J’ai lu très exactement 39 romans en 2014, ce qui est mon meilleur score depuis de (trop) nombreuses années grâce à 1/ une discipline de fer au premier semestre (me forcer à lire au moins 20 pages chaque soir) et 2/ un nouveau boulot à l’université de Bordeaux depuis le mois de juin, qui me fait asseoir dans le tramway 50 minutes par jour et me donne largement l’occasion de lire.

De tous ces romans, goût personnel oblige, un nombre non négligeable est à consonance scientifique. Voici une petite sélection personnelle de ceux dont je recommande la lecture :

N° 10 : Intuition d’Allegra Goodman (Éditions du Seuil), 2006

Voici une histoire d’amitiés et d’inimitiés dans un laboratoire de biologie, sur fond de soupçons de fraude. Ce roman est un des meilleurs représentants du courant lab lit (“littérature de labo” pour faire court), et à ce titre j’en attendais beaucoup. Il m’a un peu déçu, j’ai trouvé qu’il traînait parfois en longueur et que son écriture était sans style ou inutilement pompeuse.

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N° 9 : La Vénus anatomique de Xavier Mauméjean (Le Livre de poche, coll. “Science-fiction”), 2004

Cette uchronie imagine que le médecin-philosophe du XVIIIe siècle Julien Offroy de la Mettrie participe à un concours organisé par Frédéric II de Prusse pour réaliser le “nouvel Adam”. Associé dans une drôle d’équipe avec le mécanicien constructeur d’automates Jacques Vaucanson et l’anatomiste rebelle Honoré Fragonard, il explore sous toutes les coutures la question de l’homme et de la machine. Résultat : un chouette voyage historique, géographique (de Saint-Malo à l’Allemagne en passant par Paris) et savant.

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N° 8 : Cosmicomics d’Italo Calvino (Le Livre de poche), 1965

On ne présente plus ces contes où Italo Calvino s’amuse à raconter de façon si originale le big bang, la fin des dinosaures, la dérive des continents… Si original mais un tantinet répétitif à force, et parfois trop tourné vers la poésie à mon goût. À noter que mon édition est ancienne mais Gallimard a édité en 2013 un volume complet comprenant Cosmicomics, Temps zéro, Autres histoires cosmicomiques et Nouvelles histoires cosmicomiques.

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N° 7 : Les Esprits de Princeton de Daniel Kehlmann (Actes Sud, coll. “Papiers”), 2012

J’ai déjà écrit tout le bien que je pensais des Arpenteurs du monde, du même auteur. Voici cette fois une courte pièce de théâtre, qui démarre avec l’enterrement du grand logicien Kurt Gödel à Princeton, en 1978. Sa veuve et ses collègues venus assister à la veillée funèbre évoquent leurs souvenirs de ce scientifique atypique et parfois dérangé qui, ces dernières années, leur a donné du fil à retordre. Kurt Gödel, ou plutôt son esprit, est présent lui aussi, pour revivre les événements de sa vie, spectateur éthéré de son évolution.

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N° 6 : La Véritable Histoire du dernier roi socialiste de Roy Lewis (Actes Sud, coll. “Babel”), 1990

Roy Lewis (à qui l’on doit le célèbre Pourquoi j’ai mangé mon père) propose ici une uchronie mordante, où les révolutions de 1848 ont fait advenir une humanité socialiste. Lewis traite en long et en large de ce qu’il adviendrait alors à la science, comme je le raconte dans mon billet “De Pierre Boulle à Roy Lewis, la science (ne) fait (pas) le bonheur”.

