Que disent les chercheurs des retombées sociales ou politiques de leurs travaux ?
7
avr.
2008
Au-delà du désir de répondre aux questions que pose l'univers, les chercheurs aiment croire que leurs travaux participent d'un monde meilleur. Pour François par exemple, le but de toute science devrait être est la réduction de la souffrance. Mais devant une publication en particulier, un morceau reconnu et salué par les pairs de leurs recherches, éprouvent-ils ce même sentiment ? Est-ce que leur idéal tient face à la réalité de leur travail ? C'est la question que se sont posée trois chercheurs de Thomson Scientific, entreprise célèbre pour son facteur d'impact et ses bases de données de publications scientifiques.
Pour cela, les articles appartenant au centile de publications les mieux citées dans leur domaine sur les 5 dernières années ont été recensés et leurs auteurs interrogés. Une des cinq questions posées, Quelles sont les implications sociales ou politiques de votre recherche ?
, a pour but d'aborder ce point, même si les réponses couvrent parfois plus les retombées espérées que réelles et qu'avec un taux de non-réponse de 61%, la représentativité de l'enquête est sujet à discussion.
En moyenne, les retombées décrites par les chercheurs de leurs résultats couvrent 3,2 domaines, de la défense à la pollution en passant par le développement de médicaments, la nutrition et les retombées/philosophiques, religieuses ou éthiques. Les réponses, agrégées au niveau supérieur de la typologie, sont données dans le tableau ci-dessous. Où l'on s'aperçoit que 23% des réponses mentionnent la santé, bien au-delà du propre champ des recherches en médecine qui ne représente que 18% de l'échantillon. Viennent ensuite ceux qui n'ont pas répondu et ceux pour qui le progrès des connaissances scientifiques est une retombée sociale ou politique en soi.
Les retombées concernant l'environnement sont le moins citées mais c'est la catégorie pour laquelle les réponses ont été les plus longues, les plus fournies, suggérant un besoin supplémentaire d'explication, d'argumentation ou de discussion.
On observe enfin le profil de chaque discipline scientifique : au rang des surprises, les sciences de l'espace qui mettent en avant les retombées philosophiques, éthiques ou religieuses, les sciences sociales qui se revendiquent des politiques de santé et l'écologie qui met en avant la compréhension des sciences par le grand public. Quant aux nanotechnologies, tiens tiens, elles se présentent actuellement plus sous l'angle des progrès technologiques et des bénéfices économiques que sous celui de la santé ou de l'environnement. Ce travail n'est qu'une tentative d'enquête, qu'il reste à approfondir et systématiser. Néanmoins, il pose un premier jalon pour savoir comment les chercheurs situent les conséquences sociales ou politiques de leurs travaux au début du XXIe siècle.
Commentaires
La première remarque qui me viendrait à l'esprit à ce propos, c'est que ce n'est certainement pas à l'auteur d'un papier (surtout d'un seul papier, même pas d'un projet de recherche complet !!) d'avoir une idée des retombées sociales de ses travaux. Et que c'est vachement plus rassurant comme ça. Ce questionnaire de Thompson va tout à fait dans le sens de ce qu'on fait à la science en France en ce moment : on ne pense qu'au court terme, à ce que l'on peut voir tout de suite, surtout ne pas attendre, surtout ne pas laisser d'autres s'approprier les résultats pour en faire autre chose, surtout ne pas laisser de place au temps, au hasard, à l'inattendu. Ben si on avait toujours fait comme ça j'imagine qu'on serait loin de vivre dans un monde tel que le nôtre !!
mirza > C'est un point de vue intéressant, merci, et le taux de "ne se prononcent pas" pourrait te donner raison. Malgré ces réserves, je trouve ça intéressant de comparer ce que disent les praticiens de diverses disciplines et comment ils voient leur travail. Pour un bon nombre d'entre eux, justement, le progrès des connaissances est une retombée en soi !
60 réponses "science adv" contre 38 en Technology, ça fait plaisir...
Il serait intéressant tout de même d'avoir des stats par domaine de recherche, sur un plus grand nombre de publis, et avec une comparaison des retombées estimées par les auteurs avec leurs retombées effectives en terme de recherche. Je n'ai pas accès au contenu de la publi, si ça tombe, il y a des stats par discipline...
Enfin, j'avoue que ça m'intéresserait plus d'avoir une idée des champs dans lesquels sont citées les publis etc...
On devrait pouvoir concevoir des outils pour explorer automatiquement cela, y a t'il des travaux sur le sujet ?
Je ne suis pas d'accord avec Mirza : "implications sociales et politiques", ça ne veut pas dire "retombées technologiques à court terme". Je pense qu'il est important que les chercheurs réfléchissent aux retombées de leurs recherches, ce qui ne veut absolument pas dire aller vers la recherche appliquée.
Il y a confusion, je crois, dans le commentaire qui parle des implications effectives (#1, mirza). Les données du post portent sur les intentions. Les retombées à court terme à l'échelle d'une société sont quasiment toujours nulles (même en médecine), sauf dans les domaines comme l'informatique où il est facile de transposer l'innovation.
Fr. > La question posée était
avec l'idée de connaître les retombées effectives. Mais en effet, on peut se demander si une telle formulation au présent ne concerne pas plutôt les souhaits que la réalité, à l'inverse d'une question demandant à l'auteur de juger sur pièces d'un à cinq ans après : .Le risque est de véhiculer l'idée que la science progresse en règle générale au rythme des résultats les plus rapides, comme les marqueurs génétiques du cancer. De mémoire, le HGP est lancé en 1990 et se termine en 2003. On obtient une demi-douzaine de biomarqueurs en cinq ans, avec des revues sur le sujet âgées d'un quinzaine d'années tout au plus ; éditorial exemple 1, éditorial exemple 2. Autre exemple : l'informatique.
Pourtant, si l'on y pense sérieusement, les plus gros progrès dans les deux cas sont des progrès "lents" : les thérapies ciblées n'ont pas encore l'effet majeur des améliorations de la technologie chirurgicale (que l'on peut considérer dans le temps long comme le prolongement de l'asepsie), et les avancées informatiques reposent sur des clés mathématiques qui ne suivent aucune pente régulière.