Depuis deux ans et demi, je côtoie Bénédicte. Bénédicte a 23 ans, elle est jeune et pleine d'avenir. Mais Bénédicte est naïve.
Après son bac, elle a voulu faire deux ans de classes préparatoires, parce que c'était évident d'accord, mais aussi parce qu'elle était attirée par la science, cette muse exigeante et ingrate. En l'occurrence, c'était plutôt la biologie ; va pour une prépa BCPST. Et comme Bénédicte habite en région parisienne, elle s'est simplement inscrite dans un des lycées de la région, qui se trouve être relativement renommé, le lycée Hoche de Versailles. Là, elle a fait l'expérience d'études difficiles mais aussi d'émotions fortes, d'amitiés durables et de défis intellectuels.
Au bout de ces deux années, Bénédicte a passé des concours qu'elle a, ma foi, plutôt réussis puisqu'elle est rentrée dans la botte àl'INA P-G, grande école formant des ingénieurs agronomes.
A l'Agro, elle a appris le sens de valeurs comme l'amitié, le partage mais aussi la fête. Car la scolarité àl'Agro est toujours une fête. Pendant ce temps, son parcours professionnel se dessinait dans sa tête et ses ambitions se précisaient : Bénédicte ne s'arrêterait pas làet entreprendrait une thèse après obtention de son diplôme d'ingénieur. Et, de stage de recherche sur les champignons en stage de recherche sur les ovocytes de souris, elle se formait àla paillasse. A chaque fois, elle est payée des clopinettes ; mais l'État a investi dans Bénédicte et Bénédicte essaye de le lui rendre. Elle part même acquérir de l'expérience àl'étranger pendant 3 mois car, lui dit-on, c'est une condition sine qua non pour faire sa trace en France. Au fur et àmesure, son amour pour la recherche en biologie se confirme.
En troisième année de l'Agro, Bénédicte fait un master en sciences du végétal. Elle apprend par cœur des schémas de régulations cellulaires mais surtout se coule dans le moule de la recherche scientifique et fait sienne sa méthode.
Enfin, elle se met àla recherche d'une thèse. Parce qu'en France les doctorants sont très soudés (parce que très mésestimés), elle profite des outils mis àsa disposition comme l'association Bernard Grégory. Deux envies guident sa recherche : voulant mettre en valeur son diplôme d'ingénieur et le valoriser, elle aimerait une thèse en co-tutelle privé/public ; empreinte de l'esprit de l'ingénieur agronome, elle aimerait rendre sa thèse utile (entendre directement utile).
Elle se décide sans faillir pour une thèse dans un laboratoire mixte entre le CNRS et une entreprise pharmaceutique française travaillant sur la division cellulaire, sujet s'inscrivant dans la recherche contre le cancer.
Réalisant l'alliance des fonds public et privé — ce que tous les gouvernements s'efforcent de promouvoir, participant àl'innovation d'une entreprise française dans un secteur hautement concurrentiel et critique pour l'avenir, contribuant àla recherche contre le cancer reconnue comme priorité nationale par la France, Bénédicte voit làune conclusion parfaite àson parcours étudiant.
Mais Bénédicte est naïve. On lui apprend que le CNRS a mis son dossier sur liste complémentaire. Sur liste d'attente.
Car tout ce que l'on a promis ànotre génération n'est que du vent. Tout ce que la France a fait pour nous, tout ce qu'elle a investi dans nos études mondialement reconnues pour leur qualité, elle ne sait pas en tirer les bénéfices le moment venu. Quand vient notre tour de rembourser notre dette, notre tour de tirer vers le haut la compétitivité française, nada. Quand les occasions se présentent de faire de la France un pays dynamique et moteur, notre pays se prend les pieds dans le tapis.
Alors quoi ? Alors c'est l'expatriation. Alors c'est le pis aller. Ou alors c'est le combat comme le mouvement des chercheurs français, le lobbying des ingénieurs et des entrepreneurs pour bouger notre pays et de le sortir de son immobilisme. Gloire leur soit rendue...
En attendant, Bénédicte, elle, jure qu'on ne l'y reprendra plus. Elle ne croira pas que son pays recevra les bras ouverts tout ce qu'elle voudra faire pour lui. Elle ne sera plus naïve une seconde fois.
Mise àjour 13/07 : évidemment, la région et les partenaires en question viennent de recevoir le label Pôle de compétitivité dans les domaines de la santé et la recherche contre le cancer ; et l'un des objectifs de ces pôles est d'engager "la recherche publique dans des programmes favorisant les partenariats entre
laboratoires publics et laboratoires d’entreprises, contribuant aux transferts technologiques des
résultats de la recherche publique vers le monde économique". Quel gâchis et manque de cohérence... Mais bon, on ne s'en étonne même plus !