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N° 5 : CosmoZ de Claro (Actes Sud, coll. “Babel”), 2010

Claro est un directeur de collection, traducteur (de Pynchon, excusez du peu !) et auteur qui n’a peur de rien. Ainsi, ce gros roman est une fresque un peu dingue qui tisse ensemble le mythe du magicien d’Oz (le livre comme le film) et les horreurs du 20e siècle : Dorothy, Toto, l’Epouvantail, le Bûcheron en fer-blanc, le Lion poltron, la Sorcière de l’Ouest et un couple de Munchkins se retrouvent ainsi jetés dans les remous de l’histoire. Je retiens notamment quelques pages courageuses sur l’essor de la radiothérapie, les ouvrières de l’industrie du radium et la fabrication de la bombe atomique.

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N° 4 : Les Insolites de René Sussan (Denoël, coll. “Présence du futur”), 1984

La plus longue nouvelle de ce recueil, “Un fils de Prométhée”, s’intéresse aux événements de l’été 1816 au bord du lac Léman, quand Percy Bysshe Shelley, Mary Goodwin (ils ne se marieront qu’en décembre), Lord Byron, sa maîtresse Claire Claremont et le Dr. John Polidori se mirent en tête d’écrire chacun une histoire mystérieuse et surnaturelle. Le résultat, pour Mary Shelley, fut nul autre que Frankenstein. Mais René Sussan imagine que sous l’influence de la théorie “l’ontogénie récapitule la phylogénie” du Pr Meckel (précurseur de Haeckel), Byron et sa compagnie échafaudent une expérimentation sur son enfant à naître en extrayant le fœtus du ventre de Claire Clairmont pour le baigner dans un milieu proche du placenta, afin de le faire se développer au-delà de 9 mois et obtenir un surhomme ; le Dr Polidori s’y oppose. Je vous laisse découvrir ce texte pour savoir si l’expérimentation aura lieu et comment elle se terminera… (Cette nouvelle a reçu le Grand Prix de l’Imaginaire en 1985.)

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N° 3 : Le Prestige de Christopher Priest (Gallimard, coll. “Folio SF”), 1995

Ce roman a été adapté au cinéma par Christopher Nolan et met en scène deux magiciens qui rivalisent d’ingéniosité et de perversité pour dépasser l’autre. Avec, dans le rôle du savant fou construisant des machines infernales et entretenant l’hubris des magiciens, Nikola Tesla (joué dans le film par David Bowie !). Ce roman est captivant et bien documenté en ce qui concerne le caractères et le travail de Tesla.

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N° 2 : La Fille du temps de Josephine Tey (10/18, coll. “Grands détectives”), 1951

Ce livre est présenté partout comme un grand classique du roman policier et je n’en avais pourtant jamais entendu parler, jusqu’à ce qu’il soit mis en avant sur un présentoir de la librairie Mollat. S’inscrivant dans la lignée des whodunit, il met en scène un inspecteur de Scotland Yard cloué dans son lit, qui enquête à plusieurs siècles de distance sur les atrocités (soi-disant) commises par Richard III pour se hisser sur le trône d’Angleterre. En particulier, il souhaite faire la preuve que le souverain n’est pas coupable de l’assassinat de ses neveux, les enfants du roi Edouard IV, connu comme l’affaire des Princes de la Tour. Ce livre est une réflexion extrêmement riche et intéressante sur le métier d’historien, et la méthode historiographique. Le titre est d’ailleurs tiré d’une phrase de Francis Bacon : La Vérité est fille du Temps et non de l’Autorité.

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N° 1 : Solaire de Ian McEwan (Gallimard, coll. “Folio”), 2010

Je connaissais Ian McEwan comme un auteur sérieux, auteur du troublant “Expiation” (adapté au cinéma sous le titre “Reviens-moi”), et je le découvre drôlatique. Ce roman est le portrait au vitriol d’un chercheur en physique fictif, récompensé du prix Nobel de physique et complètement infréquentable, qui essaye de revenir dans la course scientifique pour ne pas rester un chercheur has been. Certaines scènes sont d’anthologie et j’ai hurlé de rire en lisant son périple rocambolesque au pôle Nord, en compagnie d’artistes concernés par le réchauffement climatique.

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