Axel Kahn expliqué par la sociologie des sciences (2)
20
oct.
2006
Mon billet précédent sur Axel Kahn a fait réagir, c'est bien, je continue donc à disséquer le phénomène Kahn et à travers lui le fameux "mandarinat".
Un nouvel éclairage nous est apporté par Robert K. Merton, fondateur de la sociologie des sciences. Dans un article séminal publié dans ''Science'' en 1968, il synthétise sous le vocable d'"Effet Matthieu"[1] le fait que les chercheurs les plus reconnus, les plus en vus, reçoivent toujours plus de mérite que leurs collègues à travail égal (souvent dans le cas de collaborations ou de découvertes simultanées). Derek de Solla Price parlera plus tard plus généralement de théorie des "avantages cumulés" (voir notamment J. Cole et S. Cole, Social Stratification in Science, University of Chicago Press, 1973) et l'idée rejoint l'adage selon lequel la richesse entraîne la richesse. Selon les propres mots de Merton :
The Matthew effect consists to the accruing of greater increments of recognition for particular scientific contributions to scientists of considerable repute and the withholding of such recognition from scientists who have not yet made their mark.
Ainsi, toujours dans l'article de Merton, on trouve ce témoignage d'un prix Nobel de chimie : "Quand les gens voient mon nom sur un article, il sont capables de s'en souvenir, au détriment des autres noms". Cela explique notamment que les distributions de citations soient si asymétriques : les plus cités sont énormément plus cités que les moins cités car ils bénéficient de l'effet Matthieu. De la même façon, un chercheur un peu plus connu verra ses articles acceptés plus facilement, on lui proposera plus de collaborations etc. d'où une encore plus grande visibilité.
Alors, on peut tout à fait appliquer cette lecture à Axel Kahn : l'homme a commencé à être connu par quelques résultats scientifiques, il est bon communiquant donc truste les médias, devient membre du Comité d'éthique et encore plus sollicité par les médias, jusqu'à ce que sa renommée le rende incontournable au moment de nommer le nouveau directeur de l'Institut Cochin. Comme dans un effet boule de neige, il suffit de pas grand chose au départ pour que la machine fonctionne. On pourrait donc presque se poser la question : pourquoi lui et pas un autre ??
Notes
[1] Pourquoi effet Mathieu ? Parce que l'on trouve dans l'Evangile selon St Matthieu 25:29 cette phrase tout à fait adéquate : "Car on donnera à celui qui a et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré."
Commentaires
Assez bien vu cette idée de la boule de neige (même si je le répète, je pense qu'il y a pire qu'Axel Kahn ;) ). Comment cela commence-t-il ? Je pense que tu as mis le doigt sur le point le plus sensible : incontestablement, les gens les plus connus de mon domaine sont de très très bons communicants (mon chef a même qualifié l'un de nos "concurrents" de "vendeur de voiture d'occasion !"). Vendre sa science, se vendre, c'est très important, d'autant plus que la science est par définition spécialisée, donc c'est relativement facile d'impressionner les gens pas forcément au fait de ta recherche.
Je suis d'accord avec l'idée que les scientifiques les plus connus ne sont pas forcément les meilleurs, c'est-à -dire qu'il existe un marketing de la science et des chercheurs. Qui plus est, l'effet Matthieu amplifie les différences ; dans d'autres domaines, on qualifierait une telle dynamique "d'autocatalytique". Il n'y a pas grand chose à faire contre cet effet, si ce n'est compter les publications ou rester vigilant lorsqu'un scientifique ne met pas sa renommée au service de la science. Finalement, la renommée est une responsabilité, et, dans l'image que je m'en fais, AK promeut l'éthique et la prudence dans la biologie médicale. Ce n'est déjà pas si mal. A-t-il changé sa position sur les OGM? Au fait, pourquoi AK et pas un autre? Peut être fait-il partie du petit nombre de scientifiques qui aiment la politique (donc le pouvoir?) et les projecteurs?
Petit probleme dans la demonstration, a mon avis. Parce qu'AK a une tres grande visibilite mediatique en France. Mais les revues scientifiques importantes sont anglophones. Et il y a fort a parier que la plupart des referees de ces revues ne sont pas au fait de la visibilite mediatique d'AK. Ce qui limite quand meme l'effet boule de neige...
blop > Tu n'as pas tort dans l'absolu mais l'effet boule de neige s'applique ici plutôt à la "face" médiatique d'Axel Kahn qu'à sa "face" scientifique... même si tout démarre par de la science, bien-sûr !!
