De longues rétractations
7
janv.
2009
Décidément, rien ne va plus au royaume des hormones végétales. En avril 2007, un travail mettant le doigt sur le signal à l'origine de la floraison (appelé florigène) faisait l'objet d'une rétractation ; le mois dernier, c'est un travail identifiant le récepteur de l'acide abscissique et publié dans la revue Nature qui a été effacé des tablettes de la science. Comme le raconte l'éditorial de la revue, ce travail avait été cité 120 fois malgré un accueil plutôt froid (c'est en tous cas ce qu'on raconte aujourd'hui), les résultats annoncés allant à l'encontre de ce qu'on savait déjà ... Comme souvent, le postdoc qui a fait les expériences douteuses a quitté le laboratoire et est introuvable !
L'article original était paru en janvier 2006. La rétractation, elle, a été demandée en juin par les chercheurs du laboratoire et publiée en décembre par la revue Nature. Soit 33 mois plus tard, ce qui est relativement long, même si les chercheurs concernés par la nouvelle étaient probablement déjà au courant grâce aux bruits de couloir ou annonces sur listes de diffusion comme cela se fait parfois. Il n'empêche. Selon une enquête de John P. Ioannidis (le poil à gratter de la recherche biomédicale qui avait affirmé en 2005 que la plupart des résultats scientifiques sont faux), la rétractation d'un article paru dans une revue en vue (facteur d'impact supérieur à 10 et recevant plus de 30.000 citations par an) prend autour de 34 mois (médiane).
Mais ce n'est pas tout : Ioannidis et ses collaborateurs se sont rendu compte que la rétraction prend 79 mois quand un chercheur senior est impliqué dans la recherche frauduleuse contre 22 mois quand il s'agit de chercheurs juniors. Une différence significative qui reste encore encore à expliquer. Et enfin, pour une revue donnée, les articles rétractés ne diffèrent en rien des autres articles vis-à -vis du nombre de citations reçues dans la première année, le nombre d'auteurs, le pays, l'origine du financement ou la discipline, mais sont deux fois plus susceptibles d'avoir des auteurs de différents pays ! Ce qui n'était pas le cas ici, cette exception confirmant la règle.
Commentaires
Tout d'abord félicitations pour la qualité de ce blog qui est maintenant dans mes favoris!
On parle surtout des rétractations des papiers publiés dans des journaux "d'importance" avec une grande visibilité. Dans le cas d'un article comportant des données fausses, la pression sur les auteurs pour que l'article soit rétracté est assurément plus forte dans un journal généraliste à gros impact (Nature, Science etc...). Mais que dire des journaux spécialisés, avec un public très restreint? D'après Broad et Wade (La souris truquée, Ed Points sciences - un classique) ce genre de journaux est truffé d'articles "bidons", jamais rétractés. Je suis assez enclin à les croire, étant témoin de ce qui se passe dans le domaine biomédical. Dans le domaine médical, la publication scientifique n'est souvent (hélas!) qu'un moyen pour les auteurs de progresser dans l'échelle hiérarchique et non un moyen communication et de partage du savoir. Ceci est à l'origine, il me semble, d'une très grande quantité d'articles bidons... Olivier
@Olivier > Ou comme l'écrivait Tom Roud avec l'une de ces formules lapidaires dont il a le secret, ! Et merci pour le compliment, je rougis…
"la rétraction prend 79 mois quand un chercheur senior est impliqué dans la recherche frauduleuse contre 22 mois quand il s'agit de chercheurs juniors"
est-ce calculé d'après le premier auteur? Je pense que cette différence reste à expliquer parce qu'on n'arrive pas à choisir parmi les dizaines d'explications possibles (un exemple: les jeunes chercheurs, qui ont une énorme pression pour publier, seront enclin à bâcler les vérifications).
@Benjamin : Pour ce travail, il s'agit de l'auteur qui est réputé avoir fraudé (le plus souvent en effet, seul un auteur s'est mal conduit et cause la rétraction de l'article) et que l'on qualifie comme junior ou senior selon son statut et expérience (rien à voir a priori avec le rang dans la liste des auteurs, même si dans les faits les chercheurs seniors se trouvaient plus souvent en dernier auteur).
Et voici comment ce résultat est interprété dans l'article :
On se rétracte généralement suite à des mails ou des lettres envoyées à l'éditeur. La démarche de signaler une fraude ou des résultats qui semblent "bricolés" n'est pas toujours évidente. La plupart des chercheurs se plaignent volontiers de fraude scientifique dans leur domaine, mais très peu les dénoncent en temps voulu. Quand c'est le cas il est nettement plus facile de "charger" un junior qu'un senior... Du point de vue du rétracteur, plus on accumule de reconnaissance et d'expérience plus il est difficile - et long - de revenir sur sa publi (ah l'orgueil...)
Rien à voir avec le post... : on vous cite sur rue89 !
Cordialement,