Émission #fail sur France Culture ?
28
nov.
2010
« Comment le numérique peut-il développer la culture scientifique ? ». Tel était le thème de lémission "Science publique" du 19 novembre (animée par Michel Alberganti) avec Etienne Klein, Alexandre Moatti, Pierre Olivier Pulvéric et Bruno Racine. Le débat sannonçait ambitieux... Mais l'émission aurait dû s'appeler « Comment la numérisation du savoir peut-elle contribuer à diffuser la connaissance scientifique ? » vu l'angle étroit qu'elle s'est donné pour aborder le sujet.
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Vous avez dit numérisation des ressources ?
Les uvres historiques de la science sont numérisées de manière partielle ou intégrale (100 000 ouvrages / an) rapporte Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Celui-ci venait notamment discuter de l'accord signé le 7 octobre avec Microsoft pour lindexation sur le moteur de recherche Bing de ses uvres numérisées.
La bibliothèque en ligne Gallica de la BnF devrait compter 1,2 million de documents en 2011, pendant que Google Books s'impose aussi sur ce marché et passe un accord avec l'éditeur Hachette pour la numérisation de 40 000 à 50 000 uvres en langue française aujourdhui épuisées.
Avec un marché colossal et une logique de partenariats public/privé en plein essor, il ne faut pas oublier que dans le domaine scientifique se pose la question de la légitimité des sources, prévient Pierre-Olivier Pulvéric, invité au titre des Assises du numérique dont il est le Commissaire général adjoint.
Tant dinformations, comment ne pas se noyer ?
Pour Alexandre Moatti, blogueur et président du comité éditorial de Science.gouv.fr et de Bibnum.education.fr : « Internet, cest une confiance entre contributeurs ». L'internaute doit, par conséquent, jouir dune méthode, de repères, dune éducation aux usages numériques. Surtout : dune capacité de discernement et de tri, nécessaires à une identification des ressources de qualité, et une utilisation des moteurs de recherche qui s'apparente à la démarche de recherche du scientifique.
L'omniprésence de Google (et de son idéologie) soulève également la question de l'ordre des résultats de recherche (algorithmes de ranking), qui peut être déformé par le Search Engine Optimization ou la présence de liens sponsorisés sur le côté (qui sont de la publicité, purement et simplement).
Pour Bruno Racine, le savoir n'est plus un sanctuaire réservé à quelques initiés et touche plus de monde. Mais pour Etienne Klein, l'appropriation du savoir scientifique doit être linéaire, avec des passages obligés... or le magma du web ne permet pas d'en prendre le temps.
Une émission qui prend le petit bout de la lorgnette
Ces sujets sont intéressants mais à trop se focaliser sur la numérisation et le web, on en oubliait que la culture scientifique sur le web n'est pas que diffusion, et que le numérique ne s'arrête pas au web. Heureusement, Alexandre Moatti était là pour envisager l'idée qu'à lheure des réseaux sociaux en tous genres, ceux dédiés à la culture scientifique (comme Knowtex ou la communauté du C@fé des sciences, que j'ai contribué à fonder) permettent peut-être d'envisager de nouvelles formes de "mise en culture de la science".
En réalité, le numérique propose de nombreuses modalités d'engagement des communautés avec des contenus scientifiques, et des communautés entre elles (patients, scientifiques, chercheurs, blogueurs, amateurs ) autour de la culture scientifique. Qu'on pense aux serious games, plateformes de blogs et de partage de ressources, "débats participatifs" en ligne, pure players proposant d'autres lectures de la "science en train de se faire", webTV collaboratives Le ciel est la limite comme disent les anglo-saxons !
Des invités triés sur le volet
Aux Assises du numérique (organisée par une agence de relations publiques), la table-ronde "Le numérique pour une nouvelle politique des savoirs" était animée par Michel Alberganti. La pratique qui consiste à animer des débats s'appelle "faire des ménages" et c'est depuis longtemps une pierre dans le jardin de la déontologie des journalistes.
