Cette tribune a été publiée par Le Monde sous le titre « L’exercice du questionnaire aux politiques est inutile et dépassé »

En 2011 j’étais l’un des fondateurs de l’initiative “Votons pour la science” qui visait à interpeller les candidat.e.s à la présidentielle française sur une série de questions, afin de comprendre comment ils/elles appréhendaient les questions scientifiques et se positionnaient sur les thématiques suivantes : énergie, éducation, régulation des technologies et organisation de l’expertise, innovation. Portée par des passionnés qui font vivre depuis plus de 10 ans le débat scientifique à travers blogs, sites web, chaînes Youtube et comptes Twitter, “Votons pour la science” succédait à des mobilisations de blogueurs de science initiées aux États-Unis (élection présidentielle de 2008) puis au Canada (élection fédérale de mai 2011). L’exercice a fait florès : l’élection présidentielle de 2013 au Chili, l’élection du président du conseil de 2013 en Italie, l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis… ont toutes eu leur questionnaire de politique scientifique.

Pourtant, nous avons choisi de ne pas renouveler l’initiative pour les élections présidentielles de 2017. Non pas que l’exercice n’intéresse plus : les journalistes scientifiques réunis au sein de l’AJSPI d’une part, et les prestigieux scientifiques signataires de Science-et-technologie.ens.fr d’autre part, ont d’ores et déjà publié leur questionnaire en ligne. Mais nous arguons qu’il est inutile et dépassé. Certes, huit candidat.e.s, plus deux candidat.e.s à la primaire socialiste, nous avaient répondu : de quoi comparer largement leurs programmes ! Nous apprenions ainsi que Jacques Cheminade est fasciné par les nouvelles sources d’énergie (anti-matière, supraconductivité, stockage par chaleur sensible ou chaleur latente…) ; que Marine Le Pen s’entoure d’experts ayant “une réelle pratique de la science et [ayant], pour certains d’entre eux, poursuivi une carrière scientifique de premier plan” afin “de bien comprendre les grands enjeux associés à certaines problématiques scientifiques” ; qu’Eva Joly veut “faire des universités un lieu de formation majeur des cadres du pays” ; que Jean-Luc Mélenchon souhaite “inscrire dans la Constitution le droit des citoyens à intervenir dans le développement de la recherche”. C’était éclairant…

À peine François Hollande élu, il multiplia les signes de bonne volonté en déposant une gerbe en hommage à Marie Curie et en saluant les chercheurs amassés à l’Institut Curie. Jusqu’au choc de mi-mandat : le 17 octobre 2014, Sciences en marche mobilisait massivement la communauté scientifique contre la crise profonde traversée par le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans son discours à la tribune, le chercheur Pascal Maillard mettait le président Hollande face à ses engagements de campagne présentés sur notre site : redéployer une partie du Crédit impôt recherche pour les organismes et les Universités, revenir sur les financements de projets à court terme qui n’incitent pas à la prise de risque et qui enferment la recherche dans le conformisme, reconnaître le doctorat dans les grands corps d’État. En pratique, ce programme fut préparé par le député Jean-Yves Le Déaut, qui couvrait avec Geneviève Fioraso les sujets liés à l’innovation et à la recherche ; une fois élu, Hollande nomma Fioraso au Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et s’entoura de conseillers à l’Elysée d’où Le Déaut était absent. Quel poids ces “promesses” peuvent-elles donc avoir quand la parole politique est de plus en plus discréditée et les contraintes du pouvoir (notamment budgétaires) de plus en plus fortes ? N’engagent-elles que celles et ceux qui y croient ?

En 2012, nous avons vu les équipes de campagne remplir des questionnaires à tout va, émanant de groupes d’intérêt divers et variés où les scientifiques ne semblaient pas avoir plus de poids que les chasseurs ou le secteur des services à la personne… alors que les valeurs scientifiques sont menacées de toute part. La guerre culturelle dans laquelle nous sommes entrés pour faire face à la désinformation, à la post-vérité, aux biais cognitifs (écho de croyance, raisonnement motivé…) – auxquels n’échappent aucun bord politique – nécessite autre chose qu’un petit clientélisme s’attachant à quelques points de programme. Quand tout un système de valeurs fondamentales est mis en cause, la vigilance de tous les instants, la dénonciation, l’éducation… s’imposent à nous. Selon le politologue Brendan Nyhan cité par Hubert Guillaud, nous n’avons pas connu d’âge d’or démocratique : les faits n’ont jamais dominé l’opinion publique, les médias ou le discours politique. Voilà sur quoi il faut se battre, à l’instar de ces scientifiques américains qui s’engagent en politique depuis la victoire de Trump et se présentent aux élections sénatoriales de 2018 — sans que des questionnaires nous soient d’aucun secours.