La BBC 4 diffusait la semaine dernière Breaking the Mould, un docu-fiction sur la naissance de la pénicilline entre les mains de… Florey et Chain ! Première surprise pour certains qui associent indéfectiblement pénicilline et Fleming. Mais pas pour les lecteurs du Bacterioblog qui se souviennent de l'excellent billet de Benjamin il y a deux ans, ni pour ceux qui savent que le prix Nobel de physiologie/médecine 1945 est allé aux trois hommes.

Il y aurait beaucoup à dire sur cette création originale, et je renvoie les lecteurs vers la critique de Jennifer Rohn sur le site Lablit. On y trouve en tous cas beaucoup de choses intéressantes : la distinction entre le chercheur de paillasse (Ernst Boris Chain), obsédé par sa quête et prêt à sacrifier beaucoup de choses pour son travail, et l'administrateur (Howard Walter Florey, seulement 8 ans plus agé) qui trouve les financements, recrute et rassemble les expertises dont a besoin le laboratoire, s'assure les soutiens politiques ou industriels. Ou échoue à se les allier, puisque l'industrie pharmaceutique dispose des sulfamides, qui seront les médicaments les plus vendus dans les années 1950, et que l'idée de produire des antibiotiques par fermentation lui est étrangère. La "culture chimique" de l'entreprise pharmaceutique va la tenir éloignée des antibiotiques, dont vont s'emparer des industriels de l'agro-alimentaires et autres spécialistes de la fermentation comme Pfizer[1]. On constate aussi la faible place des femmes, on assiste aux débats sur les brevets (faut-il ou non breveter la péniciline ? Et si on ne le fait pas et que les Américains le font, est-ce que le Royaume-Uni sera privé d'une découverte aussi cruciale ?).

Ce qui m'a le plus intéressé, c'est la mise en image de ce que raconte Wei Chen dans son livre Comment Fleming n'a pas inventé la pénicilline (qui a pour titre original The laboratory as business, Sir Almroth Wright's vaccine programme and the construction of penicillin) : cette idée que la pénicilline de Fleming n'est pas la même pénicilline que celle de Florey et Chain : onze années ont passé, la Seconde guerre mondiale est là et la guérison des sépticémies, gangrènes et autres infections bactériennes est un aimant puissant. La pénicilline de Florey et Chain est construite comme un agent thérapeutique alors que celle de Fleming était un outil de laboratoire.

Dans cette narration très britannique, quelques libertés sont prises avec l'histoire. Est passé sous silence le rôle de René Dubos, dont Bruno Latour écrit[2] que par l'un des plus curieux cas de rétrodécouverte de l'histoire des sciences, il oblige Florey à s'intéresser enfin à cette moisissure que Fleming déclarait sans intérêt et dont l'effet ressemble grandement à la thyrothricine que lui, Dubos, vient de découvrir (mais peut-être que cette version est teintée d'un autre nationalisme, français cette fois). Le film nous montre juste Chain lisant l'article de Fleming (le véritable, ça m'a ému de voir de la littérature scientifique en gros plan à la télé !) et creusant la piste de cette substance que Fleming n'avait pas réussi à faire produire en quantités suffisantes et à isoler. Quant à l'arrivisme de Fleming à la fin du film, qui vient récolter les lauriers du travail ingrat effectué par d'autres simplement parce qu'il actionne quelques leviers au sein du gouvernement, il est un peu forcé. Mais il a le mérite de montrer que la paternité d'une découverte est toute relative… aujourd'hui encore, la pénicilline reste associée au seul nom de Fleming !

Notes

[1] Le film ne montre pas cette toile de fond, c'est mon travail au sein du séminaire "Innovations médicales et thérapeutiques" qui me l'a enseignée.
[2] Préface à R. Dubos, ''Louis Pasteur : franc-tireur de la science'', La Découverte.