Mon billet précédent sur Axel Kahn a fait réagir, c'est bien, je continue donc à  disséquer le phénomène Kahn et à  travers lui le fameux "mandarinat".

Un nouvel éclairage nous est apporté par Robert K. Merton, fondateur de la sociologie des sciences. Dans un article séminal publié dans ''Science'' en 1968, il synthétise sous le vocable d'"Effet Matthieu"[1] le fait que les chercheurs les plus reconnus, les plus en vus, reçoivent toujours plus de mérite que leurs collègues à  travail égal (souvent dans le cas de collaborations ou de découvertes simultanées). Derek de Solla Price parlera plus tard plus généralement de théorie des "avantages cumulés" (voir notamment J. Cole et S. Cole, Social Stratification in Science, University of Chicago Press, 1973) et l'idée rejoint l'adage selon lequel la richesse entraîne la richesse. Selon les propres mots de Merton :

The Matthew effect consists to the accruing of greater increments of recognition for particular scientific contributions to scientists of considerable repute and the withholding of such recognition from scientists who have not yet made their mark.

Ainsi, toujours dans l'article de Merton, on trouve ce témoignage d'un prix Nobel de chimie : "Quand les gens voient mon nom sur un article, il sont capables de s'en souvenir, au détriment des autres noms". Cela explique notamment que les distributions de citations soient si asymétriques : les plus cités sont énormément plus cités que les moins cités car ils bénéficient de l'effet Matthieu. De la même façon, un chercheur un peu plus connu verra ses articles acceptés plus facilement, on lui proposera plus de collaborations etc. d'où une encore plus grande visibilité.

Alors, on peut tout à  fait appliquer cette lecture à  Axel Kahn : l'homme a commencé à  être connu par quelques résultats scientifiques, il est bon communiquant donc truste les médias, devient membre du Comité d'éthique et encore plus sollicité par les médias, jusqu'à  ce que sa renommée le rende incontournable au moment de nommer le nouveau directeur de l'Institut Cochin. Comme dans un effet boule de neige, il suffit de pas grand chose au départ pour que la machine fonctionne. On pourrait donc presque se poser la question : pourquoi lui et pas un autre ??

Notes

[1] Pourquoi effet Mathieu ? Parce que l'on trouve dans l'Evangile selon St Matthieu 25:29 cette phrase tout à  fait adéquate : "Car on donnera à  celui qui a et il sera dans l'abondance, mais à  celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré."