Quelques mois après le Comité d'éthique du CNRS, le Comité national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a publié le 1er mars son 96e avis consacré aux questions éthiques posées par les nanosciences, les nanotechnologies et la santé. Parmi les personnes auditionnées par le groupe de travail, notons la présence des philosophes et sociologues des sciences Jean-Pierre Dupuy et Bernadette Bensaude-Vincent.

Passées les cinq premières pages re-situant le paradigme des nanotechnologies et de la convergence Nano-Bio-Info-Cognitif (NBIC), les considérations éthiques démarrent en constatant que pour le moment, les nanosciences ne semblent pas (encore ?) avoir modifié notre représentation de l’univers et les nanosciences n’apparaissent pas, pour l’instant, comme une discipline scientifique nouvelle qui nous révèlerait le monde, ou nous-mêmes, comme différents de ce que nous croyons être. L'enjeu se situe plutôt au niveau de ce que les nanotechnologies permettent de faire, d’où la discordance qui surgit entre la perception du public et ce qui est proposé sur le marché (on me permettra d'être circonspect…).

Les problèmes éthiques des nanotechnologies sont donc réduits aux problèmes que posent habituellement le développement des technologies :

  • traçabilité ;
  • effet biologique et biodégradabilité ;
  • éventuelles « propriétés nouvelles » de la matière manipulée à  l’échelle du nanomètre ;
  • portion congrue du budget de R&D consacrée aux risques pour la santé (0,4% seulement au niveau mondial) ;
  • tentation d’une déconnexion entre le discours et la réalité (parallèle fait avec les débuts des OGM, où l'on promettait de lutter contre la faim dans le monde alors que des maïs resistants au Round-Up étaient mis sur le marché).

Les auteurs constatent aussi avoir le sentiment que le domaine des nanosciences et des nanotechnologies se présente plus comme une série de réponses et de solutions, que comme une activité de questionnement, caractéristique habituelle de la recherche. Ce problème éthique essentiel regrette que l'on produise pour comprendre avant de produire pour vendre et que l'on manque de recherche fondamentale — ou pire, que celle-ci ne soit pas rendu publique. C'est parce que la connaissance est un pré-requis nécessaire à  l’exercice de la responsabilité que la première recommandation d’ordre éthique serait d’exiger un développement de la recherche fondamentale amont, et pas simplement en aval, des applications techniques.

Les autres recommandations incluent :

  • la mise à  disposition d'information suffisante sur la redoutable propriété ambivalente des nanosystèmes moléculaires conçus par l’homme de pouvoir traverser les barrières biologiques, notamment entre sang et cerveau, et d’être actuellement peu ou pas biodégradable, ce qui risque d’avoir, en dehors d’indications thérapeutiques précises, des conséquences majeures pour la santé (pfiou !) ;
  • le développement de la nanométrologie pour concevoir et multiplier les instruments qui permettront de détecter et identifier les nanoparticules ;
  • le soutien du développement de la recherche fondamentale du domaine des nanosciences, en respectant la liberté de cette recherche et en incorporant la réflexion éthique (par exemple sous la forme d'un paragraphe dédié dans les thèses en nanosciences et nanotechnologies) ;
  • l'incitation, dans une même problématique, des recherches pluridisciplinaires pour que la conception de nanomatériaux et nanosystèmes nouveaux s'accompagne de l’étude de leurs effets primaires sur l’environnement et la santé, par exemple en ne les séparant pas entre différents appels à  projets (ANR, PCRD etc.) ;
  • la priorité à  toutes les mesures de protection nécessaires des travailleurs au contact des nanomatériaux, et de confinement des lieux d’étude et de production de ces nanomatériaux en privilégiant les effets des faibles doses ;
  • le rétablissement d'une relation de confiance par la transparence et la diffusion continue des acquis scientifiques à  la communauté des chercheurs publics et privés grâce à  une réglementation européenne exigeant une déclaration obligatoire de toutes nouvelles nanostructures avec leurs conséquences éventuelles sur la réactivité biologique (avec un nano-REACH ?) ;
  • la priorité aux informations en réseaux des Agences : de la Biomédecine, AFSSAPS, AFSSA, et celles de l’Institut de Veille Sanitaire — en obligeant par exemple les industriels à  étiqueter visiblement les produits contenant des nanoparticules créées intentionnellement pour que le consommateur puisse éventuellement en refuser l'usage ;
  • le développement de la diffusion de la culture scientifique, technologique et industrielle dans le domaine des nanosciences et nanotechnologies en organisant par exemple des débats citoyens (appel du pied à  l'association VivAgora…) ;
  • une vigilance extrême sur les graves conséquences pour les libertés individuelles et le respect de la dignité humaine si les capacités d’identification et d’interconnexion se développent à  l’insu des personnes.

Les conclusions de l'avis sont très sages, en soulignant notamment que la course à  l'innovation — qui engage la société dans son ensemble, et qui ne peut pas être simplement laissée aux seuls acteurs économiques ou associatifs — ne doit pas se faire au détriment de l'intégrité physique et mentale des personnes ! Souvenons nous que pour le Comité d'éthique du CNRS, il faut une concertation des parties intéressées et notamment des représentants de la société civile pour cerner les attentes du corps social dans son ensemble ” afin de réguler le cours des recherches en fonction de la désirabilité des innovations techniques et pas seulement de leur acceptabilité. Bis repetita, que nos dirigeants les entende