Ça chauffe pour le consensus
25
sept.
2007
J’ai l’impression que la question du consensus en science, et particulièrement concernant le réchauffement climatique, est sur la sellette. Depuis Naomi Oreskes en 2004, on avait acquis la certitude que 75 % des 928 articles peer-reviewed consacrés à l’évolution du climat abondent explicitement ou implicitement en faveur de l’origine anthropique du réchauffement climatique, aucun n’osant s’y opposer, les autres étant des articles neutres consacrés aux paléo-climats. C’était un beau consensus. Mais voilà que des travaux ont ensuite proposé d’autres chiffres : selon Benny Paiser, seuls 335 articles sur 1117 (30 %) acceptent explicitement ou implicitement le consensus, les autres étant neutres exceptés 34 (3 %) qui rejettent explicitement le consensus. Selon Klaus-Martin Schulte, seuls 38 sur 528 articles récents consacrés au réchauffement climatique (7 %) acceptent explicitement le consensus ; on atteint 45 % si l’on inclut les acceptations implicites, soit une minorité, 48 % des articles étant neutres et refusant de se positionner pour ou contre le consensus. Oreskes a rapidement réagi en répondant à Schulte… Dennis Bray et Hans von Storch ont eux effectué un sondage auprès de 550 spécialistes des sciences du climat d’au moins cinq pays qui montre que les positions ont évolué entre 1996 et 2003, mais sans consensus pour autant (Figure 30).
Mais au-delà de cette question binaire (les hommes sont-ils responsables du réchauffement climatique ?), le consensus, comme le diable, se cache dans les détails. Notamment dans les résumés aux décideurs du GIEC qui sont des concentrés de consensus, chaque mot étant pesé avant d’être approuvé. Selon l’opinion d’experts internationaux s’exprimant dans le numéro du 14 septembre de Science, cette méthode a permis de mettre en lumière les résultats attendus du réchauffement, qui ont pu ensuite s’ancrer dans la tête des décideurs grâce aux estimations chiffrées
. En effet, depuis une première étude publiée en 1979 et jusqu’en 2001, les scientifiques ont systématiquement avancé la fourchette d’une augmentation de température de 1,5 à 4,5 °C (cf. Reiner Grundmann (2006), “Ozone and Climate: Scientific Consensus and Leadership”, Science, Technology & Human Values, vol. 31, n° 1, pp. 73-101). Mais maintenant que la crédibilité générale des travaux sur le réchauffement climatique a été établie, il serait aussi bon de faire comprendre aux décideurs les éventualités plus extrêmes qui ont pu être occultées ou minimisées par le consensus
. Le consensus a donc d’abord été utile, avant d’être dépassé par la complexité de la situation, à la fois sur les plans scientifique et politico-économique. C’est bien ce que remarquait une étude sociologique des travaux du GIEC : ils sont inévitablement une sélection et une synthèse de la gamme d’intérêts nationaux divergents où les pays [insulaires du Pacifiques] plaident pour l’introduction d’une rhétorique du risque, les pays producteurs de pétrole plaident pour la mention répétée des incertitudes scientifiques et celle de gaz autres que le CO2 ; les pays en développement veulent mentionner le poids des émissions passées, les pays du Nord insistent sur les émissions futures…
Les auteurs de l’article proposent aussi que les membres du GIEC sollicitent des rapporteurs extérieurs qui pourraient critiquer leurs procédures et leurs rapports, en pointant notamment du doigts les disparités entre les rapports des quatre groupes de travail qui le constituent. Une évaluation du risque plus robuste pourrait aussi venir d’une meilleure transparence sur ce qui a été débattu et quels points n’ont pas été inclus dans les rapports, par manque d’accord. Ceci afin que les experts ne s’enferrent pas dans une confiance en eux abusive.
