"Medical Hypotheses" est-elle une revue scientifique ?
15
mar.
2010
Albertine Proust signale sur Twitter que la revue Medical Hypotheses est actuellement sur la sellette : son éditeur Elsevier réclame qu'elle se soumette à la revue par les pairs, après la publication en juillet 2010 d'un article de l'équipe du virologiste Peter Duesberg (UC Berkeley) selon lequel le HIV n'est pas la cause du SIDA et les données épidémiologiques et démographiques démentent l'existence d'une épidémie massive de SIDA en Afrique du sud. Le sujet est sensible, mais prenons un peu de recul.
De cette revue, j'en parlais dans mon plaidoyer pour la diversité en science il y a deux ans. Ce qui ressortait, c'est que l'absence de publication d'une idée qui aurait pu être vraie fait plus de mal que la publication d'une douzaine d'idées qui se révèlent être fausses. Selon le rédacteur en chef de cette revue atypique, les idées bizarres ont tendance à attirer l'attention et peuvent stimuler des réponses de valeur — même quand un article est essentiellement erroné
. D'autres revues jouent ce rôle dans d'autres disciplines : Journal of Scientific Exploration, Electronic Journal of Mathematics and Physics, International Journal of Forecasting. Mais faut-il pour autant que la décision de publication repose entre les mains d'un seul homme ?
Répondront non ceux pour qui ce qui n'est pas examiné par les pairs n'a pas de valeur. C'est la raison pour laquelle la revue Chaos, Solitons and Fractals qui semblait noyautée entièrement par son rédacteur en chef fut pointée du doigt à la fin de l'année 2008[1]. Son éditeur, Elsevier, fut là aussi sommé de réagir.
Répondront oui ceux qui y voient la garantie d'un espace d'expression un peu différent, moins soumis aux contraintes de la communauté. Les nombreuses lettres de soutien publiées sur son blog par le rédacteur en chef laissent penser que la revue Medical Hypotheses remplit cette fonction et les exemples ne semblent pas manquer pour dire que telle théorie publiée il y a 10 ou 15 ans, qui paraissait totalement hétérodoxe à l'époque, est aujourd'hui considérée comme "normale".
Une des difficultés de ces affaires c'est qu'elles condamnent sans appel et mettent dans le même sac des pratiques éditoriales douteuses et la publication de théories considérées comme fumeuses. Ainsi, Chaos, Solitons and Fractals fut notamment l'antre de la relativité d'échelle de Laurent Nottale, une théorie dont on ne sait toujours pas trop quoi faire…
À mon avis, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain et il important de maintenir des espaces d'expression à la marge. Les scientifiques ont beau jeu de prétendre que ce qui n'est pas évalué par les pairs n'est pas d'or : les articles d'Albert Einstein ne l'ont jamais été et on connaît trop bien les dérives du peer review (effets de cliques notamment). Cependant, faut-il appeler ceci des revues et les indexer dans Pubmed ? Probablement pas, de la même façon qu'un billet de blog ou un pre-print publié dans arXiv peut être cité sans appartenir formellement à une revue (voire même être récompensé par la médaille Fields). Si notre définition de la revue scientifique est intouchable (rédacteur en chef indépendant, comité de lecture…) alors c'est la nature de l'article scientifique qu'il faut revoir pour pouvoir y inclure ces formes d'expression plus libre.
Notes
[1] Bizarrement, l'article accusateur de Nature n'est plus présent dans les archives de la revue. Ça sent le soufre
Commentaires
Le rédacteur en chef a eu droit à une semaine entière sur le blog NCBI ROLF ! Voir ce post et les suivants http://blogs.discovermagazine.com/discoblog/2009/12/07/its-charlton-week-on-ncbi-rofl/
Rhooo, j'étais preum's à retweeter ;-) http://twitter.com/timeshighered/status/10264191487
Mais les personnes qui veulent publier sans peer-review ne manquent pas d'espace pour s'exprimer : il y a tout le web pour cela !! (je suis sérieux là)
Et Plos One, n'est-ce pas une solution ? Je ne sais pas quoi penser de tout ça, mais un des problèmes est qu'il y a trop de papiers déjà et qu'il est impossible de tout lire. Si en plus on doit lire des tas de papiers faux, je pense qu'il faut qu'ils soient bien encadrés pour avoir au moins un minimum de qualités et d'intérêts, sinon c'est la porte ouverte à la publication scientifique de crackpots. Regarde comment ça turbule en ce moment à tort et à travers sur le réchauffement climatique...
Tom, je ne comprends pas ta remarque sur Plos One. Ce qui est certain c’est que dans cette revue on trouve des papiers corrects, mais aussi n’importe quoi, il y a vraiment des articles dont on se demande comment ils ont pu passer.
@ Hervé : justement, c'est un exemple de revues "alternatives", indexée sur pubmed sauf erreur de ma part et même avec revue par les pairs !
Oui c’est sur pubmed... mais je ne vois pas en quoi c’est une solution. Manifestement les éditeurs de PlosOne sont beaucoup trop laxistes, ou bien ils ne sont pas assez nombreux pour réussir à choisir des rapporteurs compétents dans des domaines un peu pointes -- de toute façon le processus de peer review, de façon générale, ne fonctionne pas très bien non plus (copinages, renvois d'ascenseurs, reviewers de parti pris ou qui ne font pas leur boulot correctement, ou qui demandent une major revision consistant à ce qu’on cite leurs papiers...).