Bonjour. Je voudrais apporter quelques modifications à votre analyse. Elle est correcte en ce qui concerne la majorité des mandarins du monde de la recherche. Mais pour Axel Kahn, je crois que nous avons affaire à quelque chose de différent :
Contrairement à ce que vous écrivez, au moment où Axel Kahn commence a être connu, il n’a pas de résultats scientifiques remarquables. Alors pour communiquer, il parle des résultats des autres (américains pour la plupart) jusqu’à entretenir la confusion (ces résultats, ne seraient-ce pas les siens ?) et se fait le prophète d’un avenir radieux grâce à la biologie moléculaire et à la thérapie génique : en tout état de cause, si on lui donne les moyens qu’il pense mériter, alors la médecine moderne triomphera. Mais dans cette période, le début des années 80, s’adresser aux medias ne suffit pas pour réussir dans le milieu scientifique, et est même assez mal vu, et c’est son engagement politique qui lui permet de s’imposer. Le pouvoir politique a en effet besoin de personnes acquises a sa cause qui soient relativement visibles au niveau des médias.
Vers la fin des années 80, Axel Kahn est à la tête d’une grosse unité de l’INSERM et l’on attend qu’il confirme les promesses de l’ « ADN médicament ». Son bagout fait qu’il est nommé au comite d’éthique et qu’on lui confie la présidence de la CGB. Et curieusement, c’est cette dernière nomination qui va lui permettre de parachever son ascension. En effet au début des années 90, la montagne thérapie génique a accouché d’une souris, (surtout dans son laboratoire) et les médias commencent à se lasser des promesses non tenues. Or, c’est là que va avoir lieu la grande promotion médiatique d’Axel Kahn. Est-ce le fait d’être le frère de Jean-François Kahn ? Peut-être, mais il y a une autre explication, à la fois plus vraisemblable et plus inquiétante. Axel Kahn est invité sur tous les plateaux pour parler de tout et de rien, ce qui lui permet de traverser les périodes d’alternance politique sans problème. Dans le même temps, alors qu’au début des années 90, il était d’un avis très prudent sur les OGM végétaux, il va en devenir le principal défenseur. En 1997, en tant que président de la CGB, et après avoir passé sous silence les avis des experts défavorables à la culture des OGM, il obtient pour les industriels l’autorisation de les cultiver, contre l’avis des ministres de l’environnement de l’union européenne. Lorsque finalement le gouvernement Juppé accorde l’autorisation d’importer, mais non de cultiver les OGM en France, il démissionne avec fracas de la présidence de la CGB. Quelques mois après, il est nommé directeur scientifique avec un salaire exorbitant a Rhône-Poulenc, pour une période de deux ans, pour une activité indéterminée, tout en conservant son activité de directeur de recherche à l’INSERM. Rappelons que Rhône-Poulenc était depuis une dizaine d’années en train de développer des OGM et était la principale compagnie à avoir besoin de l’autorisation de cultiver sur le territoire national, et que d’autre part Axel Kahn entretenait des liens auparavant avec la direction de Rhône-Poulenc.
Certains se sont indignés de ce qui pouvait être qualifié de corruption (missionné par l’autorité publique, il accepte de l’argent du groupe dont il a favorisé les intérêts) mais les grands médias sont reste muets. Dans le même temps, il devient, lui dont la moralité apparaît publiquement douteuse (quand je dis publiquement, c’est-à -dire hors du cercle de personnes qui a déjà eu affaire à lui), le défenseur de la morale en génétique. Ennemi des Frankenstein de la génétique (personnages imaginaires, car personne en France, à part lui, n’avait tenu de discours triomphalistes sur la thérapie génique), adversaire du clonage humain, du racisme et de la guerre, il s’impose sans trop d’effort comme une conscience morale auprès de médias très peu regardants.
Il m’est difficile de croire que les médias ont accepté seuls et sans rechigner de se faire les porte-voix d’Axel Kahn. Quand on connaît les stratégies utilisées par l’industrie pour donner du poids à leurs porte-parole (voir cet excellent rapport), on peut imaginer qu’une entreprise comme Rhône-Poulenc se devait de fournir l’accès médiatique à son porte-parole (naturellement, il ne s’agit que d’une hypothèse).
