La science, la cité

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Mot-clé : éducation

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Enseigner des controverses

J'ai déjà parlé sur ce blog des façons de montrer la "science chaude" en classe et de son intérêt pour l'éducation à la citoyenneté, afin d'apprendre à nos têtes blondes non seulement quelle est l'équation fondamentale de la dynamique mais aussi ce qu'est un expert, comment la science fonctionne (je veux dire réellement), comment confronter les discours pour se faire un avis etc. L'étude des controverses socio-techniques ou questions socialement vives (OGM, virus A/H1N1, réchauffement climatique…) permet d'entrer dans ces questionnements complexes et assez nouveaux pour l'école.

Forcément, c'est un vaste sujet et je n'ai fait que l'effleurer — par curiosité intellectuelle ici, à titre professionnel lors d'un festival de science. J'ai donc été content d'apprendre qu'une chercheuse en didactique de l'ENS Cachan, Virginie Albe, avait publié un livre aux Presses universitaires de Rennes sur cette seule question. J'en ai profité pour le lire et mon compte-rendu détaillé est à voir chez les voisins de Liens socio !

J'en profite également pour signaler que Marine Soichot, doctorante au Muséum national d'histoire naturelle, est passée il y a quelques jours dans l'émission "Recherche en cours" pour parler du blog Pris(m)e de tête et qu'elle a raconté avec talent son travail sur la représentation des controverses (en l'occurrence le réchauffement climatique) au musée. Je vous conseille chaudement de l'écouter !

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Chronique britannique 7 : la science et les jeunes

En chemin pour l'aéroport, je suis tombé il y a quelque temps sur une affiche de la campagne du gouvernement écossais visant à encourager les vocations scientifiques. Son slogan : "Faites quelque chose de créatif. Faites de la science." Une belle formule qui montre que la science n'est pas nécessairement la matière des intellos boutonneux, mais (aussi) celle des esprits créatifs et qui osent. Le site créé pour l'occasion le démontre de multiples façons.

 Photo prise à Callander, Stirling, Scotland.

Cette campagne fait partie d'une série d'initiatives locales, nommée "Smarter Scotland", destinée à renforcer l'enseignement des sciences à l'école et à développer les carrières scientifiques. Un bel effort, pour une région qui se targue déjà d'avoir une proportion trois fois plus grande qu'en Angleterre de lycéens choisissant une spécialité physique, et une capitale ayant une plus grande proportion de diplômés d'université que n'importe quelle autre ville européenne.

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Enseigner la physique avec Second Life

Dans Second Life, les objets se comportent largement comme dans notre monde, sans quoi la simulation ne serait pas vraisemblable ” et c'est l'univers virtuel le plus sérieux de ce point de vue. Mais Matthieu nous a déjà  appris que pour être crédible, la simulation devait parfois être "fausse". Renato P. dos Santos, blogueur et enseignant à  l'Université Luthérienne du Brésil, s'est penché de plus près sur les lois physiques de Second Life et explique dans un article du Journal of Virtual Worlds Research qu'elles ne suivent ni les lois idéales de Galilée ou Newton ni la physique de notre monde.

Ainsi, le temps peut être parfois dilaté (pour pallier à  la surcharge des serveurs chargés de calculer la simulation) ou simulé de façon aléatoire pour les petites quantités (de l'ordre de la milliseconde). La masse dépend de la taille et la forme d'un objet et non de la matière qui le constitue. La gravitation est prise en charge mais peut-être supprimée de localement par quelques lignes de code. L'accélération d'un objet posé au sol et immobile peut prendre une valeur non nulle, de façon erratique. L'énergie cinétique, elle, n'est pas proportionnelle au produit de la masse et du carré de la vitesse mais plutôt au produit de la masse et de la vitesse (quantité de mouvement). Cela permet aux petits objets (faible masse) d'atteindre une plus grande vitesse mais produit, par exemple, des dégâts plus faibles en cas de collision entre objets. Cette énergie n'est pas liée au système mais contenue dans un "réservoir" interne à  l'objet. Aucune friction (aérodynamique ou hydrodynamique) n'est implémentée, à  l'exception de la résistance de l'air lors de la chute d'objets. La lumière est une propriété uniforme du système et elle ne se propage pas.

Le résultat : un monde hyper-réel, d'après le néologisme d'Umberto Eco, c'est-à -dire qui ressemble plus à  la réalité que la réalité elle-même.

Mais là  où cette observation devient intéressante, c'est dans les opportunités qu'elle offre. Comme dans un "monde laboratoire", les élèves accompagnés d'un enseignant peuvent changer les lois de la physique en touchant au moteur de simulation de Second Life, Havok (le même qui a servi dans des films comme Harry Potter et l'Ordre du phénix ou Troy), avec le langage de script Linden. Il est par exemple tout à  fait possible de fixer la gravitation selon un axe qui ne serait pas vertical. Or les lois de la physique sont une difficulté pour la pédagogie, pusqu'elles se détournent souvent de l'intuition. Un tel apport serait donc considérable. Et Renato de conclure en y voyant une reproduction de l'histoire des conceptions scientifiques mais aussi du parcours psychogénétique dont parlait Jean Piaget, des lois intuitives d'Aristote à  la physique quantique contre-intuitive en passant par les lois idéales de Galillée ou Newton.

