Pourquoi Paris 7 recrute un prix Nobel
3
fév.
2010
La nouvelle est tombée avec quelque fracas : l'université Paris-Diderot vient de recruter comme professeur le cosmologiste George Smoot. Et alors, me direz-vous ? Elle a recruté 14 professeurs en 2009 et le laboratoire Astroparticule et cosmologie qui l'accueille compte rien de moins que 180 personnes. Non, la grosse nouvelle, c'est que George Smoot a obtenu en 2006, avec John C. Mather, le prix Nobel de physique pour ses travaux sur le fond diffus cosmologique. Et ça, c'est pas n'importe quoi. Après la surprise, voire l'émotion, vient l'étonnement : que diable vient faire George Smoot à Paris ? Lui-même s'explique dans une vidéo qu'il a bien voulu enregistrer pour nous et que l'université a bien voulu sous-titrer. En bref, il est déjà venu à Paris (Collège de France) pendant quelques semaines en 2002 et avait noué de bonnes relations avec les membres du laboratoire APC. Il est revenu en 2008 grâce à une chaire Blaise Pascal et entérine sa collaboration avec Paris 7 par ce recrutement.
Mais ce qui m'intéresse, ce sont les raisons pour lesquelles cette université, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi sur l'autonomie des universités, a voulu ce recrutement. Quelques hypothèses :
- d'après Sylvestre Huet, avec un prix Nobel dans ses rangs, Paris 7 va faire un bond dans le classement de Shangaï : le nombre de prix Nobel dans le corps professoral de l'institution compte en effet pour 20 % de sa note finale, et celle qui patine aujourd'hui entre les 101e et 151 rangs pourrait remonter dans le top 100 mondial. Sauf que le classement de Shanghaï crédite l'institution à laquelle le chercheur était affilié au moment où il reçoit son prix, et pas celle(s) qu'il a rejoint ensuite[1] !
- un prix Nobel va pouvoir mener une recherche d'excellence (selon l'expression consacrée). Les travaux d'Yves Gingras et son équipe québecoise de bibliométrie ont effectivement montré qu'après 50 ans (Smoot a 65 ans), les chercheurs ont une baisse de productivité et donc diluent moins leurs articles à fort impact, qui restent en nombre à peu près constant — augmentant ainsi la visibilité et l'excellence nette de leur institution ;
- en digne prix Nobel, George Smoot possède un excellent réseau constitué de personnes-clés et mène de nombreuses activités qui font vivre ce réseau (comme l'écrit S. Huet avec un soupçon d'ironie :
il avait un avion pour le Japon et dirige un centre en Corée
). Ne doutons pas qu'il saura développer de nombreux partenariats au sein de Paris 7 ; - enfin, comme je l'écrivais dans un billet précédent, les prix Nobel ne sont pas que des experts de leur domaine et possèdent souvent une "expertise projetée" qui consiste à appliquer à un domaine l'expertise acquise dans un autre et leur permet de parler à chacun, d'évaluer différentes options, de faire les choix qui se révéleront finalement les plus pertinents — bref, d'être l'huile qui va faire mieux tourner les rouages de la science. Dans le cas du laboratoire APC, cela augure d'une dynamique positive et d'un bon développement pour les années à venir.
Cette dernière hypothèse semble la plus fondée puisque le communiqué de presse de l'université (via Sylvestre Huet) explique que G. Smoot ambitionne (…) de créer un centre de cosmologie, comme celui qu’il a su développer à l’Université de Berkeley
, lequel permettrait de renforcer la cohérence des laboratoires parisiens
en même temps que George Smoot travaillera en interaction avec les différentes équipes de ce laboratoire et orientera ses travaux vers les développements des futures missions spatiales en cosmologie
. Finalement, même si les bénéfices seront indirects et longs à venir, je ne pense pas comme Tom Roud que George Smoot prend la place d'un jeune chercheur. Ce qu'il va faire à Paris, sans doute nul autre n'aurait été à même de le faire, et cela bénéficiera en retour à la communauté avec encore plus de postes et de crédits ! Où l'on voit également que les insinuations rapides sur la classement de Shanghaï son mal fondées (ou alors l'université Paris-Diderot a bien mal calculé son coup)…
Notes
[1] Comme le précise la note méthodologique : Award = the total number of the staff of an institution winning Nobel Prizes in Physics, Chemistry, Medicine and Economics and Fields Medal in Mathematics. Staff is defined as those who work at an institution at the time of winning the prize
Commentaires
Hmmm... Pas trop d'accord. Déjà, c'est peut-être pas politiquement correct, mais je trouve un peu étrange le fait de recruter quelqu'un en cosmologie. Je peux me tromper, mais la cosmologie est il me semble un domaine hyper bouché en France, où il est particulièrement difficile de trouver un poste (on entend régulièrement parler d'astrophysiciens multipliant les post-docs). Je lis qu'il va avoir une dizaine de nouveaux post-doc, c'est dingue non ? Que vont devenir ces post-docs ? Ne devrait-on pas développer d'autres disciplines ? (au hasard l'interdisciplinaire avec la biologie ?)
