Nom de science
21
sept.
2007
Je retiens, pour cette chronique animale d'aujourd'hui, un diptère. Une mouche des plus extravagantes. Une mouche de Malaisie ; son nom de science, c'est Cyrtodiopsis dalmanni.
Voici comment Stéphane Deligeorges ouvrait l'émission "Continent sciences" du 12 août dernier.
L'expression "nom de science" m'a immédiatement interpellé. C'est vrai, d'ordinaire on parle de "nom scientifique" et ça vous pose un nom : pas un nom commun, pas un nom quelconque mais un nom donné par des messieurs sérieux en blouse blanche. En latin, même. Et selon une nomenclature rigide : nom du genre d'abord, avec une majuscule, puis nom caractéristique de l'espèce, en minuscules. C'est le "binôme linnéen", même si l'Homme dans sa magnanimité s'est attribué un trinôme pour lui-même : Homo sapiens sapiens. Deux fois sage, et donc deux fois plus de raisons que ses "noms scientifiques" soient traités avec respect.
En effet, "nom scientifique" rime souvent avec "nom exact", "nom savant", "nom érudit", et c'est donc un nom qui discrimine : il y a d'un côté ceux qui connaissent Pyrrhocoris apterus et de l'autre ceux qui connaissent le gendarme. La fille d'un ami, bien qu'âgée de 5 ans, fait partie des premiers, ce qui ne rend pas peu fier son papa ! Or voilà , si Pyrrhocoris nous indique qu'il s'agit d'une "punaise rouge", le nom "gendarme" évoque bien plus poétiquement ses couleurs rouges et noires, qui étaient celles des anciens uniformes des gendarmes. Elle ne fait pas encore de grec (eh oui, ce nom-ci vient du grec, exception qui confirme la règle) mais la voilà qui sermonne déjà ses petits camarades de maternelle qui, eux, naïvement, appellent ça des gendarmes…
Ainsi donc, il m'apparut qu'il est inconvenant de vouloir à tout bout de champ asséner le "nom scientifique" et prétendre ainsi imposer sa loi ! Par contre, parler du "nom de science" d'un être vivant en plus de son nom commun, n'est-ce pas lui donner une seconde vie ? N'est-ce pas lui ajouter un supplément d'âme, tellement sérieux mais si gentiment désuet ? Lecteurs, je vous en conjure : à partir d'aujourd'hui, n'utilisez plus que l'expression "nom de science". Et soyez reconnaissants aux gendarmes et à Stéphane Deligeorges de nous l'avoir soufflée…
Commentaires
Deux anecdotes à propos de nomenclature.
Ma jeune soeur, du haut de ses 7 ans, appelle Apodemus sylvaticus les mulots de notre jardin. Elle est en outre l'heureuse propriétaire d'un ;eucaptus", mélange entre eucalyptus et cactus, je suppose (j'ai vérifié, c'est bien du second dont il s'agit).
Autre chose: je parlais avec des étudiants de L2 (je ne dirais pas d'où...) d'un poisson, et je leur avoue que j'ai oublié le nom vernaculaire. Remarque de l'un d'entre eux : "c'est pas grave, on va faire avec le nom commun". Je ne sais toujours pas si il était sérieux...
Bref, tout ça pour dire que "nom de science", ça fait un peu "nom de guerre", non? Un espèce de sobriquet qu'on utilise entre nous, mais très peu en dehors...
Reste à souligner aussi que ca permet d'être compris d'à peu près tout le monde, quand on sait que les noms vernaculaires changent d'une région à l'autre (alors quand on change de pays, c'est pire).
Timothée > J'aime beaucoup la seconde anecdote ! Evidemment, il est bon d'utiliser le "nom scientifique" des organismes étudiées, surtout dans un cadre professionnel. Je râle toujours après ces américains qui les ignorent ostensiblement dans leurs articles et font avec leurs noms communs à rallonge, genre "red palm weevil" ou "european corn borer". Mais face à des profanes, ou même face à des collègues, je trouve que parler de "nom de science" plutôt que de "nom scientifique" a ce je-ne-sais-quoi de poétiquement innocent (un peu comme "nom de guerre", oui !)...
Enro>Je râle toujours après ces américains qui les ignorent ostensiblement dans leurs articles et font avec leurs noms communs à rallonge, genre "red palm weevil" ou "european corn borer".
Un truc marrant : Tribolium castaneum a pour nom commun flour beetle (coléoptère de farine). Diethart Tautz, dans une revue sur la segmentation parue dans Developmental Cell parue en 2004, a écrit à la place flower beetle (vous pouvez vérifier, l'article est en accès libre). J'ai trouvé cela extraordinaire.
pour ma part j'utilise ces noms latins pour trouver rapidement via google la traduction des noms d'animaux et de plantes. Ca facilite grandement la conversation, surtout dans les cas ou je suis à peine sûr du nom francais et mon interlocuteur à peine sûr du nom dans sa langue (oui, nous ne sommes pas biologistes/botanistes, les photos google voire les recettes marmiton s'averent utiles).
@Timothée: cette anecdote ne m'étonne pas vraiment, car le mot "vernaculaire" lui-même est tout sauf... vernaculaire. En revanche, il est très fréquent dans les écrits de Gould.
Sinon, vous avez remarqué dans le petit monde des bactéries, on a pas d'autre choix que le "nom de science" en latin? Curieux!