Je crois que j’ai répondu à la question, pourquoi lui et pas un autre ? Je pense qu’il y a eu conjonction d’une certaine personnalité, du jeu trouble des politiques, du poids des médias, mais aussi probablement des intérêts financiers, situation somme toute peu banale pour créer « le plus grand généticien français » et la « conscience morale de la recherche et même de la France ».
Pour répondre aux remarques de Tom Roud : oui Isiknowledge n’est pas le seul critère de réussite scientifique, et une découverte scientifique peut marquer la communauté scientifique avant d’être répercutée par un grand nombre de citations. Mais pouvez-vous me dire quelle est la découverte scientifique d’Axel Kahn ? D’autre part, assimiler Axel Kahn a un chercheur travaillant dans une pièce du sous-sol est du plus haut comique, lui qui dispose de moyens pharaoniques depuis plus de 20 ans. Concernant sa liste de publis, il semble qu’Enro l’interprète mieux que vous. Quand on connaît le travail que demande un article scientifique, et sachant qu’Axel Kahn a de multiples activités dont l’écriture de livres, on comprend très bien qu’écrire ou participer à autant d’articles n’est tout simplement pas faisable. Les signer, oui, ça prend le temps d’une signature.
Enfin concernant les critiques des attaques « ad hominem » elles sont non fondées : il n’est pas possible de faire une étude sociologique sans partir de cas particuliers, sauf à considérer qu’il existe des classes « a priori » et entrer dans une logique marxiste ou bourdivine. Malgré le côté exceptionnel du cas Axel Kahn, car finalement il est rare de voir les médias avoir autant d’effet sur une carrière scientifique, pour les raisons que soulèvent Blop (par exemple, les frères Bogdanoff sont restés hors de la communauté scientifique malgré la télévision), je pense qu’il nous fournit des indications intéressantes sur la société française contemporaine. En effet, son côté donneur officiel de leçons de morale, n’est pas sans rappeler « la génération morale » que dénonce Kaltenbach dans son excellent pamphlet « Tartuffe aux affaires ».
Bonjour encore une fois, j'ai simplement conteste la mise en cause scientifique d'Axel Kahn par comparaison avec ses collegues, que je trouve malhonnete. J'ai aussi ecrit un petit billet sur le sujet sur mon blog.
"Mais pouvez-vous me dire quelle est la découverte scientifique d’Axel Kahn ? "
Axel Kahn travaille dans un domaine assez confidentiel, il est vrai (le metabolisme du sucre dans le foie). Sans regarder sur pubmed, je ne peux pas dire a brule pourpoint SA decouverte majeure. Mais je ne suis pas plus capables de citer les decouvertes de "Pierre Chambon, Daniel Cohen, Jean-Louis Mandel, Marie-Genevieve Mattéi et Jean Weissenbach" pour prendre les exemples de wikipedia. Les non-physiciens sont-ils capables de citer les travaux de De Gennes ou Charpak ? Les non-chimistes les travaux de Lehn ou Chauvin ?
"D’autre part, assimiler Axel Kahn a un chercheur travaillant dans une pièce du sous-sol est du plus haut comique, lui qui dispose de moyens pharaoniques depuis plus de 20 ans."
Moyen pharaonique ? D'un niveau anormal pour un laboratoire de biologie en competition internationale avec des labos etrangers ? Je ne suis pas convaincu. J'ai visite autrefois son unite, il ne me semblait pas qu'il y avait des moyens anormaux (mais peut-etre avez-vous des chiffres plus precis). Son labo ressemble a un labo standard (et puis je ne doute pas que ses etudiants font effectivement des manips sur leur petite paillasse comme tous les etudiants du monde dans le domaine). Je ne crois pas qu'A Kahn siphonne tous les moyens de la recherche en genetique de l'INSERM, travaillant sur le metabolisme du foie. Maintenant, je ne doute pas qu'il arrive a avoir des moyens, mais encore une fois rien de scandaleux dans le but de la bonne recherche. Et puis dans le domaine de la genetique au sens large, les moyens sont plutot concentres au Genopole qu'a Cochin il me semble. Pour conclure sur ce point-la, les moyens en France n'ont de toutes facons rien a voir avec les moyens aux US dans le domaine de toutes facons...
"Concernant sa liste de publis, il semble qu’Enro l’interprète mieux que vous. Quand on connaît le travail que demande un article scientifique,"
Bien sur, je n'ai aucune idee de ce que represente l'ecriture d'un papier scientifique :) .