Ensuite, quitte à débaucher à l'étranger, je pense qu'il vaut mieux cibler des gens en milieu de carrière (genre 45 ans) qui ont encore pas mal de potentiel pour développer leur discipline et leur recherche. Smoot a 65 ans et probablement sa carrière derrière lui, quoi qu'on en dise. Pour un Smoot payé à prix d'or, peut-être aurait-il été intéressant de recruter 10 jeunes aux dents longues, dans des domaines plus variés.
Finalement, on verra combien de temps il passera à Paris effectivement ...
hmm, pas très d'accord non plus. Rien de particulièrement faux dans le papier, mais pas d'accord avec l'esprit général (de se féliciter de cette embauche). Mais peut-être qu'avec Tom Roud, en tant que jeunes chercheurs hyper-précaires-et-de-moins-en-moins-jeunes, on est super biaisés ? Et un peu dégoûtés de la recherche en France ? Pas tellement de son niveau (il faut arrêter de dire qu'il est mauvais, ça dépend des domaines, des labos, etc) ou de son classement international (perso, je m'en fous), mais de la non-confiance faite aux jeunes, et la rareté des postes (je ne parle même pas de poste intéressant, j'en ai pas croisé depuis longtemps, mais le recrutement sur profil est un autre grand sujet qui mérite discussion).
ps/ c'est quoi le cadre super chelou dans lequel se trouve ton avant-dernière phrase, Tom ? avec ascenseur horizontale et tout. Une citation ? de qui ?
Salut Je croyais qu'a 65ans un chercheur était mis a la retraite d'office en France ("affaire" Montagnier) ? G. Smoot bénéficierait il de conditions particulières ? A+ J PS : quand une fac recrute un Prof, c'est rarement un jeune chercheur, a mon avis G. Smoot prends juste la place d'un autre sénior, ce qui ne change pas grands choses pour les jeunes...
Sans même parler de classement Shangaï, peut-on s'il vous plaît se féliciter deux secondes de l'attractivité apparemment non nulle d'une université française? Jamais je n'aurais cru qu'un Nobel signerait à Paris VII, ça me donne tort et c'est très bien.
A part ça je ne vois pas d'impact négatif sur le recrutement des (plus très) jeunes chercheurs, au contraire. -ça témoigne d'une certaine ambition pour un domaine, qui avec un peu de chance en sortira développé -les dix post-docs mentionnés par Tom avaient probablement fait le choix de l'astrophysique/ cosmologie en thèse, maintenant il faut qu'ils assument... et à travail égal leur CV aura sûrement meilleure tête avec le nom d'un prix Nobel dessus -je ne crois pas non plus qu'il prenne la place de jeunes chercheurs
Question bonus : ce recrutement a-t-il quelque chose à voir avec la récente autonomie des universités? Je pense notamment au salaire qu'il va falloir sortir pour ce monsieur :-p
@ Benjamin : je ne sais pas si c'est l'attractivité de Paris VII ou l'attractivité de Paris tout court. Et pour rebondir sur ta dernière remarque : pour recruter un big shot comme ça, Paris VII a dû aligner un sacré paquet d'argent. On peut alors se poser la question suivante, comme à chaque fois qu'il s'agit de recherche scientifique : cet argent a-t-il été bien dépensé ? C'est faux de dire que cela n'a pas d'impact pour les jeunes : cet argent ne pourra par exemple pas être dépensé pour aider l'installation de jeunes chercheurs, voire aider au retour de couples de chercheurs souhaitant rentrer au pays ... Autre chose totalement hallucinante : l'impression que c'est vraiment deux poids deux mesures en France. Je viens de galérer pour envoyer mes dossiers de qualif depuis les US (parce qu'un chercheur français, il faut lui envoyer le dossier par la poste française, pas par Fedex sinon ça cause des problèmes ...), et pouf, on voit des gens comme ça qui ne se sont probablement pas donnés toute cette peine débarquer. Je ne parle même pas du fait que si tu es français, il te faut forcément l'habil pour être prof, alors que si tu es étranger, aucun problème (pourquoi garder ces vieux diplômes en France ?). Et puis Smoot, il a passé la qualif de prof' quand ? Deux poids, deux mesures; si l'université française veut jouer la souplesse, qu'elle la joue jusqu'au bout et pour tout le monde, y compris pour les jeunes, pas pour quelques happy fews prestigieux.
