Associations vs. recherche scientifique : 1-1
18
déc.
2006
Axel Kahn fait encore des siennes mais vous, chers lecteurs, ne serez pas dupes... Dans un article du Monde du 9 décembre sur le Téléthon, il déclarait en effet :
L'AFM est une association de malades qui a pour objectif de hâter l'avancée d'un médicament, et non l'avancée de la science. C'est le prix à payer à partir du moment où une partie de la recherche dépend de la volonté des malades. Il serait dramatique que la recherche en santé soit par trop dépendante de l'engagement associatif.
Déjà , parler de "prix à payer" me semble un mépris grave vis-à -vis de l'AFM et des familles de malades qu'elle représente... Ensuite, il feint de croire que l'on peut obtenir des médicaments sans faire avancer la science elle-même, surtout dans le domaine des maladies génétiques. Les programmes de recherche fondamentale soutenus par l'AFM (par exemple l'Institut de myologie, les programmes Généthon et Décrypton) le contredisent complètement (ou, dans d'autres domaines et d'autres pays, la découverte de l'ARN interférent nobelisée cette année). Puis il a le culot de généraliser à toute ingérence des associations dans la recherche médicale, malgré ce que je me tue à répéter[1]. Bref, sur ce coup-ci, Kahn m'a vraiment fichu en rogne !
Mais voilà que je lis quelques jours plus tard une dépêche AFP du 29 novembre :
Hier regardées par les scientifiques avec une condescendance amusée, les associations de protection de la nature se sont muées en partenaires incontournables dans la recherche sur la biodiversité, à la faveur du désengagement financier de l'Etat. "Il y a quelques années, on les regardait d'un peu haut. Depuis, elles se sont professionnalisées et sont devenues très importantes pour nous", souligne Emmanuel Camus, directeur au centre de recherche agronomique Cirad. (...) "On est loin des intégristes de la conservation, sans culture scientifique, des premiers temps", reconnaît Robert Barbault, écologue au Museum national d'histoire naturelle. "Les grandes associations comme le WWF ou l'UICN, ont lu la littérature (scientifique). En plus, elles disposent d'un recul, d'une stratégie que les scientifiques, souvent très individualistes, n'ont pas". Le plus grand inventaire de la faune et de la flore jamais mené sur la planète, en cours sur l'île de Santo (au Vanuatu), associe ainsi sur un pied d'égalité deux institutions de recherche - le Muséum et l'Institut de recherche pour le développement - et une association, Pro Natura International. De son côté, le Cirad travaille en collaboration avec l'ONG néerlandaise Wetlands International pour déterminer si le virus de la grippe aviaire est présent chez les oiseaux migrateurs hivernant en Afrique.
Et cette conclusion (certes volontairement accrocheuse) :
L'émergence de cette science "participative et citoyenne" en matière de biodiversité est d'autant plus remarquable que le fossé entre la société civile et les chercheurs semble se creuser toujours plus : sur les OGM, le nucléaire, les nanotechnologies... "Les autres sciences feraient bien d'y réfléchir", lance M. Barbault.
Ah, m'écriai-je, rassuré !
Edit 20/12, 14h06 : Des représentants de la mission sur l'île de Santo, scientifiques et membres de l'association Pro Natura, sont en ce moment même sur France inter (émission "La tête au carré"), réécoutable pendant une semaine...
Notes
[1] Mais si je ne dis pas comme Kahn que tout est noir, je ne dis pas non plus que tout est blanc, cf. mon bémol sur la charité et le fait que, selon Michel Callon qui a publié avec Vololona Rabeharisoa un livre de sociologie sur l'AFM, Le pouvoir des malades, "les choix opérés par les associations doivent être discutés de la même manière que les prises de positions des chercheurs doivent être considérées avec une certaine prudence".
Commentaires
Juste une petite remarque en passant : il me semble que l'ARN interférant a été découvert en étudiant la résistance du tabac au virus de la mosaïque du même nom, qui fut aussi le premier virus identifié comme tel. La découverte proviendrait donc de la phytopathologie et fut superbement ignorée par le nobel, qui récompensa en 2006 les médecins ayant approfondi cette découverte .
A part ce détail, je suis d'accord! N'importe quel article de physiologie animale commence et finit par des préoccupations médicales, et prétend ouvrir la voie à des traitements. A mon sens, c'est souvent beaucoup extrapoler pour donner de l'importance à ses travaux, mais ça révèle aussi que les découvertes médicales ne sont pas différentes des découvertes "scientifiques".
