Pesticides et raccourcis
7
janv.
2006
Aujourd'hui entre 14 et 15 heures, Jean-Marie Pelt intervenait sur France inter comme chaque semaine, dans l'émission "CO2 mon amour". Faisant une sorte de bilan de 2005, il revenait sur la question des pesticides. Voici un extrait de ses propos, que je souhaiterais commenter :
L'Institut national de la recherche agronomique a dit qu'on ne pourrait plus continuer l'agriculture intensive comme on le fait depuis 50 ans, fondée sur des quantités énormes de produits chimiques en particulier des pesticides. [ ] Je pense surtout à mes amis paysans [ ] à qui on va dire cela et qui vont répondre cette chose plein de bon sens : "Mais comment se fait-il qu'on nous fait acheter des produits qui sont dangereux ?" Mais quelle merveilleuse question ! Les paysans sont plein de bon sens et de jugement, et ils sont tout à fait capables de comprendre qu'ils sont en fait instrumentalisés par des multinationales et qu'on pourrait faire autrement avec d'autres types de produits, et avec moins de produits.
Sans vouloir m'attarder sur l'utilisation du vocable "paysan" ou sur la question du bon sens des uns (les "amis") et du "mauvais sens" des autres (de facto les ennemis), je remarque ici quelques raccourcis et généralisations trompeurs dans la seconde moitié de cet extrait. Si je comprends bien, Jean-Marie Pelt y affirme que les agriculteurs sont à la botte des multinationales qui leur vendent des produits chimiques dangereux en dépit du bon sens alors qu'il existe "d'autres types de produits".
- D'abord, les agriculteurs n'ont pas attendu les multinationales pour vouloir traiter et protéger leurs cultures, en témoigne l'utilisation de la bouillie bordelaise entreprise par les agriculteurs eux-mêmes dès 1878. Les pesticides ne sont pas des produits unilatéraux que les uns tenteraient d'imposer aux autres ! Conformément à la loi de l'offre et de la demande, la première n'existe pas sans la seconde.
- Ensuite, la production des pesticides n'est pas l'apanage des multinationales, en témoigne des entreprises comme Agriphyt ou la Compagnie générale des insecticides ; il faut choisir qui l'on vise au juste, les fabricants de pesticides ou les multinationales en général.
- Certes, me direz-vous, mais l'offre de pesticides pourrait être faite de ces "autres types de produits", moins dangereux ! Sans autre précision de la part de Jean-Marie Pelt, nous émettrons l'hypothèse que ces autres produits sont les produits phytosanitaires autorisés en agriculture biologique. Or ceux-ci, même s'ils sont généralement d'origine naturelle, n'en sont pas forcément moins dangereux ! Ici, on retrouve la confusion fréquente entre produit naturel, produit de synthèse (qui sont tous les deux des produits "chimiques") et dangerosité.
Enfin, le reste est affaire d'opinion et de conviction personnelles. Mais qu'au moins les termes du débat soient posés avec précision et pédagogie et non par raccourcis et amalgames.
Commentaires
C'est vrai que le raccourci est trop souvent établi et peu argumenté... Après avoir écouté l'intervention de Jean-Marie Pelt (et son allusion à un article du Figaro), il m'a cependant été rappelé l'importance de la prescription des produits phytopharmaceutiques, que je voudrais ici mettre en évidence :
"Le conseil en protection phytosanitaire est aujourd'hui majoritairement dispensé par les agents commerciaux des coopératives qui vendent les pesticides et sont intéressées à la fois à vendre davantage d'intrants (doses de semences, engrais, pesticides...) et à collecter un volume de récolte maximal, c'est-à -dire à maintenir des systèmes intensifs" cf rapport expertise collective INRA- Cemagref Décembre 2005.
Et il me semble même que la nouvelle politique agricole commune impose une séparation entre le conseil et la vente d'ici 2007? Un avenir certain pour les consultants...?
Enfin, je crois en l'agriculture française, en la qualité de ses productions et souligne aussi l'intérêt des produits phytosanitaires. Comment envisager une prescription plus juste ?
Ce serait effectivement une avancée importante que de séparer la prescription de la vente. Cependant, il ne faudrait pas que la consultation du prescripteur ait un coût pour l'agriculteur, dont le revenu est déjà régulièrement en baisse. La solution serait alors de prévoir une prescription "publique" et gratuite par des organismes agricoles comme l'Acta, Arvalis, le Cetiom...