Récemment, Nicolas Sarkozy saluait Pierre-Gilles de Gennes, selon lequel l'autorité scientifique ne confère pas aux savants une autorité morale, ni une sagesse particulières, pour mieux regretter ensuite que cette autorité se trouve ébranlée au tant (sic) que toutes les autres formes d'autorité par une crise de défiance sans précédent. J'ai déjà  dit le mal que je pensais de cette pirouette permettant à  notre président de retomber sur les thèmes qui lui sont chers. J'ajoutais même en commentaire que poser la question de l'autorité du scientifique, pour parler de sa place au sein de la société, était relativement stérile et réducteur !

Le Collège de France ne m'a pas écouté et a organisé les 18 et 19 octobre son colloque de rentrée, intitulé... "De l'autorité" ! Tant mieux, c'est une occasion de revenir sur la question. Parmi les intervenants, Jean Bricmont, connu pour son scientisme forcené, ne dérogeait pas à  la règle (vidéo) : selon lui, la démarche scientifique met radicalement en question l'argument d'autorité, se différenciant ainsi d'institutions comme l'armée, la prêtrise etc. — mais le problème du scientifique est celui de l'arroseur arrosé, le grand public ayant été trop entraîné à  douter, surtout face à  des communautés privilégiées comme la communauté scientifique. Que faire de cette démarche sceptique du profane ? Il faut l'entretenir, d'autant que le scientifique possède deux atouts dans sa manche qui lui permettent d'être plus facilement cru que l'homme politique ou le philosophe : il accomplit des "miracles" par la technologie (électricité, lumière etc.) et ses théories concordent avec les observations.

Sauf que... Le second point est peu accessible au profane, comme Jean Bricmont le souligne lui-même, et peut largement se discuter à  la lumière de l'histoire des sciences[1]. Et le premier point se discute à  la lumière de la sociologie des techniques, où il apparaît que ce n'est pas tant la science qui réussit à  faire décoller un Boeing mais l'ensemble des réseaux socio-techniques qu'elle mobilise (une compagnie aérienne, un aéroport, un pilote correctement formé, une compagnie pétrolière livrant du kérosène etc.).

Heureusement, Didier Sicard (président du Comité consultatif national d'éthique) va un peu plus loin dans sa réflexion intitulée "Qu'est-ce que l'autorité scientifique ?". En commençant par une remarque qui pourrait servir de définition : une "autorité" est écoutée avant de parler, il argue que l'autorité scientifique en perte de vitesse s'est transférée vers l'expert, celui qui produit non pas de la connaissance mais rationalise des connaissances à  partir de morceaux de connaissance. Je ne saurais juger cette théorie mais il donne quatre facteurs pour expliquer cette perte de vitesse, qui sont autant de critères indispensables à  l'autorité scientifique :

  • à  l'aune d'une spécialisation croissante, le scientifique peut difficilement réclamer une autorité grandissante : plus la République est petite, plus l'autorité peut devenir ubuesque ;
  • l'autorité soufre de l'accélération du temps, de l'obsolescence rapide : une autorité sans mémoire est un général sans armée ;
  • l'autorité n'est pas celle d'un vieux gardien de phare, qui prévient de l'existence des récifs, elle est celle d'un Guide dans une zone à  risque sur lequel repose la confiance, nourrie du feu des expériences. Elle est beaucoup plus liée à  un présent et un devenir qu'à  un passé. Le vrai guide n'est pas celui qui a une expérience qui le rend sûr de lui, mais c'est celui qui, dans un univers nouveau, a le plus de capacité à  entrecroiser les informations. Voilà  pourquoi il ne faut pas sacraliser les gloires passées comme Allègre ou Watson... ;
  • la science et le chercheur soufrent d'un discrédit, se disqualifiant notamment d'eux-mêmes par leurs certitudes qui se substituent à  un questionnement ouvert. Or toute autorité n'existe uniquement parce que l'opinion le veut bien (Emile Durkheim).[2]

La question est complexe, et j'avais effectivement tort de la balayer si rapidement !

Notes

[1] Le livre Tout ce que vous devriez savoir sur la science, de Collins et Pinch (Le Seuil, coll. "Points sciences", 2001), regorge d'histoires où les observations ne cadraient pas aussi bien avec la théorie qu'on a pu nous le dire, de Louis Pasteur réfutant la thèse de la génération spontanée à  Arthur Eddington vérifiant la relativité d'Einstein.

[2] Je nuancerai quand même le constat de Sicard puisque selon Joà«lle Le Marec, depuis plus de 20 ans, plus de 70% du public interrogé dans les enquêtes d'opinion régulière estime qu'il est souhaitable que la part de l'Etat consacrée à  la recherche augmente. Ce qui change, c'est l'érosion du sentiment que les retombées de la recherche apportent du bien. Les enquêtés distinguent l'activité de recherche scientifique et les retombées de cette activité de recherche sur la société. Ils soutiennent la première mais c'est un désir de contrôle accru des secondes qui est exprimé.