Et bien ! il suffit d'attendre que des associations s'occupant de nanotechnologies ou d'OGM développent une culture scientifique, n'est-ce pas ! Ca devrait être possible, si même Greenpeace en a développé une. Ah, non, en fait, c'est WWF qui est cité dans l'article, pas Greenpeace. Je suis qu'a moitié étonné là ...
Si Axel Kahn critique l’AFM, c’est probablement parce qu’il ne reçoit plus autant d’argent de cette association qu’auparavant. Ce qui est normal : à leur début, les associations de malades donnent à ceux qui leur promettent le plus, et Axel Kahn, qui vendait de l’"ADN-médicament" dans les médias, était bien placé. Au fur et à mesure, les associations apprennent à différencier l’esbroufe de la réalité, ce qui explique que le financement d’Axel Kahn ait diminué. Ce qui est incroyable, c’est le culot d’Axel Kahn critiquant non sa propre attitude auparavant, mais l’AFM, comme si les hommes n’avaient pas de mémoire. Je trouve choquant que des journalistes lui laissent si volontiers la parole sans recadrer son discours. C'est au niveau des médias qu'il y a un problème.
En dehors de ce que j’ai dit sur Axel Kahn, j’ai quand même des choses à dire sur le fonctionnement des associations. En réalité, l’action des associations est complètement modifiée par ce qu’en fait le système public, et ce, à plusieurs niveaux.
En effet, les demandeurs des contrats et les commissions d’attributions sont en très grande majorité constitués de fonctionnaires. On distingue deux types de financements : les financements en équipement et en matériel, et les salaires des jeunes chercheurs.
Comme l’organisation du travail de chercheur en France repose sur le statut de chercheur-fonctionnaire, si le nombre de salaires distribués aux jeunes chercheurs excède de beaucoup le nombre de postes de fonctionnaires dans un domaine, ceux-ci vont se retrouver en carafe au moment de demander un poste, bref, ça risque de ne pas attirer les vocations.
Au niveau du financement en matériel, un autre problème se pose, qui est celui de l’implication de l’Etat. D’une manière générale, l’Etat diminue son effort de recherche quand il existe un financement associatif. Mais, si pendant une longue période, l’Etat n’a diminué les financements que dans les domaines couverts par les associations, pendant la période suivante, il a eu tendance à les diminuer plutôt dans les autres domaines, arguant que si les chercheurs n’étaient pas capables d’avoir le soutien des associations, alors ils ne pouvaient bénéficier du soutien de l’Etat. Ces deux attitudes contradictoires, gérées parfois simultanément, font que l’on règne dans l’arbitraire absolu, et que l’intervention des associations a rajouté à une opacité déjà profonde. Rajoutez à cela que les personnes mises à la tête des associations le sont souvent pour des raisons politiques, que les membres des commissions des associations font partie des laboratoires demandeurs de crédits, et qu’ils ont tendance à pratiquer l’auto-distribution sans contrôle, et vous partagerez ma perplexité au sujet des associations.
Mais soyons clair, les problèmes liés aux associations sont des problèmes d’opacité, d’éthique et de conflits d’intérêt, problèmes qu’il eût été encore plus indécent pour Axel Kahn de soulever, et non pas des problèmes de finalité.
Un mot sur les recherches naturalistes comme celles de Robert Barbault et du Museum d'Histoire Naturelle, auxquelles j'ai modestement participé en mon temps (DEA), d'une manière pas du tout naturaliste d'ailleurs. Les suivis de mésanges, comptages de graminées et autres pièges à papillons sont souvent jugés ringards et inutiles, et les financements publics sont distribués au compte-goutte. Economies de bouts de chandelles, car cette recherche ne coûte vraiment pas cher, notamment si on la compare à la génétique. Si la compétence naturaliste se perd faute de transmission, elle sera bien difficile à récupérer. Un vieux prof qui connait sa prairie sur le bout des doigts vaut mieux que tous les bouquins. Mais ce genre de profs se fait rare. Les chercheurs en biologie introduisent tous leurs articles par des considérations médicales dans le but évident d'attirer l'attention des financeurs (fair enough). Les naturalistes, eux, brandissent la crise de la biodiversité et les services écologiques, avec un succès bien moindre. Tant mieux si le WWF et consorts parviennent pour le moment à assurer le financement de cette recherche et contribuent à son pilotage. Comme dit Fabrice Lucchini dans un spot télé pour l'Ademe : "Et vos enfants, ils aiment les ours !"