P.S. Ce numéro du Journal of Virtual Worlds Research possède d'autres applications éducatives des mondes virtuels et de Second Life en particulier, cela vaut le coup d'oeil !

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Des élèves et des chercheurs

Dans mon billet sur la difficulté de montrer la science en train de se faire, j'écrivais : s'ils savent que les scientifiques travaillent en groupes et que ce travail leur permet d'échanger des points de vue, les élèves ont une représentation naïve de la "preuve" scientifique et de la construction d'une théorie, et une idée finalement vague des caractéristiques du travail des scientifiques. A l'appui de ce constat, des références bibliographiques anglo-saxonnes tant il semble que cette question a peu interessé les enseignants ou chercheurs français.

Pourtant, je suis tombé récemment sur un encart intéressant au détour d'un article rapportant une expérience novatrice de pédagogie des sciences[1]. Cet encart présente brièvement les réponses d'enfants de cycle 3 (CE2 à  CM2) à  la question Quand tu fais des sciences à  l'école, fais-tu un travail de chercheur ?. Les réponses sont variées :

  • oui : dans les deux cas, on cherche une réponse à  une question, on fait des choses sans savoir ce que ça va donner et on explore des choses que l'on ignore
  • non : on ne cherche pas de la même façon (c'est plus difficile pour le chercheur qui cherche des choses inconnues), on ne se déplace pas et on n'invente pas, on cherche dans les livres et pas dans le monde.

C'est intéressant de voir qu'en effet, les élèves font très peu la différence qualitative entre la recherche au laboratoire et la recherche à  l'école. Dans le premier cas pourtant, il n'y a aucun enseignant pour donner la bonne réponse : le doute est permanent. Dans le second cas, l'état de naïveté face aux résultats n'est que provisoire, le temps pour l'enseignant d'expliquer ce que l'on observe. Le chercheur est bien dans l'invention permanente, et il ne peut compter que sur lui-même pour mettre fin à  l'état de doute qui le mine et le motive à  la fois. Alors, oui, cela fait de l'activité du chercheur une activité quantitativement plus difficile que celle de l'élève. Mais cela en fait surtout quelque chose de tout autre. Cette nuance épistémologique, pourtant si évidente pour nous autres, est loin d'être acquise.

Dans le même genre, on se souviendra du concours de dessin "Dessine-moi un chercheur" dont les résultats furent présentés lors de la nuit des chercheurs 2007, à  Paris. Extraits ci-dessous :

Tous les éléments de contexte y sont : le laboratoire, la blouse, le bécher, les étagères, le tableau blanc etc. Mais il faut croire qu'il manque finalement le plus important, qui ne se transmet pas par un dessin : ce qui fait la spécificité de ce professionnel, ses présupposés épistémologiques. L'image (véhiculée par la littérature et les films des années 50 explique Gianni Giardino) l'aurait emporté sur la compréhension plus intime de la raison d'être de ces chercheurs.

Pourtant, on observe la récurrence du danger dans le laboratoire vu par les enfants : "dang bombe", "boum" Cela pourrait être leur façon de montrer que le chercheur explore l'inconnu, ce qui ne se fait pas sans risques. Pour que cette hypothèse soit valide, il faudrait que la notion de danger soit absente de leur vision des activités scientifiques à  l'école. J'ignore si c'est le cas

Notes

[1] Dominique Bioteau, "Qui apporte les glaçons ?", Cahiers pédagogiques, n° 409, décembre 2002, pp. 37-38.

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Comment montrer la "science en train de se faire" ?

Ce qui suit est le résultat d’une réflexion en cours, que j’aimerais conduire jusqu’à  la publication d’un article. A commenter et discuter sans limites, donc !

Histoire d’un concept

L’histoire et la philosophie des sciences se sont toujours intéressés à  la “science déjà  faite”, c’est-à -dire la science comme corps de connaissances et succession de paradigmes, plutôt qu’à  la “science en train de se faire”. A la fin des années 1980, celle-ci est soudainement mise en lumière par la sociologie des réseaux sociotechniques, appuyée notamment sur une anthropologie du laboratoire. Dans l’un des premiers manifestes de ce mouvement, le livre de Bruno Latour intitulé justement La Science en action (édition originale en anglais parue en 1987), on se souvient que l’auteur utilise la métaphore des deux faces de Janus : la “science en train de se faire” est la face de droite (vivante, incertaine, informelle et changeante) tandis que la “science toute faite” ou la “science prêt-à -porter” est la face de gauche (austère, sûre d’elle-même, formaliste et réglée). Et, rajoute Bruno Latour, il n’y a rien dans la science faite qui n’ait été un jour dans la science incertaine et vivante[1]. Passer de l’un à  l’autre implique juste de réanimer, réagiter, réchauffer, rouvrir les faits gravés dans le marbre de la connaissance scientifique. C’est ainsi que l’on obtient un récit moins lisse, où l’activité scientifique résulte d’un processus de construction aussi bien social que technique, où les scientifiques sont plongés dans des controverses, où ils fonctionnent en collectif et doivent composer avec des instruments et des objets techniques qui échappent aux scripts imaginés par leurs concepteurs et dont les variations redessinent, à  leur tour, de nouvelles connexions[2].

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