Après un billet qui a été largement enrichi par les commentaires des lecteurs (que je remercie), revoilà  le CNRS qui a publié hier la version 4.2 (encore provisoire mais votée par le Conseil scientifique) de ses objectifs pour 2020.

Evidemment, je m'intéresse surtout au chapitre sur "Le CNRS : acteur dans la société" (pp. 28-33) tandis que d'autres s'intéresseront plus aux engagements pour l'interdisciplinarité, la croissance économique ou les ressources humaines. Qu'y lit-on ?

La thématique « Science et société » a toujours été importante pour le CNRS. Elle prend aujourd’hui une signification nouvelle. Il ne s’agit plus seulement de faire pénétrer la science dans la société, mais de répondre à  la pénétration multiforme de la science par la société. Le CNRS doit se situer dans un contexte mondial marqué par la privatisation de la connaissance et par la demande de participation civile. Dans ce but, il adaptera ses missions traditionnelles de promotion de la culture scientifique et technique, d’expertise et d’évaluation, de diffusion de l’information scientifique et technique, et de communication.

Ouah, on ne nous dit pas comment mais on nous promet déjà  des "adaptations" ! Par contre, rien sur la première mission du CNRS, celle de la production de connaissances, qui n'aurait donc rien à  voir avec la société. Exeunt les boutiques de science et autres programmes PICRI ? Ah non, c'est six paragraphes plus loin :

Enfin le CNRS développera des moyens d’analyse de participation de la société civile à  l’élaboration des politiques de recherche. A l’heure actuelle, la capacité scientifique de l’organisme d’analyse de la participation civile fonctionne pour l’essentiel soit en interne, soit à  la demande des décideurs politiques ou économiques. Elle sera désormais aussi conçue comme une expertise susceptible de soutenir la participation civile à  l’élaboration des politiques de recherche.

Remarquez quand même le vocabulaire que j'ai mis en gras, très très prudent et laissant, je crois, une très faible marge de manœuvre. Mais continuons :

l’organisme valorisera la diffusion des connaissances et les activités de médiation scientifique parmi les chercheurs. L’organisme incitera les chercheurs à  prendre en considération la diffusion des connaissances dans leur stratégie de publication, en valorisant davantage cette activité dans les carrières. La formation des chercheurs et des ingénieurs aux pratiques de médiation scientifique sera assurée.

La vache... Déjà  en 1992, à  la suite de la Loi d'orientation et de programmation de 1982, le rapport Kunth jugeait particulièrement préoccupant que la vulgarisation scientifique ne soit pas prise en compte dans la carrière des chercheurs par les commissions nationales des organismes de recherche (p. 4) ! On finirait donc par y arriver ?...

Attention, le summum :

le CNRS adoptera un autre régime d’échange avec le public. Il est essentiel que le public comprenne la complexité des processus d’élaboration et de justification des connaissances, et ne soit plus traité comme un pur récepteur passif.

Alors là , excusez-moi mais je ne vois pas en quoi se faire expliquer la complexité des processus d’élaboration et de justification des connaissances rend l'auditeur actif ! Certes c'est une bonne idée, c'est ce que je vais moi-même m'essayer de faire dans quelques semaines au festival Paris-Montagne, en expliquant les mécanismes de l'écrit scientifique, de la publication évaluée par les pairs etc. Mais bon, le public aura entre 9 et 18 ans. Au-delà , franchement, il faut penser de nouvelles pédagogies (je pense par exemple à  ce que pratique la Cité des sciences et de l'industrie en comparaison du Palais de la découverte) mais plus globalement de nouveaux modes d'interaction et d'immersion de la science dans la société ou bien celui qui aura compris la complexité de la science en train de se faire ne pourra pas plus agir !

Puis une idée qui me semble un peu nouvelle et peu être intéressante si elle est bien organisée (mais qui n'est malheureusement pas reprise dans la synthèse des premières pages) :

Le défi pour le CNRS est de devenir capable de mettre aussi son expertise à  la disposition du système social. La relation d’expertise ne doit pas être confondue avec les interactions diverses entre le système économique, le système politique et le système social. Le CNRS ne peut offrir qu’une évaluation cognitive (une expertise scientifique). Mais, s’il veut affirmer sa fonction sociétale, il doit au moins contribuer à  démocratiser l’expertise. Il y a pour le CNRS et pour ses personnels un devoir d’écoute sociale, un devoir d’alerte et de prospective, un devoir de mettre en place l’organisation appropriée à  un tel rapport à  la société.

Par exemple les lanceurs d'alerte pourraient être protégés et institutionnalisés : parfait... Enfin, le petit paragraphe qui fait plaisir (plaisir égoïste, je vous l'accorde) :

Le CNRS favorisera le développement de recherches philosophiques, historiques, sociologiques, économiques, politiques et éthiques sur la science et la technologie. Le succès de telles recherches a trois conditions : que des communautés de spécialistes (philosophes, historiens, sociologues) soient repérées et structurées ; deuxièmement, que les études sur la science soient développées et appropriées par les disciplines scientifiques elles-mêmes ; enfin, que ces réflexions soient nourries par des échanges réels avec le public et les décideurs. Le CNRS favorisera le développement de telles études, en garantissant un vivier de compétences aujourd’hui déficitaire dans notre pays, en garantissant leur excellence scientifique, et en structurant les réseaux de collaboration interdisciplinaire et de communication externe qui leur sont indispensables.