" et sachant qu’Axel Kahn a de multiples activités dont l’écriture de livres, on comprend très bien qu’écrire ou participer à autant d’articles n’est tout simplement pas faisable. Les signer, oui, ça prend le temps d’une signature."
Il faudrait savoir, A Kahn, il publie trop ou pas assez ;) ? Plus serieusement, la pratique de la "cosignature" ne concerne pas uniquement A. Kahn mais est totalement generalisee dans le monde de la recherche (et c'est normal). Il faut quand meme arreter avec ca : a partir d'un certain niveau, il est clair que le role des chefs d'equipe ou des profs (surtout en sciences experimentales) se limite a l'ecriture d'articles, la direction scientifique generale. Passe un certain niveau hierarchique, plus personne ne fait de manips sur la paillasse. Et tous les profs du monde cosignent les dix ou vingt articles par an qui sortent de leur unite. Tout le monde sait que ce sont les premiers auteurs qui font le boulot "officiellement" et que les derniers auteurs sont des cosignataires prestigieux qui assurent le management scientifique (voire dont le seul boulot est de trouver des fonds, ce qui est tres courant). Et puis cela n'a rien de choquant, il faut bien des directeurs scientifiques pour encadrer les thesards tout de meme !
Peut-etre A Kahn joue bien de son reseau, peut-etre que c'est un animal politique, mais on ne peut pas le "denoncer" pour des traits caracteristiques qui ne sont pas forcement des "travers" (et qui sont en fait totalement generalises dans le milieu). Mais je ne sais pas, que proposes-tu ? A Kahn a la paillasse ?
Tom, je vais reprendre certaines de vos affirmations :
« Axel Kahn travaille dans un domaine assez confidentiel, il est vrai (le metabolisme du sucre dans le foie). »
Il n’y a pas de domaine scientifique qui soit confidentiel « a priori », et si Axel Kahn avait été l’auteur d’une découverte dans ce domaine, on en aurait entendu parler pendant longtemps.
« Sans regarder sur pubmed, je ne peux pas dire a brule pourpoint SA decouverte majeure. Mais je ne suis pas plus capables de citer les decouvertes de "Pierre Chambon, Daniel Cohen, Jean-Louis Mandel, Marie-Genevieve Mattéi et Jean Weissenbach" pour prendre les exemples de wikipedia. Les non-physiciens sont-ils capables de citer les travaux de De Gennes ou Charpak ? Les non-chimistes les travaux de Lehn ou Chauvin ? »
Vous n’êtes pas capable de citer une découverte d’Axel Kahn, et vous vous trouvez des explications. Est-ce à dire que vous suggérez que malgré tout, Axel Kahn, aurait pu en faire une ? Ou peut-être que vous considérez que le critère de réussite scientifique n’est pas la découverte, mais le nombre de passages à la télévision. Concernant les découvertes importantes de scientifiques français travaillant dans le domaine de la génétique, je peux en citer une bonne vingtaine, mais aucune d’Axel Kahn. Dois-je me contenter de votre justification par l’ignorance pour admettre que finalement, j’aurais pu passer à côté de la grande découverte d’Axel Kahn ?
« Moyen pharaonique ? D'un niveau anormal pour un laboratoire de biologie en competition internationale avec des labos etrangers ? Je ne suis pas convaincu. J'ai visite autrefois son unite, il ne me semblait pas qu'il y avait des moyens anormaux (mais peut-etre avez-vous des chiffres plus precis). Son labo ressemble a un labo standard (et puis je ne doute pas que ses etudiants font effectivement des manips sur leur petite paillasse comme tous les etudiants du monde dans le domaine). »
Axel Kahn est à la tête d’un Institut de plusieurs milliers de m2. Ses thèmes de recherches bénéficient à eux seuls d’une surface de plusieurs centaines de m2.
« Je ne crois pas qu'A Kahn siphonne tous les moyens de la recherche en genetique de l'INSERM, travaillant sur le metabolisme du foie. »
Bonne remarque, pour pouvoir siphonner tous les crédits de la recherche (non pas de l’INSERM, mais surtout des associations), il faut dire que l’on travaille sur la thérapie génique, les cellules souches ou le cancer. Ce que fait Axel Kahn. Pour que le système marche, il faut que des chercheurs ou des étudiants soient envoyés au casse-pipe sur les thèmes qui rapportent de l’argent, tandis qu’une bonne partie des crédits sont utilisés sur les thèmes qui rapportent des publis parce qu’ils sont dans le domaine de compétence du mandarin. Compris ? Ces petits arrangements ne sont naturellement possibles que dans les très gros labos, ce qui est le cas, je pense que vous en conviendrez maintenant, de celui d’Axel Kahn.