Je sais pas, je ne suis pas choqué le moins du monde, ça me paraît normal (et même souhaitable) qu'on facilite les choses pour recruter un gros poisson...
L'argent a-t-il été bien dépensé? -il y a une inconnue sur sa productivité scientifique, mais il n'est tout de même pas gâteux -il ne va pas rester en poste pendant 10 ans, je dirais plutôt 5 -il va être un moteur de collaboration et un facteur d'attractivité Le risque me paraît donc mesuré par rapport à un MdC recruté pour la vie...
C'est peut-être ça la problème : je ne partage pas trop l'idée comme quoi en soi il est bon de recruter des "gros poissons" déjà très établis. Ça dépend fortement de la discipline et des gros poissons, et de leur projet. Encore une fois, la cosmologie, ça fait peut-être rêver les étudiants, mais c'est hyper hyper bouché. A mon avis, il vaut mieux miser sur les jeunes qui montent, et voir sur le long terme. Sur le MdC recruté à vie, faut arrêter Benjamin, on recrute les gens à vie partout à un moment où un autre. Aux US, on te recrute à vie quand tu sais faire tourner ton équipe tout seul, en France, c'est différent, on te recrute à vie quand tu as fait suffisamment de preuves en recherche et en enseignement, je ne vois pas où est le problème.
je suis bien d'accord qu'on recrute à vie partout, ne te méprend pas ; c'est juste que la vie de Smoot est en principe moins longue que celle d'un jeune MdC (ou l'intégrale du salaire versé, si tu préfères)
Oh c'est même pas dit : le salaire de Smoot a sans aucun doute été aligné sur un standard américain, avec un an de Smoot, tu paies quelques années (5- 10 ?) de MdC à coup sûr.
Il semble que Paris VII n'ait pas spécialement cassé sa tirelire: http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/02/05/le-nobel-george-smoot-a-paris-vii-un-bon-point-pour-l-universite-francaise_1301581_3224.html Le salaire de Smoot serait équivalent à celui d'un Prof. catégorie 1 (ou peut-être HC).
Par contre, je suis plutôt d'accord avec Tom sur "l'attractivité de Paris tout court". Dans mon ancienne institution, on avait chaque année plusieurs Profs ricains (plutôt connus, sans être Nobel), souvent en fin de carrière, souvent des potes du directeur du labo ou de quelqu'un d'un peu haut placé, qui venaient passer entre quelques mois et un an en tant qu'"invités". Certes, ils étaient moins payés que dans leur pays, mais ils se la coulaient plutôt douce, on leur filait un 70m2 à 500 euros dans le 5ème, ils passaient 5h par jour au labo et le reste du temps étaient bien contents de visiter Paris et un peu la France avec la petite famille...
Rien de vraiment neuf. Soit ils viennent faire du tourisme, ou pour un petit pécule, et il repartent s'ils ne veulent pas prendre leur retraite dans notre douce France, soit ils ont vraiment l'intention de travailler et ils repartent en courant. De toute façon, ils ne menacent pas la hiérarchie institutionnelle.
Puis-je etre un peu mechant? Il s'agit d'un vice très français de regarder le cadre et oublier le tableau. Tout le monde parle de "ce monsieur", "le gros poisson", "le Nobel", etc... J'ai eu la chance d'interviewer Smoot avant son prix, et en cette occasion de vérifier sa renommée auprès des cosmologues, qui était très très haute. Il est sans doute un très bon scientifique, et les très bon scientifique, ça fait toujours du bien à une Université (ne méprisons pas les jeunes: la réalitè dis qu'il sont beaucoup plus attiré par la qualité scientifique que par l'argent...). Plutot, il faudrait espérer que l'intelligence des cadres d'Université permet de recruter un prof juste avant qu'il obtient le prix Nobel, et non juste après...
Un peu en retard pour commenter... mais j'ai vraiment cru que ce blog était en hibernation pour cause de twitter ;-)
Mais pourquoi l'Université de Manchester veut-elle recruter 5 prix Nobel ? http://www.manchester.ac.uk/medialibrary/2015/2015strategy.pdf