En cette période de rentrée scolaire, il est bon de se pencher un peu sur les manuels scolaires de nos chères têtes blondes. Rien de bien méchant, pensez-vous, puisqu'il s'agit d'enseigner l'addition en mathématiques et la classification des espèces en biologie. A la rigueur pourrait-on apercevoir quelques difficultés en histoire, avec les controverses sur le "rôle positif de la colonisation" ou autres.

Mais les contenus, quels qu'ils soient, posent de vraies questions de fond. Comment enseigner de manière dynamique des savoirs depuis longtemps figés ? Comment y insérer des éléments de débat actuels ? Comment éduquer à  l'environnement, au développement durable et autres préoccupations modernes de l'Education nationale ? Quelques exemples, trouvés dans un excellent dossier de la Banque des savoirs, permettent d'appréhender ces révolutions en marche. Mais pas toujours dans le sens où on l'attendrait !

Concernant l'éducation à  la sexualité, par exemple, l'édition 1988 d'un manuel Nathan pour les 4e, dit du rapport sexuel qu'il est un moment de plaisir pour le couple. Il permet de transmettre la vie s’il aboutit à  une fécondation ; on parle de caresse, de son lien avec l’érection du pénis chez l’homme et la lubrification des parois du vagin chez la femme ; on n’hésite pas non plus à  évoquer des mouvements de va-et-vient rythmés, d’orgasme, sans oublier que le rapport sexuel s’achève par une phase de détente qui se prête aux échanges de tendresse entre les deux partenaires. Mais dix ans plus tard, le même manuel signe un retour en force des valeurs morales conservatrices : le rapport sexuel est résumé à  une union entre l’homme et la femme, qui n’est pas toujours lié au désir d’avoir un enfant, et à  une histoire de sperme déposé dans le vagin.

D'autres messages sont plus subtils. Nous avons tous vus des photos de vrais jumeaux dans les manuels de biologie, habillés exactement pareils avec la même coupe de cheveux. Chercherait-on à  nous dire que les gènes commandent également le caractère, les goûts ou la pensée ?? Comment s'étonner ensuite des déclarations controversées de notre président ?!

Valentina et Nina, 73 ans ©© blandm

Selon les pays, les représentations qui sont inculquées aux jeunes élèves peuvent aussi changer du tout au tout. Concernant le thème précis des origines de l'homme, il n'est pas au programme à  Malte ou en Grande-Bretagne. Il a été récemment supprimé au Maroc, en Tunisie, au Liban mais aussi au Portugal. Et quand il est présent, en Grèce et à  Chypre par exemple, il n'est pas toujours enseigné. Même en France, il est finalement peu présent dans les ouvrages ; et pourquoi l’homme devrait-il être installé en haut de l’arbre de l’évolution, comme un aboutissement ? L'éducation à  la santé est aussi fortement marquée par la culture de chaque pays. Ainsi, dans le nord de l’Europe, la promotion de la santé telle que l'OMS tente de la développer, avec des notions comme le bien-être, l’estime de soi, la relation à  l’environnement, est privilégiée. En France, la santé est présentée avec une vision exclusivement biomédicale, très curative, où le médicament est la solution à  tous les maux, le microbe le seul agent infectieux : plus de 95 % des évocations en matière de santé concernent cette facette biomédicale, les 5 % restants abordent un registre préventif. Il y a plus tranché encore : en Pologne, la promotion à  la santé n’est jamais évoquée. Ailleurs, la balance se réajuste, jusqu’à  un équilibre proche des 50/50 en Allemagne, au Mozambique, en Finlande ou au Portugal.

La forme aussi a évolué. Comme l'écrit une muséologue :

c'est vraiment fascinant de voir l'évolution du manuel scolaire scientifique qui part d'un livre de type roman où la science est racontée avec des mots, jusqu'au tout pour l'expérimentation des manuels de nos jours où la science est présentée par une série de photos, d'illustrations, de schémas et de quelques consignes. Hier, les manuels étaient remplis de mots et l'on n'y retrouvait que très peu d'images. Aujourd'hui, les manuels sont des bouquins d'illustrations et de photographies agrémentées de quelques mots. La différence est frappante et un peu déroutante.

Le rôle même des manuels scolaires, ainsi que leur statut dans la classe, interrogent[1] :

Les élèves ne sont jamais amenés à  se poser des questions sur l'origine de cet outil pourtant quotidien. Beaucoup s'imaginent que les manuels sont écrits par des savants de la discipline, ce qui n'est pourtant quasiment jamais le cas. Cette représentation témoigne simplement de l'effet d'autorité d'une parole imposée parce qu'on ne l'interroge jamais en tant que parole. (p. 56)

Plus bêtement, les manuels restent souvent obscurs pour les élèves, qui se les approprient beaucoup moins que les enseignants eux-mêmes[2]. Non pas tant à  cause du vocabulaire spécialisé, qui est bien expliqué, mais à  cause du registre soutenu, de la densité informationnelle (peu de redondance), de la longueur des phrases, des tournures passives et de la multiplicité des renvois qui emprunte plus à  la littérature scientifique qu'à  la vulgarisation.

De là  à  mettre les manuels au bûcher, il y a un pas que je ne saurais franchir. L'idée consiste à  les re-contextualiser pour ne plus se cacher derrière une neutralité de façade. Par exemple, au lien de présenter Toumaï comme le plus vieil hominidé, pourquoi ne pas rendre compte de la controverse scientifique qui hésite à  en faire plutôt l'ancêtre des grands singes ? En tous cas, on se rend compte que derrière ces volumes assez banals se cachent de grandes questions sur le statut de la connaissance et de l'autorité. Un sujet d'étude peu médiatisé mais majeur…

Notes

[1] Annette Béguin, "Didactique ou pédagogie documentaire ?", L'Ecole des lettres des collèges, n° 12, 1995-1996, pp. 49-64

[2] Jean-Pierre Astolfi, "Le casse-tête des manuels scientifiques", Argos, n° 13, 1994, pp. 50-51