« Pour conclure sur ce point-la, les moyens en France n'ont de toutes facons rien a voir avec les moyens aux US dans le domaine de toutes facons... »
Pas sûr, et un certain nombre de grandes découvertes scientifiques françaises en génétique ont été faites avec des moyens bien plus réduits que ceux dont dispose Axel Kahn.
« Il faudrait savoir, A Kahn, il publie trop ou pas assez ;) ? »
Je n’ai jamais écrit qu’Axel Kahn ne publiait pas assez. J’ai dit qu’il n’avait pas fait de grande découverte scientifique malgré les énormes moyens dont il disposait. Par ailleurs j’affirme que publier une grande quantité d’articles quand on a un tel pouvoir n’a aucune signification. Elena Ceausescu signait une grande quantité d’articles qu’elle n’avait pas lus.
« Passe un certain niveau hierarchique, plus personne ne fait de manips sur la paillasse. »
Vous avez une conception bien hiérarchique de la science, typiquement française, et qui explique d’ailleurs pourquoi les résultats scientifiques de la France sont aussi calamiteux. Par ailleurs, votre conception explique pourquoi vous êtes incapable de remettre en question l’autorité d’Axel Kahn. Si, avec la candeur de l’enfant dans les Habits Neuf du Grand-Duc, on fait remarquer qu’il faut avoir fait des découvertes pour être un grand scientifique, vous êtes incapable de faire confiance à votre bon sens. Si comme beaucoup, je fais remarquer que la « conscience morale de la science » a reçu un pot-de-vin après avoir défendu les intérêts d’une compagnie industrielle en tant que représentant de l’autorité publique, qu’allez vous rétorquer ?
Je me permets de surenchérir sur ce point en m'appuyant sur le cas Roger Guillemin, aux Etats-Unis donc, qui va dans le sens de ce qu'écrit François. Lorsque Bruno Latour va l'observer dans son laboratoire (cf. La vie de laboratoire), entre 1975 et 1977, Guillemin a découvert le TRH et GnRH, dirige le laboratoire d'endocrinologie au Salk Institute, est membre de l'Académie américaine des sciences, a déjà reçu le Lasker Award in Basic Sciences et va bientôt recevoir la National Medal of Science (1976) et le Prix Nobel de médecine (1977). C'est donc un chercheur on ne peut plus puissant et plein de responsabilités. Pourtant, écrit Latour,
Donc non, le chercheur qui ne ferait plus de recherche à la paillasse une fois atteint un certain niveau hiérarchique et de prestige est un mythe (ou une commode norme franco-française)...
Donc non, le "mythe" du "chercheur qui ne ferait plus de recherche à la paillasse une fois atteint un certain niveau hiérarchique" n'en n'est pas un, sinon, comment expliquer les blagues et le scepticisme qui entourent cette démarche, apparemment assez exceptionnelle, même au Salk Institute ...
En tout cas, c'est l'analyse que je fais de ton exemple, et de mes différents passages en labo, des "chercheurs et étudiants (...) envoyés au casse-pipe" de Francois ...
Par contre, que le-dit chercheur/chef d'unité/de labo/d'institut participe de manière active à la reflexion sur la progression des travaux qu'il encadre me semble tout à fait compatible avec les responsabilité administrative qui accompagnent nécessairement sa position hierarchique... à quel point cela reste une exception dans le contexte francais, je ne saurais le dire, mais pense pouvoir témoigner en faveur des différents "chefs" que j'ai pu cotoyer...
PAk > Je m'attendais à cette remarque... ;-) Le cas Guillemin est excessif dans les deux sens : c'est vraiment un "pape" de la recherche et il fait réellement ses manips lui-même, mais cela montre que c'est possible. Entre les deux extrêmes (avoir plus ou moins de responsabilités et être plus ou moins en contact direct avec la paillasse), on peut imaginer tout un éventail de possibilités d'où il ressort sans doute qu'en France les mandarins sont moins prompts à travailler à la paillasse que leurs collègues états-uniens... Et qu'en tous cas, on ne peut pas affirmer que « passé un certain niveau hierarchique, plus personne ne fait de manips sur la paillasse ».