Le bulletin du Syndicat national des journalistes interrogeait en 1991 la "confusion des genres, due, par exemple, aux "ménages" effectués par certains de nos confrères, aux shows médiatiques télévisuels ou encore à l'omniprésence du sponsoring ou de la publi-info". Cette question n'a rien perdu de son actualité puisqu'elle était à l'ordre du jour des Assises du journalisme la semaine dernière. Servez la soupe à la personne qui vous embauche pour faire un ménage, comme ici, et on ne manquera pas de vous poser des questions. Dont acte.
D'autre part, il y a cette pratique du "Club Science publique" qui offre à Étienne Klein et Jean-Claude Ameisen (absent cette fois) un abonnement mensuel à l'émission. Je ne sais pas vous mais nous, cette pratique nous gêne. Et le regard d'Etienne Klein sur la culture numérique, bof
Une occasion manquée au final
Comment ne pas contraster cette émission avec l'ébullition du "grand mix", la soirée mariant culture scientifique et culture numérique qui s'est tenue à la Cantine (haut lieu parisien de la culture numérique) le 5 novembre dernier ? (disclaimer : je suis à l'origine de cet événement)
Étudiants, chercheurs, blogueurs, internautes, "geeks", opérateurs de recherche et institutions de culture scientifique y étaient réunis pour écouter quelques spécialistes (Dominique Boullier du médialab SciencesPo, Jean Menu d'universcience et Pierre Barthélémy de Slate.fr), assister à la présentation de projets qui changent la culture scientifique numérique (citons OwniSciences, Prisme de tête, Sciences et démocratie, ArtScienceFactory, Hypotheses.org ) et réfléchir lors d'ateliers à deux questions :
- la place des sciences dans les médias (hors ligne et en ligne)
- temporalité et persistance des contenus numériques.
Cet agent du changement, le magazine Politis l'a bien saisi dans l'article Controverses 2.0 publié la même semaine que l'émission de France culture. Extraits choisis :
Nous sommes à la Cantine, lieu parisien hautement connecté, pour une première réunion en vie réelle dun nouveau type de réseau, et cest lune des questions posées au public. Ici on parle de live-blogging, de serious games, de bookmarking ou encore de cross-post. Et pourtant lunivers en question est loin dêtre hermétique. Il se veut même le lieu dexpression dun nouveau type de lien social autour des controverses scientifiques. De jeunes initiatives qui ne passent pas inaperçues. ( )
Antonio Casilli est sociologue à lEHESS, spécialiste des questions liées à Internet et partie prenante dans le projet OWNISciences. « Internet ne dématérialise pas les pratiques de controverses sociotechniques classiques, mais les prolonge. Les forums citoyens en ligne peuvent bousculer les certitudes scientifiques. Ce nest pas nouveau et a déjà été observé dès les échanges télématiques du pré-web en 1988. Des personnes atteintes par le VIH avaient réussi, dans un réseau de résistance civile électronique, à faire évoluer les protocoles dessais cliniques américains. »
Alors, à quand un "grand mix" sur France Culture ?
>> Article co-écrit avec Lorena Biret et publié initialement sur le blog Knowtex
>> Image CC Flickr : hans.gerwitz
Commentaires
Antoine, comme tu as publié aussi ton billet ici (en sus de la publication Kowtex), je mets aussi le même commentaire que j'avais mis sur Kowtex (le cross-posting, pour reprendre ton expression, est accompagné assez naturellement du cross-commenting). Voici donc, légèrement relu et amendé :
Je vous trouve un tantinet sévères voire acides dans votre compte-rendu de cette émission, à laquelle en effet j’ai participé.
D’abord on ne peut pas comparer une émission sur F-Culture, entre « seniors », et une soirée comme « Le grand mix », plutôt entre trentenaires (plus ou moins dix ans). L'une et l’autre ont des objectifs différents, des invités différents, des publics différents. C'est comme sur Internet, les diffusions diverses sont complémentaires. Or vous semblez les mettre en concurrence, ce qui n’a pas de sens. Voire même, sur d’autres commentaires que j’ai vus par ailleurs, semble percer un certain regret de ne pas avoir été invités (me trompè-je ?). Alors là je dis : 1) attendez d’être senior :)- 2) plus sérieusement, les deux initiatives (émission de radio et soirée grand mix) sont complémentaires : toutes les initiatives sont bonnes pour favoriser Internet et la culture scientifique.
