont plus complexes qu'un seul probleme de langue. Et enfin, oui quelqu'un qui se debrouille mal en anglais laisse une mauvaise impression et on n'a pas envie d'aller a son contact. Mais c'est exactement pareil pour quelqu'un qui fait une presentation powerpoint merdique et pourtant personne ne propose de supprimer ou de limiter l'usage des ordinateurs.
Matthieu > C'est parce que je ne commente que quand je ne suis pas d'accord et que j'ai du temps. Si je laissais un mot sur vos blogs chaque fois que j'approuve j'en finirais pas... Bon j'arrete la pour les fleurs, faut que j'aille mettre une note sur ton dernier post politique :-)
Enro #4 > d'accord pour la communication publique. Mais je n'ai jamais vu personne parler anglais a TF1 ou dans La Recherche. Pour la communication informelle, evidemment, entre francais on parle francais. Pour l'experimentation : c'est la solution adoptee par l'armee suisse, chacun doit etre capable de comprendre les ordres dans toutes les langues. Mais tu reconnaitras que c'est un vocabulaire beaucoup plus limite ! Personnellement, je ne peux pas faire l'experimentation : je parle espagnol et comprends l'italien. Et enfin, et surtout, je ne me suis jamais -mais vraiment jamais- retrouve dans une reunion avec uniquement des francais, des italiens et des espagnols. Ca me parait donc tres tres limite sur le plan pratique comme solution, non ??
timothee > C'est drole, je n'ai jamais vu un expat regretter que les locaux ne parlent pas plus leur propre langue sur leur lieu de travail....
dvanw > Oui, toute classification a un effet. Les classes sociales (et la solidarite de classe) ont disparues de notre imaginaire politique et scientifique (les rares articles de socio qui parlent de "classe" sont des articles dedies a l'ecole primaire...) sans pour autant que les classes aient disparues. Mais elles ont disparues aussi en anglais, en allemand, etc. Et je ne voies pas en quoi des classes en anglais seraient intrinsequement plus mauvaises qu'en francais.
enro #9 > je ne connais pas bien le probleme des brevets. Mais j'ai l'impression que le probleme (evidemment accru pour des PME) est dans le cout de la traduction qui serait paye par celui qui depose le brevet. Mais si vous deposez un brevet international, il faut bien, a un moment ou a un autre, qu'il soit traduit, non ? Et ce cout est de toute facon repercute dans les frais administratifs de depot de brevet ou je me gourre ?
Pour ce qui est de l'appauvrissement de la langue, je m'etrangle. Une langue s'enrichit au contact des autres langues. L'anglais et le francais ont une longue tradition d'echange. Je vous invite a lire "Honni soit qui mal y pense" par H. Walter. Il m'est arrive de tomber sur un mot "precieux" en anglais dans un article. Aucun de mes collegues ne le comprenait. Moi oui, c'etait un derive limpide du francais !
clic > pareil que pour enro
fr > merci :-)
enro #13 > le probleme de l'universite est-il d'enrichir la langue francaise ou d'enrichir ses etudiants de connaissances ? Comment veux-tu "qu'un élève (... puisse) trouver des publications (éventuellement des traductions) en français et de haut niveau liées à son sujet d'étude" ? Il faut militer pour une science nationale ?? Traduire toutes les revues ?
Dans qq semaines j'accueille un etudiant indien qui vient de Tuebingen (allemagne). Tous leurs cours de master sont en anglais. Est-ce scandaleux ? L'allemand est-il en danger ? En tous cas cela leur permet d'avoir des enseignants de grand niveau qui viennent de l'etranger donner des cours ou des seminaires et d'accueillir pour plus de la moitie des etudiants de tous les pays du monde (et il va sans dire qu'ils ne prennent pas les moins bons...). "Brain gain" au lieu de "brain drain". C'est pas tout benef pour leurs labos ?
Fr. #14 > Tu es finalement pour la diversité, et moi aussi. Et je pense qu'enseigner les langues permet aussi de valoriser le français a contrario. Mon but ici était de faire réfléchir les scientifiques à l'utilisation qu'ils font de l'anglais et de leur langue maternelle, mission apparemment accomplie ! Je ne suis pas non plus naïf, je reconnais le besoin d'une langue internationale de communication à condition qu'elle ne remplace pas la langue d'un pays...
