Voici ce qu'un scientifique (pur et dur ?) écrit de la sociologie des sciences, dans un texte destiné au grand public :

Or je ne puis, en tant que chercheur, que considérer ce vaste champ d'étude de l'analyse sociale de la science comme non seulement important et respectable, mais aussi salutaire pour les scientifiques. Ils songent trop rarement aux fondements historiques et au contexte sociale de leur recherche, et bénéficieraient grandement d'une meilleure compréhension de ces influences non scientifiques sur leurs croyances et leurs pratiques.

Qui est-ce ?

[Mà J 24/04, 23h00] : Bravo à  anon et Timothée qui ont reconnu Stephen J. Gould dans Le Renard et le hérisson (trad. française 2005, Le Seuil, p. 109). On retrouve ici une image très simpliste de la sociologie des science, qui ne s'intéresserait qu'aux influences non scientifiques sur la production scientifique. Passés Lyssenko et l'Homme de Piltdown, le sociologue des sciences s'acharnerait donc à  montrer que l'électron est de gauche et le gène, colonialiste. Il y aurait d'un côté la science et de l'autre le contexte historique et social, le second influant forcément sur la première. Caricature que cela ! Et, alors, on ne s'étonnera pas des critiques récurrentes envers la sociologie des sciences, à  laquelle Gould apporte malgré lui sa pierre !!

Pour montrer ce que fait réellement la sociologie des sciences, intéressons-nous plutôt (en dehors des innombrables exemples publiés ici-même) à  la manière dont Bruno Latour étudie la contribution d'Archimède à  la nation du roi Hiéron II[1]. On se souvient qu'Archimède avait provoqué le roi Hiéron en affirmant qu'avec un point d'appui, il pourrait soulever la Terre. Le roi le met alors au défi de mettre en mouvement une grande masse par une petite force, et Archimède tient sa promesse et ramène à  terre un navire de la marine royale, grâce à  l'utilisation de poulies. Le roi fait donc travailler Archimède à  son compte et le charge de missions les plus diverses, intégrant la science (la "géométrie") à  son gouvernement. Alors, pour la sociologie des sciences,

il ne s'agit pas d'aller chercher comment la géométrie "reflète" les intérêts de Hiéron, ou comment la société de Syracuse "se trouve contrainte" par les lois de la géométrie.

Il ne s'agit pas d'expliquer la géométrie par la société mais de constater que désormais, la société de Syracuse est une société nouvelle, "à  géométrie". Il n'y a pas d'un côté un contexte social ou historique et de l'autre une science, mais deux mondes qui s'interpénètrent et se fécondent l'un l'autre. Le contexte n'est pas donné, il est fabriqué par la science ! Or la société va nier avoir "enrôlé" la géométrie, ou ne réalisera pas qu'elle l'a fait, et c'est précisément à  la sociologie des sciences de désintriquer ces fils.

Et aujourd'hui, on a d'autant plus besoin de la sociologie des sciences que les fils sont plus noués, notre société étant basée sur la science, la technologie et le risque...

Notes

[1] B. Latour (1991), Nous n'avons jamais été modernes, La Découverte, pp. 147-150.