Bon, j'alimente le troll "A. Kahn"... Toujours pas d'accord avec François...
"Vous n’êtes pas capable de citer une découverte d’Axel Kahn, et vous vous trouvez des explications. Est-ce à dire que vous suggérez que malgré tout, Axel Kahn, aurait pu en faire une ?"
Primo, c'est quoi une grande découverte ? Je citais récemment ici un article cité 40 fois en quarante ans, puis 700 fois en dix ans...
Secondo, je reconnais que ma réponse était maladroite. Ce que je voulais dire est que je ne suis pas plus capable de citer de grandes découvertes avérées de tas de scientifiques mais que cela ne remet pas en cause leur compétence que je sache. Si j'ai bien compris l'autre aspect de l'argument, il faudrait être nécessairement prix Nobel pour avoir le droit de diriger un institut ou passer à la télé. Je ne suis pas d'accord; je pense que c'est nécessaire et très bien qu'il y ait de bons scientifiques actifs sans être nécessairement géniaux pour faire de la vulgarisation, de l'administration, tout en contribuant à la recherche dans la mesure du possible. Et pour leur faire un procès d'incompétence scientifique, j'attends de vraies critiques scientifiques.
"Axel Kahn est à la tête d’un Institut de plusieurs milliers de m2. Ses thèmes de recherches bénéficient à eux seuls d’une surface de plusieurs centaines de m2."
A. Kahn signe-t-il tous les articles qui sortent de son Institut ? Est-il anormal qu'il ait un gros labo ?
"Bonne remarque, pour pouvoir siphonner tous les crédits de la recherche (non pas de l’INSERM, mais surtout des associations), il faut dire que l’on travaille sur la thérapie génique, les cellules souches ou le cancer. Ce que fait Axel Kahn."
Tous les gros labos font pareil, je ne vois pas encore une fois en quoi cela prouve qu'A. Kahn est un usurpateur scientifique. Entre parenthèses, on peut être mandarin, habile politique et être un bon scientifique, c'est largement décorrélé.
Quant au côté casse-pipe de la recherche pour les étudiants et les jeunes chercheurs, c'est très courant partout dans le monde. Je ne dis pas que c'est bien, mais c'est comme ça malheureusement, et ce n'est spécifique à aucun labo.
"Pas sûr, et un certain nombre de grandes découvertes scientifiques françaises en génétique ont été faites avec des moyens bien plus réduits que ceux dont dispose Axel Kahn."
C'est très vague comme remarque, encore une fois on compare choux et carottes... Certains domaines nécessitent nécessairement plus de moyens et de temps que d'autres, et les résultats sont plus aléatoires, c'est tout. Travailler sur des mammifères, ce n'est pas comme travailler sur des mouches; sur la levure, ou faire du séquençage ou de la bioinformatique.
Sinon, je persiste et signe, passé un certain niveau hiérarchique, les chefs ne font plus de manips et se contentent d'orienter la recherche, comme le signale Pak. Ce n'est absolument pas une conception typiquement française d'ailleurs : la France est peut-être l'endroit où c'est le plus progressif dans la mesure où les jeunes chercheurs font le boulot que feraient les post-doc expérimentés à l'étranger. Aux US, il y a les chefs qui rédigent les grants et discutent avec les membres de l'équipe quelques heures par semaine, et ce sont les post-doc et les étudiants qui font tout le boulot.
Pour finir sur le cas A. Kahn, je ne pense pas qu'il soit un chercheur exceptionnel, une statue de Commandeur. Mais je trouve le procès d'incompétence scientifique injustifié, c'est tout.
Je pense que ni Enro ni François n’ont fait porter la discussion sur la compétence scientifique d’Axel Kahn, mais ils ont sérieusement atteint le mythe du « généticien le plus célèbre d’Europe » et de la « conscience morale de la science », et partant, remettent en question l’honnêteté du personnage. A mon avis, le problème de l’honnêteté n’est pas du tout secondaire en science et j’attends d’un scientifique davantage que d’un politique sur cette question
@francois,
(La référence à E. Ceausescu, c'est juste pour le plaisir de pousser quelqu'un à modifier les critères d'attribution du point Godwin ? Le commentaire #5 était intéressant, par contre le ton pour le moins hautain du #7 me semble déplacé. Enfin bref ...)