blop #15 > Rapidement, à propos des brevets, c'est bien le déposant qui paye la traduction de sa demande de brevet dans chaque pays où il la dépose. Sauf avec le projet de brevet communautaire en discussion, et même avant avec la ratification du protocole de Londres, qui conduiraient à ce qu'un brevet rédigé en français, en anglais ou en allemand soit valable dans tous les pays d'Europe sans traduction. On s'en doute, cela reviendrait dans les faits à une domination écrasante de l'anglais... mais à un dépôt moins coûteux pour les entreprises françaises, européennes ou autres ! Sinon, il est évident qu'on ne peut traduire toute la littérature scientifique mondiale en français. Mais, pour ce qui est du domaine des sciences naturelles, il est bon de maintenir le français comme langue de science en parallèle de l'anglais. Par exemple, en encourageant une revue comme Médecine/Sciences qui est une des seules à publier des articles de recherche médicale en français, ce qui est indispensable à la fois pour les praticiens curieux, pour les étudiants et, encore une fois, pour l"écosystème" de la médecine en général... Non pas tant parce qu'ils ne pourraient pas comprendre l'anglais que parce que sinon, le français serait perdu comme langue médicale actualisée... Et que cela offre un espace pour publier autrement, non soumis à la domination anglo-saxonne. J'espère que je me fais un peu mieux comprendre ;-)
Absolument, je suis pour un forme de diversité raisonnée -- je venais me connecter cet après-midi pour souligner ce point sur lequel nous sommes parfaitement d'accord, mais tu m'as pris de court.
La médecine est un exemple bien choisi : le français n'y existe plus et l'anglais international y est plus atroce que partout ailleurs (ça se passe d'exemples). Mais l'anglais en médecine a des avantages indéniables, à commencer par PubMed. Avant de parler anglais, la médecine d'ailleurs une autre langue internationale : le mélange latin-grec caractéristique du vocabulaire médical, qui facilitait déjà les échanges.
A l'inverse, le français y est bien protégé par l'enseignement et le rôle crucial des longues années de cours, puis des discussions entre collègues, les congrès organisés pas les sociétés savantes et leurs revues, et ainsi de suite.
Dans mon ordre d'idées, un moyen efficace d'aider la langue française en médecine serait d'inciter à un renouveau de la littérature médicale, non pas par les revues (qui communiquent des résultats transitoires à large diffusion) mais par les ouvrages, les textbooks que se tape tout étudiant de PC/DCEM et qui constituent le premier pilier de connaissance du futur praticien. Par exemple, on pourrait aider Masson à baisser le prix de ses ouvrages pour concurrencer Elsevier et en augmenter la qualité littéraire du texte, actuellement faible (inclure des iconographies qui feraient pâlir Netter aiderait un peu, je pense).
Je remets une couche : la diversité bien pensée bénéficiera à tout le monde, c'est notre ligne commune à Enro et moi-même.
"souvent un basic english bien pauvre, qui empêche de penser ou presque" je suis perplexe, la litérature dit que mettre des phrases trop simple autour des équations empêche de penser ? Des articles a lire ?
Mon intuition sur le sujet est qu'il y a une très grande valeur sociale a avoir une langue commune, l'anglais "globish" est relativement simple (disont qu'on fait pire :) et comme on le voit à travers les anecdotes des commentateurs, efficace dans son objet social. Ensuite, quel avantage pour les "native speakers" ? Je dirai que connaitre et pratiquer qu'une seule langue est plutot un désavantage au final par rapport à un bilingue pratiquant. Deux visions sur un même objet (la communication des idées et sentiments) c'est toujours un plus, non ?
Au niveau bénéfice "anecdotique" lire lifelong bilingualism delays the onset of dementia by 4 years
Pour ce qui est des brevets, il faut savoir que le brevet s'impose a tous dans la vie de tous les jours, et pas seulement aux grandes entreprises, en pratique le brevet est une loi privée sur la pensée, que dirait-on si la loi de notre pays était écrite en chinois ?
Et bien, quel débat animé !
Cela me rappelle un petit article que j'avais lu dans La Recherche (je me demande si ce n'était pas une chronique d'Antoine Danchin) : celui-ci déplorait que l'Anglais soit aussi systématiquement utilisé pour forger de nouveaux termes scientifiques. L'exemple qu'il citait était l'affreux "spliceosome", concaténation immonde d'un mot anglais sur un suffixe grec (utilisé par ailleurs depuis longtemps j'imagine). Le type qui a inventé ce terme manque effectivement tout à fait de poésie et probablement de culture .... Sinon, mon chef ici est un américain francophone très doué. Il voulait même qu'on travaille en français au début, mais il n'arrivait pas à penser la physique en français. Je pense qu'il fait figure d'exception ; il est totalement non américain dans sa façon de penser ( et, de façon surprenante, a une sale réputation d'arrogance ;), injustifiée selon moi ).
C'est ca, c'était bien Danchin, bien dans La Recherche, et dans une des chroniques en fin de numéro (dans les cadres bleu clair moche) et il m'a définitivement convaincu de ne plus utiliser que
. Ca m'avait beaucoup rire sur le coup, puis beaucoup réfléchir par la suite...Ceci dit, être bilingue, c'est aussi être bien embêté quand on a
...c'est un peu tard, mais je voulais juste signaler cet article dans Nature et les liens associes
.blop > Très intéressant en effet, merci. Je retiens ces deux passages (en anglais !) :