Ce texte est la traduction autorisée d'un billet paru sur le blog de John Hawks (professeur d'anthropologie à  l'Université du Wisconsin-Madison), que je remercie. Son point de vue m'a semblé intéressant et j'espère qu'il suscitera des discussions !

La médiatrice sortante du Washington Post, Deborah Howell, a signé un éditorial sur le journalisme scientifique. Elle y répond aux réactions des lecteurs et professionnels suite à  la publication d'un article d'envergure en novembre, lequel rapportait que les statines pourraient réduire de 44% l'incidence des crises cardiaques, même chez les personnes sans antécédents de maladie cardiaque ou accident vasculaire cérébral.

Le problème fondamental, souligné notamment par l'ancien directeur des NIH Harold Varmus, est qu'une réduction de 44% d'une valeur très faible (1,36%) n'est pas grand chose. Pour dire les choses différemment, près de 97% des personnes utilisant le médicament ne verraient aucune différence.

Howell se concentre essentiellement sur le manque de transparence des financements privés derrière les études cliniques — un vrai problème, mais qui dissimule souvent une volonté de supplanter l'argent de l'industrie par les subventions publiques. (Après tout, pourquoi pas les deux ?)

Mais dans un passage beaucoup plus intéressant, elle cite le chef de la rubrique "Science" du Washington Post, à  qui revient l'ultime décision sur quoi publier et à  quelle place :

Nils Bruzelius, le chef de la rubrique "Science" du Washington Post, explique : J'ai pensé que l'article et sa place en couverture étaient justifiés parce que son impact potentiel était significatif, bien que je comprenne les critiques. Il y a une tension inévitable entre le désir des journalistes et rédacteurs de bien placer leurs histoires et le besoin d'éviter la mode et la surenchère, et nous ressentons cela très fortement avec les histoires scientifiques ou médicales, car les avancées, même celles qui se révèlent faire partie de quelque chose de très gros, viennent généralement par étapes incrémentales. J'ai longtemps cru que les histoires scientifiques et médicales ont un certain désavantage dans cette compétition. Je n'ai sûrement aucune preuve mais je soupçonne la plupart des rédacteurs de haut rang qui décident de ce qui va en couverture d'être moins attirés vers ces sujets que le lecteur moyen car, à  quelques exceptions près, ils sont un groupe auto-sélectionné qui est arrivé là  où il est à  la force de sa familiarité avec des sujets tels que la politique, les relations internationales, la guerre et sécurité nationale — et non la science.

Voilà  une affirmation qui en dit long. Je ne crois pas que la science soit unique de ce point de vue, malgré tout — après tout, la plupart des processus politiques sont incrémentaux, et impliquent bien plus de sujets obscurs comme la procédure parlementaire, la comptabilité du budget et les officiels dans les arcanes. Un article sur la réforme du système de soins doit décrire toutes ces choses de la même façon qu'une histoire sur la génomique personnelle. S'il y a une différence, elle tient à  ce que les sujets scientifiques reçoivent largement moins d'attention, si bien qu'il y a peu de gens qui suivent les étapes incrémentales. Cela signifie que chacune des histoires peu fréquente doit contenir toujours le même matériau de fond ou bien être très superficielle. A l'autre extrême se trouve le journalisme sportif — pour lequel de nouveaux résultats tombent constamment et dont la plupart des lecteurs connaissent les équipes principales, les joueurs et les règles du jeu.

Le problème réel n'est donc pas la nature du sujet, c'est la nature des chefs de rubrique — voir la dernière partie de la citation de Bruzelius. Ils comprennent la politique. Ils ne comprennent pas la science. N'ont aucune formation en la matière. Sentent difficilement ce qui est réaliste et ce qui est fantaisiste. Et contrairement à  la politique — pour laquelle peu de journalistes ont peur d'éditorialiser — il y a peu de tentative de tenir une posture éditoriale cohérente.

(via Bora Zivkovic, "A blog around the clock")