Le téléphone arabe des blogs de science
15
janv.
2008
Des journalistes qui font des erreurs, il y en a, et les blogs se font une spécialité (une joie ?) de leur tomber dessus quand ça arrive. Mais quand des blogueurs font eux-mêmes des erreurs ? Les autres blogueurs les reprennent, ou bien les lecteurs grâce aux commentaires. Et surtout, dans ces cas-là , on peut suivre la chaîne des évènements grâce au fin réseau des rétroliens, des fils de commentaires etc. La transparence est la plus totale possible.
En exemple nous en était donné récemment par Stephanie West Allen, qui corrigeait dans son blog les affirmations erronées de deux blogueurs scientifiques. Tout démarre avec une publication scientifique montrant par une méthode d'IRM fonctionnelle que notre cerveau est moins sollicité à la lecture d'un texte qui utilise des pronoms que des noms. Malgré une ambiguïté accrue, mon cerveau va préférer la phrase J'ai acheté des fleurs à Claire, je suis sûr qu'elle va les aimer
à la phrase J'ai acheté des fleurs à Claire, je suis sûr que Claire va aimer les fleurs
, qui le force à représenter deux fois les concepts "Claire" et "fleurs". Grâce aux pronoms, je peux plus facilement suivre le fil de mes pensées et saisir le sens du texte.
Le premier blogueur, Roger Dooley, lit le communiqué de presse publié par l'université de Caroline du Sud et raconte que l'étude s'est penché sur la manière dont notre cerveau réagit quand il entend des textes avec ou sans pronom. Première erreur : il ne s'agit pas d'entendre mais de lire ! Puis Gerry Riskin reprend l'information de ce premier blog et, tout en décrivant l'expérience où l'on fait entendre des phrases, il commet un contresens : pour lui, l'utilisation répétée d'un nom au lieu d'un pronom stimule plus le cerveau et donc l'imprègne plus. Or les auteurs montraient bien que la sur-stimulation du cerveau induite par la répétition d'un nom nuit à la compréhension générale. Deux blogueurs inexacts voire fautifs, repris par un troisième blogueur : voilà le pouvoir des blogs en action.
Mais au-delà de l'anecdote, je vois dans cet exemple une illustration de la nécessité de pouvoir accéder librement aux publications scientifiques, bref, de l'accès libre. Ainsi, on peut éviter l'effet du téléphone arabe en retournant facilement aux sources ou en tous cas, en donnant la possibilité aux lecteurs de vérifier par eux-mêmes ce qui est avancé. Car souvent même, l'erreur démarre dès l'étape du communiqué de presse et elle se propage quasi-inévitablement, tous médias confondus…
Commentaires
d'accord, mais combien de personnes vont vraiment aller regarder la source originale? est-ce que ça ne fait pas simplement décaler le téléphone arabe au rang n-1?
vf
vf > n-1 est toujours mieux que n et si c'est vrai pour tout n, notre cher Pascal dirait que rien n'empêche de se retrouver à 1 ! L'important n'est pas que les gens aillent voir l'original ou non mais qu'ils le puissent. C'est d'ailleurs un reproche qui est souvent fait aux journalistes scientifiques : de ne jamais indiquer la référence de l'article original qu'ils rapportent.
Si l'on sort du cadre de référence scientifique qui est le tien, on pourrait dire que ton billet pose de façon plus générale le problème du recours aux citations de tiers, donc celui de l'authenticité des sources.
Si un travail de recherche, blog ou autre, est étayé par des textes, il est impératif d'y renvoyer de façon très précise, faute de quoi l'on s'expose à des mésaventures comme celle que tu nous racontes.
Ton raisonnement vaut tout autant pour les essais littéraires...
Bonne Année, cher Enro ! :)
L'acces libre aux publications scientifiques... Pour la raison que tu decris, cela semble tellement indispensable a l'heure des inquietudes sur les nanotech, les OGMs, etc... Bien sur, je ne dis pas que tout un chacun peut lire et comprendre les publis, mais au moins, peut etre, les blogueurs et (tous) les scientifiques, pour ensuite repercuter l'information. A l'heure des blogs, les commentateurs politiques et juridiques qui lisent les lois "dans le texte" nous aident beaucoup. Et pour la science ?
Dans La Recherche et Pour la Science, les références sont indiquées.
C'est vrai, PLS et LR affichent les références. Mais ce sont bien les seuls. Et leur lectorat n'est pas franchement le plus ouvert du monde (La Recherche est principalement lu par des gens du milieu, si je ne m'abuse).
En revanche, sur des blogs, on fait des liens vers les papiers, on donne les références… L'accès à la source de base est largement plus facile.
Mais plus largement, c'est le même comportement que de citer machin et coll. pour appuyer une idée, parce qu'on a vu qu'une autre équipe les avait cité dans ce sens, sans prendre la peine de lire le papier…
Matthieu > Je suis d'accord avec toi, et je vois là une nouvelle dimension de la "vulgarisation" scientifique : il ne s'agit plus d'inculquer des connaissances (mode 1) ou de partager les conditions d'élaboration de la science (mode 2) mais de guider à travers les ressources qui foisonnent sur le net, en accès libre, pour en produire du sens.
Je pense que le libre accès aux publications, comme le fait l'éditeur PloS, serait une grande avancée. Bien entendu, je pense aux étudiants, chercheurs et professionnels (qui n'a jamais été frustré de ne pouvoir accéder à un journal faute d'abonnement ?), mais également aux vulgarisateurs et journalistes. Enfin, le quidam curieux de sciences aurait la possibilité de remonter à la source de l'information. Sur des débats sensibles comme les OGMs ou le réchauffement climatique, ce serait très intéressant.
Bref comme tu le dis Enro, la vulgarisation serait un ascenseur menant le lecteur aux différents "étages" ou "niveaux" de compréhension scientifique. Il est nécessaire de guider le néophyte, surtout sur Internet qui est un média formidable, mais au combien broussailleux. Ce côté "passeur de sciences" est une très bonne approche. Bien entendu, il n'est question de "former des scientifiques" par le net, mais de permettre aux néophytes de devenir des "lecteurs éclairés et critiques" d'un sujet scientifique les intéressant.
Je pensais a autre chose: Avoir un encadre, dans les articles scientifiques, qui resume en langage "courant" l'apport de l'article, pourrait aussi avoir son interet pour la diffusion de la science. Cet encadre pourrait etre ecrit par les editeurs, ou par les auteurs, peu importe.
Matthieu > Oui, c'est ce que fait PLoS (encore eux !) avec les "synopsis"…
"L'erreur est stolonifère " disait un botaniste.
Image du fraisier qui répéte une plante semblable au bout de chaque stolon. Internet est un terreau fertile pour la répétition des erreurs.
Jean-Pierre > Merci pour l'analogie botanique qui colle si bien ! Et qui réveille des goûts endormis en moi…