Est-ce à dire, comme miniTAX sur le forum Futura-Sciences, que l’on doit se méfier comme de la peste des consensus en science ? En tous cas, il est possible que le consensus technico-économico-politique se construise malgré l’absence de consensus scientifique a priori. Je l’avais montré avec l’exemple du trou dans la couche d’ozone, où l’incertitude scientifique qui régnait en 1987 ne fut réglée que par une rétroaction positive entre des tendances scientifique, politique, diplomatique et technologique convergentes
. Ou comment l’existence de désaccords entre scientifiques n’empêche pas d’agir, de la même façon que le principe de précaution incite à agir pour éviter la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques
… Si bien que l’incertitude, plus que le consensus, est souvent un moteur pour l’action ! En fait, le consensus peut même être contre-productif : en faisant porter la responsabilité de la décision aux scientifiques (les politiques n’étant plus là que pour signer l’accord qui s’impose de lui-même), il leur donne un poids trop grand, dont peuvent profiter ensuite ceux dont l’intérêt consiste à temporiser (le sénat américain sous Bush père et fils) ou à contre-attaquer (Exxon), en proposant sans cesse plus d’études voire des résultats contradictoires.
Commentaires
hello enro-
si je t'ai bien compris, pas la peine d'attendre un véritable consensus des scientifiques pour agir, car c'est prendre le risque (et c'est ce qui a tendance a se passer aujourd'hui...) qu'une controverse artificiellement entretenue par des sceptiques partisans reporte indéfiniment la prise de décision et l'action, en maintenant l'illusion de l'incertitude. On peut meme des a présent utiliser cette incertitude en invoquant le principe de précaution.
D'accord, mais je ne crois pas que, vu les ordres de grandeur du probleme et les changements immenses qu'impliquent les solutions qu'on entrevoit pour l'instant, le principe de précaution, si on en reste a des incertitudes, soit assez puissant pour générer l'action, à lui seul. On peut se passer des OGMs au nom du principe de précaution, par contre je nous vois mal nous passer du pétrole et du charbon au nom du principe de précaution. Parce que, contrairement aux cas de la couche d'ozone et des CFC, personne n'y a, encore, intéret -financierement parlant. Il nous faudrait plutot un avis scientifique certain et définitif, et comme une preuve définitive du ChgClim anthropique ne peut etre apportée (on en avait deja parler a propos de la non-réfutabilité du CC, il me semble), on se rabat sur un consensus. Comme l'a dit Richard Lindzen, chef du MIT et chef de file des -derniers- sceptiques, si vous avez une preuve, pourquoi avez-vous besoin d'un consensus ? . Et c'est vrai qu'avec une seule preuve scientifique, pas besoin de consensus. Oui mais voila, personne dans cette histoire n'aura de preuve definitive avant l'heure -pas plus les sceptiques aux theories alternatives comme l'iris effect ou le forcage solaire/cosmique, d'ailleurs, que les tenants de l'effet de serre... c'est bien pour ca que les sceptiques essaient le plus souvent de faire porter la charge de la preuve aux "anthropistes"...
je maintiens donc qu'un consensus scientique a priori est qd meme important; et dans les études que tu cites, je retiens surtout celle par sondage, qui montre qu'on va dans la bonne direction - meme si effectivement on a pas 80 % dans les 3 premieres colonnes. Pour les autres, les liens que tu donnes indique suffisamment que ces études et ces chiffres sont a prendre avec des pincettes. Je vois mal, au passage, la différence entre articles implicites et neutres.