Qui est ce
? Les media ? Tous les domaines scientifiques sont-ils traités sur un pied d'égalité ? Que ce soit par les media, le grand public, ou encore par les chercheurs eux-meme ?A la lecture du commentaire de Tom Roud j'avais pourtant eu l'impression qu'il s'agissait simplement d'un constat, et nullement de l'exposé d'une "conception" ...
@ Eric C. D’abord, je n’ai pas très bien compris le rapport entre Elena Ceausescu et les points Godwin. Pour le reste, je vais vous répondre :
« Qui est ce on ? Les media ? Tous les domaines scientifiques sont-ils traités sur un pied d'égalité ? Que ce soit par les media, le grand public, ou encore par les chercheurs eux-meme ? » Pour préciser mes propos, il n’y a pas de domaine scientifique en médecine qui ne puisse être présenté comme primordial avec des moyens médiatiques adéquats, peu de recherches en biologie qui ne puissent être reliées indirectement à un problème de santé publique perçu comme important, comme le cancer, le SIDA, l’Alzheimer, l’obésité, le mal de dos, etc. Même les maladies rares n’intéressant pas le grand public ont changé de statut avec la dénomination de maladies orphelines. D’autre part, à chaque publication dans un journal de facteur d’impact élevé, Axel Kahn donne une conférence de presse. Il est donc difficile d’imaginer une découverte d’Axel Kahn passer inaperçue.
« A la lecture du commentaire de Tom Roud j'avais pourtant eu l'impression qu'il s'agissait simplement d'un constat, et nullement de l'exposé d'une "conception" ... » Vous avez raison, j’ai peut-être été un peu rapide dans mon argumentation qui porte sur plusieurs aspects. Ce qui est en question, ce n’est pas tant le fait de ne pas paillasser que de ne pas se comporter comme un scientifique qui a un (ou plusieurs) projets et va devoir affronter l’évaluation par les pairs. Je trouve absolument choquant que quelqu’un qui n’a pas fait un travail scientifique exceptionnel puisse avoir de plus en plus de moyens. Ce qui me choque c’est qu’en France une situation hiérarchique acquise, même par des moyens douteux, le reste de manière définitive, en raison en partie du fait que beaucoup d’entre nous (dont Tom Roud) sont incapables de remettre en question cette situation hiérarchique.
J’avais écrit ce texte pour l’article de wikipédia sur la Bioéthique, mais il a été supprimé. Je pense qu’il va bien sur ce blog.
L’affaire Axel Kahn, une anecdote, ou une illustration représentative de la crise des valeurs morales en France?
La rémunération par une entreprise d’un fonctionnaire chargé de rendre un rapport dont l’impact devait permettre le développement des activités de cette entreprise ne serait qu’un épisode de plus dans la longue histoire des rapports troubles entre les industriels et les pouvoirs publics si Axel Kahn n’était pas resté membre, et sans aucun problème, du Comité National d’Ethique. On peut encore plaider pour l’anecdote, en considérant que le CNE n’est peut-être qu’un comité Théodule, mais il nous paraît plus intéressant de replacer cette affaire dans le contexte de la crise des valeurs morales en France.
Il est important de noter qu’Axel Kahn se définit à la fois comme athée et humaniste. Si cette position est tout à fait respectable (encore que l’humanisme nous paraisse peu compatible avec une adhésion de 17 ans au parti communiste), elle exige cependant quelques définitions concernant l’humanisme. Dans la conception qu’en a Axel Kahn, il y aurait peu de choses sur lesquelles on ne saurait être d’accord, mais il nous est a priori difficile de voir en quoi son humanisme pourrait être d’un recours quelconque lorsqu’il s’agit de définir la morale.
Les relations entre morale et athéisme sont plus riches. Il est certain que les religions bibliques ont largement pris en charge la morale, sous formes de commandements, et la tâche de l’athée est donc de définir une morale qui ne dépende pas de préceptes religieux. Une définition générale de la morale, pour les croyants ou les athées, est ce qui favorise le bien commun. Si pour les croyants, c’est l’obéissance aux préceptes qui permet le bien commun, il n’en va pas de même pour les athées. La plupart des éthiciens modernes considèrent que c’est au cas par cas, de manière pragmatique, que l’on peut juger que certains comportements vont dans le sens du bien commun, et que d’autres y sont contraires.