A cet égard, et c’est moi qui serai un peu acide là, mettez- vous un moment à la place des autres : certains pourraient penser que le "grand mix" c’est aussi « voir les choses par le petit bout de la lorgnette ». Qui peut prétendre détenir la vérité sur un aussi vaste sujet que « Internet et la culture scientifique »? N’y a-t-il pas danger, dans le domaine scientifique, à vouloir s’ériger en parangons de la Vérité ?
Je souscris à votre impression selon laquelle on a surtout parlé de numérisation des savoirs. C’était peut-être dû à la présence de B. Racine de la BnF et à l’actualité de l’accord Google/Hachette. Peut-être aussi à mes anciennes fonctions de Secrétaire général de Bibliothèque numérique européenne (voir mon autre blog http://www.bibnum.info). Mais on ne peut nier que ce sujet est partie intégrante du sujet « Internet et la culture scientifique ». On est là sur France-Culture, et ce sujet du patrimoine n’y est pas incongru : d’ailleurs, et là je vous renvoie la balle, ce sujet est absent de vos réflexions – en tout cas celles que j’ai entendues à la soirée du grand mix. De même, un sujet que j’ai évoqué lors de l’émission, et absent de votre réflexion, celui de l’encyclopédie en ligne Wikipedia, partie intégrante du sujet. Comme quoi, on ne peut pas tout couvrir, au cours d’une soirée ou lors d’une émission – un peu de modestie.
Pour moi, il y a un continuum qui s’étale comme suit : numérisation du patrimoine scientifique – encyclopédies en ligne – sites de culture scientifique et technique – Web 2.0 de la CST, blogs, réseaux sociaux. L’émission a beaucoup évoqué le premier sujet. On n’a pas pu parler du troisième sujet, ce qui est dommage – mais là il n’y a pas polémique comme dans le premier sujet (Google vs. BnF), ou innovation et mouvement comme dans le quatrième – et quand il n’y pas polémique il n’y pas débat dans les medias ! J’ai moi-même évoqué ce sujet, le Web2.0 de la science, j’ai mentionné (dans le cours de l’émission, et dans mes « coups de coeur », lors du tour de table à la fin) le Café des sciences, Knowtex, etc . Peut-être même un peu trop, même ! Cela peut m’être reproché, comme sur le site de l’émission FC, où une commentatrice indique que j’ai « trop fait de publicité pour l’ancien concept des Cafés des sciences » (elle confond avec le concept de Bar des sciences, que je n’ai pas évoqué et pour cause puisqu’il n’a rien à voir avec Internet).
Si je résume un peu brutalement : 1) Knowtex est né il y a deux mois d’après ce que j’ai compris (excellente initiative) 2) dans une émission de FCult (quand même un media de prestige, d’où vos réactions) consacrée au sujet, Knowtex jeune de deux mois est évoqué à plusieurs reprises 3) vous n’êtes pas contents ! Seriez-vous d’éternels contestataires, pour qui rien n’est jamais assez bien ?
Vous m’ouvrez les yeux (et à cet égard je suis content d’être abonné à Knowtex) sur certains aspects liés à cette émission (les habitués, les renvois d’ascenseur – il est vrai que la présence de la personne des Assises du numérique n’apportait pas grand ‘chose à l’émission). Mais là aussi je vous trouve étonnamment acides ou susceptibles, notamment contre Michel Alberganti, ingénieur devenu journaliste (comme Alain Perez des Echos) et qui a passé sa vie à diffuser la science ! Vous consacrez un long paragraphe à quelque chose que vous avez raison de soulever, mais qui n’a qu’un lointain rapport avec le sujet, et que vous auriez pu mentionner plus brièvement et sans doute plus subtilement. J’arrête par crainte de tomber dans le même travers !
Bref : pourquoi tant de hargne, quelque peu suspecte, sur un sujet qui devrait nous réunir tous ?