enfin concernant le sondage de storch, sans rentrer dans le fait que ce personnage n'est pas neutre et sans aborder l'aspect litigieux de certaines questions, il est intéressant de voir que c'est toujours le graphique que tu montres qui est extrait des 100 graphs, et pas par exemple les suivants 31 et 34: il est certain que sans changement du comportement humain un chg climtique se produira forcément (oui a 2.35/7), les incertitudes sur le CC justifient l'absence de prise de décision politique ( non à 1.33/7) - ou n°70, les avancees scientifques de la derniere décade confirment l'influence anthropique sur le climat (à 1.76 / 7)
alex > Si j'ai choisi la figure 30 comme illustration de mes propos, c'est parce qu'elle est la plus comparable à la question posée dans les autres travaux de revue de la littérature ("L'Homme est-il responsable du réchauffement climatique ?"). C'est tout ;-)
Je ne réponds pas sur le reste mais voici pour info ce qu'il aurait fallu, selon Reiner Grundmann, pour arriver rapidement à un accord sur le changement climatique (à la lumière notamment de l'exemple de la couche d'ozone) :
Je cite Grundmann :
merci pou l'info , je ne connaissais ce M.Grundmann (un "homme de raison", donc...). Sur ce que tu m'en dis, je suis d'accord sur le premier point - le point deux, je pense qu'on y est (jai l'impression que certaines personnes comme Hansen et Rahmstorf s'époumonent...). Sur le point trois, pas trop d'accord, meme si j'admets que apres avoir été un bon signal d'alerte dans ses 3 premiers rapports, le Giec est aujourd'hui critiqué sur son conservatisme (tres, voir trop, prudent) et donc sur son utilité (utilité "marginale" qui diminue avec le nombre de rapport) par un certain nombre de grands sachems plus alarmistes comme Jim hansen ou Cruntzen -notamment sur les chiffres annoncées de montéée des eaux. cela tendrait a donner raison a M.Grundman.
enfin sur le point 4, je pense que si rigoureusement les scientifiques pouvaient imputer Katerina, la tempete de 99 en Fr ou la canicule de 2003 au CC, ils ne s'en seraient pas privé... C'est le vieux dilemne entre l'alarmisme et la rigueur. La formule souvent employée pour ces éévenements, que j'aime bien, est "on ne peut pas affirmer que cette tempete est la conséquence directe du CC, mais si un CC était entrain de se produire, on observerait certainement de telles tempetes ". Nuances inutiles ?
alex > Effectivement, je comprends tout à fait le point de vue de la rigueur. Mais c'est avec le point de vue de l'action, ou du manque d'action, que l'on raisonne ici sur ce qu'il aurait fallu faire, peut importe la "rigueur scientifique". Evidemment, la distance temporelle fait qu'on peut avoir beau jeu de dire cela aujourd'hui, mais ce ne sont pas moins des enseignements que l'on peut tirer... Enseignements qui nous éclairent notamment sur l'ambiguïté de ce consensus dont on nous rebat pourtant les oreilles !
Il faut savoir que Benny Peiser a été contraint de se rétracter après la que les 34 articles qui, selon lui s'opposaient au consens ont été examinées...(voir ici pour la liste de ces articles: http://timlambert.org/2005/05/peiser/)
Quant à l'article de Schulte, voir ici
beurk > En effet, les adversaires du consensus ont leurs adversaires ! Par contre, je n'ai rien vu qui mettait en cause le sondage de Dennis Bray et Hans von Storch (cf. le graphique que je reproduis), pourtant peu élogieux alors qu'on ne peut pas accuser von Storch de sceptique ! Si j'ai loupé quelque chose, ça m'intéresse...
je ne connais pas bien Von Storch, mais sur Realclimate (le lien est d'ailleurs aussi dans la page wikipédia que tu donnes) ils donnent une version troublante de son rôle majeur dans la "controverse de la crosse de Hockey".... c'est pour ca que je disais qu'il n'est pas tout a fait "neutre".
Je trouve tout ce débat sur la réalité ou non du "consensus" un peu (beaucoup) surréaliste! On est passé d'un débat sur la réalité (ou non) des changements climatiques à un débat sur la réalité (ou non) d'un consensus sur la réalité (ou non) des changement climatiques! Peut-être que la prochaine étape sera un débat sur la réalité (ou non) d'un consensus sur la réalité (ou non) d'un consensus sur la réalité... je pourrais continuer pendant longtemps!