La définition du bien commun nécessite la prise de conscience du fait que l’intérêt public n’est pas nécessairement celui des individus. Bien que cette situation soit parfois désignée sous le nom de conflit d’intérêt en France, plus généralement, et c’est le cas dans les pays anglo-saxons, on parle de conflit d’intérêt quand la personne en charge de l’intérêt public a un intérêt personnel qui lui est contradictoire. En langage courant, on dit que l’on ne peut pas être « juge et partie ».
Bien que cette notion paraisse être évidente, aussi centrale que la notion de vérité pour l’établissement d’une morale non religieuse, le fait qu’elle s’impose si peu en France est révélateur d’une crise de valeurs déjà ancienne liée au fait que la morale religieuse de « commandements » n’a jamais été remplacée.
La notion de conflit d’intérêt est peu présente dans les débats bioéthiques français, dont les thèmes prédominants sont les progrès technologiques, alors que des problèmes essentiels et très simples conceptuellement, comme la formation post-universitaire des médecins par les laboratoires pharmaceutiques sont généralement laissés de côté. Les représentants des différents cultes sont conviés aux débats, comme s’ils pouvaient légitimer les positions des comités. Ce qui illustre bien le problème: plutôt que de considérer que la morale doit se baser sur un certain nombre de principes, on a remplacé le discours religieux par un nouveau discours d’autorité consensuel. Ce discours d’autorité relativement peu contraignant « tu ne cloneras pas ton prochain » ne serait pas particulièrement dérangeant, s’il ne servait pas à se substituer au débat éthique.
L’affaire Axel Kahn est riche d’enseignements sur les mécanismes du phénomène d’impunité des élites. Si Axel Kahn, pris la main dans le pot de confiture, n’encourt aucune sanction, c’est parce que c’est lui qui définit le bien commun. Et pour cause: il est membre du CNE, humaniste (puisqu’il le dit), et généticien pour les médias. Et personne ne peut remettre en cause son autorité, car alors il faudrait arriver à définir ce qui légitime l’autorité, ou remplacer le discours d’autorité par un discours basé sur les faits et la contradiction. Or le discours moral français est encore marqué, non par les faits, mais par les intentions proclamées. Le discours moral religieux a certes été remplacé par un discours laïc plus ou moins idéologique, mais toujours fondé sur l’autorité.
La méthode, utilisée par Axel Kahn et bien d’autres, qui permet d’imposer le discours d’autorité, emprunte beaucoup à la politique , et il faut noter que l’utilisation d’une langue de bois généreuse voire humaniste est également le fait des énarques (http://www.presidentielle-2007.net/generateur-de-langue-de-bois.php). Le principe est le suivant : 1) rappeler quelques principes sur lesquels tout le monde est d’accord ; 2) présenter son opinion personnelle de manière déguisée, comme étant celle de tout le monde, au moyen des locutions suivantes : chacun sait bien, tout le monde s’accorde ; 3) utiliser une langue savante quand on aborde des points qui pourraient donner lieu à débat mais accessible chaque fois qu’il s’agit de montrer que l’on est soucieux du bien public. Au final, le lecteur (ou l’auditeur) reste persuadé d’avoir affaire à un expert moralement intègre et, au sens littéral du terme, incontournable.
Il faut bien constater, et c’est attristant, que la grande majorité des réactions indignées par ce qui est bel et bien une affaire de corruption proviennent de personnes qui sont opposées aux OGM pour des raisons idéologiques, alors qu’en fin de compte, nous sommes tous concernés. Il est nécessaire pour conclure de rappeler que l’éthique doit reposer sur certains principes permettant d’atteindre le bien commun. Comme l’a souligné Habermas, le risque pour la démocratie est grand lorsque l’expertise technique, réelle ou supposée, est donnée à penser comme une expertise morale.
Très heureux de voir R. K. Merton reconnu, en particulier l'effet Saint Matthieu, inspiré de la parabole des talents. Et merci de renvoyer à l'article introuvable dans notre beau pays. R. K. Merton est l'inspirateur de l'Analyse Institutionnelle française, de source relativement sûre, mais il ne faut pas le dire. Cela est une autre histoire, mais la recherche en "Sciences humaines" vaut aussi le détour !!!
Mais connaissez-vous la parabole des paraboles ? "Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? etc." toujours dans Matthieu. C'est ainsi que des recherches en libre accès, sur fonds publics, ne s'adressent en réalité qu'à ceux qui ont les codes, et la technologie adaptée... qui ont "des yeux pour voir et des oreilles pour entendre" dirait l'évangéliste ! Et ceux-là sont souvent les commanditaires "clandestins" des recherches.