Le problème des OGM, ce n'est pas qu'en Europe. Et les jurys de citoyens, ce n'est pas qu'en France.

Ainsi, il s'était tenu en janvier 2006 (mais je l'apprends seulement par le dernier numéro de la revue Territoires) une conférence de citoyens au Mali sur la question des OGM et de l’avenir de l'agriculture du pays. Rendue possible par la combinaison d’une structure de démocratie participative locale, l’Espace communal d’interpellation démocratique (Ecid, organisé dans la région de Sikasso pour débattre du processus de décentralisation), et d’éléments méthodologiques tirés des jurys de citoyens. Elle devait statuer sur la problématique épineuse des OGM, que les firmes de l'agro-industrie tentent d'imposer à  une filière coton en crise (soutenues en plus par USAid, l’agence des Etats-Unis pour le développement international, notamment mandatée pour promouvoir les OGM). D'après l'article de Territoires :

Au Mali, s’il existe quelques groupes qui financent la recherche sur les OGM, il n’existe en revanche pas d’autorisation gouvernementale qui permette la réalisation d’études en plein champ. Le Mali réunit des conditions politiques propices à  l’organisation d’un tel débat : liberté d’expression, de rassemblement, de la presse et décentralisation. L’existence de médias et notamment de radios libres a permis à  près de 800 000 personnes d’être tenues informées de la teneur des débats et des recommandations du jury, analyse Michel Pimbert.

© Michel Pimbert

Concrètement, quatre commissions ont été formées (gros producteurs, producteurs moyens, petits producteurs et groupe des femmes — soit 45 personnes en tout) pour entendre et interroger les témoins-experts. Pas vraiment des profanes mais des parties prenantes, sauf peut-être dans le groupe des femmes. L'avis rendu est une lecture très intéressante, aussi parce qu'il fait état de l'incompréhension qui peut exister entre les mondes productivistes et paysans, Nord et Sud ou matérialistes et animistes. Comme cette remarque : Considérant l'éthique et la religion de notre société, prendre un gène d’animal inconnu chez nous et l’introduire dans une plante n’est pas notre souhait à  nous, producteurs. Ou encore : Ne mener aucune recherche scientifique sur les OGM au nom des producteurs maliens car nous, paysans maliens, sommes contre les OGM. Michel Pimbert, coordinateur de l'événement pour l'Institut international pour l'environnement et le développement, souligne le critère d’équité invoqué par les gros paysans et l'aspect à  la fois combatif et constructif des femmes, qui demandent par exemple à  être formées aux techniques de production du sésame et du coton biologique.

Des recommandations qui confortent le gouvernement dans sa décision de ne pas introduire d’OGM. Cette expérience est aussi une façon de montrer au gouvernement le type de participation citoyenne que l’on peut mettre en place dans le cadre du protocole de Carthagène sur la biodiversité, dont le Mali est signataire. Le projet de loi qui découle du protocole prévoit en effet l’organisation, au niveau national, de procédures de participation du public avant toute introduction d’OGM.

Dans la culture africaine, la démocratie participative va de soi si on l'inscrit dans la lignée des conseils des anciens et des palabres. Appliquée aux débats techno-scientifiques, elle est pourtant originaire du nord de l'Europe. Un métissage qui montre que les bonnes idées n'ont pas de frontières...

[Mà J 26/05, 12h39] : Pour en savoir plus, écouter l'émission "Terre à  terre" (France culture) du 20 mai 2006.