Bien sûr, l'utilité d'un débat sur la réalité d'un consensus permet de déplacer le problème, et à tout un tas de gens qui n'ont eux-même aucunes connaissances scientifiques en climatologie de se prononcer. Autrement dit, si on peut prouver "scientifiquement" qu'il y a un consensus, alors l'effet lui-même devient "vrai"! La réalité "physique" des changements climatiques devient donc un problème pour des chercheurs en science sociale!
Bien sûr, un aspect intéressant de tout ce débat est que monsieur et madame tout-le-monde se sent autorisé à se prononcer sur une question scientifique (à preuve les commentateurs sur ce blogue), question qui est éminemment complexe. L'opinion de tout un chacun est donc conditionnée par la confiance qu'ils ont en certains acteurs plutôt qu'en d'autres. Si l'on croit tout ce qui se dit dans les journaux, ou dans les rapports du GIEC, ou sur RealClimate, alors tout cela est "vrai". Si au contraire on a tendance à être sceptique, aucune de ces sources n'a de crédibilité. Mais au bout du compte, ce ne sont que des opinions, qui de toute évidence n'ont aucun rapport avec la "réalité".
La véritable question ici est donc de savoir si l'opinion des scientifiques eux-mêmes a, elle, une valeur pour juger de la réalité du phénomène. Or cette question se heurte à plusieurs difficultés bien connues:
1) S'il s'agit d'un domaine ou d'un problème complexe (comme le climat), aucun chercheur, aussi réputé soit-il, ne maîtrise tous les aspects du problème. Il ou elle doit se fier également aux résultats ou conclusions des autres. Ce fait a été reconnu et étudié depuis longtemps par les philosophes et sociologues des sciences. Il n'y a pas, par contre, de solution définitive: l'existence d'un consensus ne peut jamais être reliée à une supposée "vérité". Il y a nombre de contre-exemples dans l'histoire des sciences, et pas de véritable critère qui émerge permettant de juger "en temps réel" de la validité ou non d'une théorie.
2) Comme il a été soulevé par nombre de commentateurs, les scientifiques se prononcent rarement dans leurs articles sur des questions "globales", comme par exemple l'adhésion ou non à un consensus. Les publications se penchent sur des aspects très spécifiques d'un problème. Une seule publication (sauf exception) ne peut pas prouver ou détruire un consensus, et une opposition à un tel consensus peut être exprimée de façon très subtile.
3) Il est aussi connu qu'il y a d'énormes pressions sociales qui rendent l'expression ouverte d'une dissidence très risquée pour n'importe quel scientifique. Et je ne parle que des pressions à l'intérieur même de la communauté scientifique, en dehors de toute controverse dans le reste de la société. Le "conformisme" scientifique est la stratégie la plus communément adoptée. Chercher dans un recensement de la littérature scientifique les preuves d'un consensus, sans même considérer l'effet de ces pressions sociales, relève soit de la naiveté, ou alors d'un parti-pris non avoué. Que Naomi Oreskes ait un parti pris dans ce débat semble assez évident à la lumière de ses déclarations.
4) Le choix de certains mots-clé est en soi source d'erreur. Il présume que des résultats scientifiques dissidents utilisent ces mêmes mots-clé. Etant donné les considérations ci-dessus, un article remettant en question certains aspects fondamentaux de la théorie pourrait éviter de confronter directement le problème global, et choisir soigneusement son vocabulaire.
Pour un bel exemple de tout cela, je suggérerais à tous de lire l'histoire de la dérive des continents. Etonnamment, un des bons ouvrages sur le sujet à été écrit par... Naomi Oreskes!
Pour Bray et Von Storch, il est intéressant de noter que ceux-ci récusent l'interprétation de leur étude faite par les sceptiques et aussi que leur procédure a été critiquée, au point que leur article a été refusé.