La science, la cité

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Mot-clé : éducation

Fil des billets - Fil des commentaires

L'accès libre, pour les étudiants aussi !

Nombreux sont les publics qui profitent de l'explosion des revues scientifiques en accès libre (open access). Les chercheurs eux-mêmes, le grand public mais aussi les étudiants. Comme le soulignait en 2004 Malcolm Campbell, c'est d'autant plus vrai que les cours font la part belle à  la littérature primaire.

Dans le cursus de biologie dirigé par Campbell au Davidson College, les supports de cours sont en effet rien d'autres que la littérature scientifique, rendant ainsi les cours plus concrets et apprenant aux élèves à  résoudre les problèmes en cherchant la solution plutôt que d'attendre la réponse du professeur... Dans ce cadre, l'enseignant se félicite de l'augmentation du nombre de revues en accès libre ainsi que des bases de données bibliographiques (Pubmed) et génomiques, protéomiques etc. Les élèves peuvent ainsi accéder aux mêmes articles que les Prix Nobel et les chercheurs des institutions les plus riches et accroissent leur autonomie dans l'apprentissage.

Les exemples abondent. Du coup, on ne peut que se réjouir de l'évolution de l'accès libre en France : je remarque que les équipes de recherche n'hésitent plus à  publier dans des revues open access tandis que le serveur d'auto-archivage HAL voit son usage exploser (graphiques ci-dessous : source)...

Partage

Science chaude et éducation à  la citoyenneté

La science chaude, donc, fournit probablement un très bon support pour l'enseignement scolaire. Mais, selon Jacques Désautels[1], elle est aussi utile pour éduquer à  la citoyenneté.

Un exemple : habituellement, l'enseignement des sciences fait intervenir des objets et lois abstraits dont on nous dit que leur connaissance est objective. L'objectivité serait-elle donc une propriété inhérente et a priori de ces faits scientifiques ? Non, elle est le produit d'un processus qui permet de se mettre d'accord, un processus d'objectivation. Mettre l'accent sur le processus plutôt que la propriété, voilà  qui donne les clés permettant de mieux comprendre ce qui se passe dans les laboratoires et en dehors. Ainsi,

le défunt Conseil des Sciences du Canada (…) soulignait, de manière quasi prémonitoire, que « si les membres de la collectivité ne connaissent pas bien les interactions entre les sciences, la technologie et la société, ils remettent à  une élite technocratique le pouvoir de façonner le monde qui les entoure » (1984, p. l5). Ce point de vue a d'ailleurs été repris (…) par le Conseil des ministres de l'Education du Canada (1997) qui stipule que

l'enseignement des sciences devrait « préparer les élèves à  aborder de façon critique des questions d'ordre social, éthique et environnemental liées aux sciences » (p. 5).

Plus qu'un enseignement des sciences, il s'agit d'une "éducation aux sciences citoyenne" ou scientific literacy, de la même façon que l'information literacy part du principe qu'il est aussi important de savoir trouver, critiquer et utiliser l'information dans la société de l'information que de savoir lire et écrire dans la société industrielle. Elle ne la remplace pas mais la complète. Car pour rendre le citoyen actif et efficace dans la société technoscientifique du XXIe siècle, la connaissance pure conçue comme une fin en soi ne sera jamais aussi efficace que la conscience de l'écosystème où se mêlent démarches scientifiques, enjeux moraux et ambitions politiques. Pour prendre un exemple fictif, imaginons comment un citoyen alphabétisé sur le plan scientifique et technique réagirait à  un article portant sur la coupe d'une espèce d'arbres :

il ou elle s'interrogerait en premier lieu à  propos des relations avec les autres espèces de la forêt et les conséquences possibles de cette action sur les autres organismes. De plus, dans le contexte d'une étude d'impact environnemental, cette personne porterait un regard critique sur les méthodes d'analyse des données afin de repérer, le cas échéant, des indices révélateurs de biais reliés à  des intérêts politiques ou économiques en jeu. Enfin, elle porterait un jugement sur la précision de la présentation des données et sur les raisonnements qui ont conduit aux conclusions.

La grande majorité des élèves ne se destinant pas à  une carrière en science, il ne s'agit plus d'inculquer des bases scientifiques comme une connaissance préformatée et prédigérée mais replacées dans un contexte conférant des réflexes pour bâtir des réflexions citoyennes.

Notes

[1] Désautels, J. (1998). "Une éducation aux technosciences pour l'action sociale". In La recherche en didactique au service de l'enseignement (pp. 9-27). Journées internationales de didactique des sciences de Marrakech, Marrakech (Maroc): Université Cadi Ayyad, Faculté des sciences Semlalia.

Partage

Science froide et crise des vocations

Si l'on montre une science différente (en mouvement, controversée) dans les médias, sans doute peut-on aussi la montrer différemment dans l'éducation. L'enseignement des sciences à  l'école, souvent figé et décevant, a fait l'objet de nombreuses critiques et des initiatives plus ou moins récentes explorent des voies de traverse : opération "la main à  la pâte", enseignement des questions vives, recommandations du rapport Rocard… On pourrait facilement être tenté de toutes les regrouper sous une même bannière, plus ou moins judicieusement.

Franchissons ce pas : ces initiatives originales, donc, visent à  montrer une science chaude. Une science qui se construit plutôt qu'elle ne dicte des réponses. Une science qui baigne dans le doute plutôt que dans la certitude. Une science qui est contingente et non pas transcendante. Donner cette image de la science aux élèves, dès le plus jeune âge (quand, dit-on, leurs capacités d'interrogation et d'émerveillement sont les plus grandes), pourrait ramener les jeunes vers la science. Mettre fin à  la désaffection des études scientifiques. Et éveiller de nouvelles vocations.

Ce n'est pas moi qui le dit mais deux chercheurs en sciences de l'éducation de l'université d'Oslo. En plus de certains critères déterminants (comme la gratification des carrières de scientifique ou le statut social des chercheurs), l'attractivité de la matière scientifique est cruciale. Or elle pourrait être améliorée par un enseignement renouvelé des sciences à  l'école :

Les jeunes sont très intéressés par la science et la technologie, mais pas tellement par la science et technologie qu'ils rencontrent à  travers leur cursus scolaire. Celui-ci se fonde traditionnellement sur la science "bien établie" — la science qui ne peut être mise en cause, et que les épistémologues appellent en anglais le textbook science. Le contraste est grand avec la "science réelle", dans laquelle les chercheurs sont engagés aujourd'hui, à  savoir celle qui provoque de vifs débats, de nouvelles expérimentations, des tentatives d'hypothèses, des conjonctures… Il s'agit là  des frontières de la recherche, où de nouveaux territoires de la connaissance se construisent, grâce à  des d'êtres humains bien réels. C'est souvent cette sorte de science qui est relatée (avec néanmoins de nombreux malentendus) par les médias. Beaucoup de jeunes aiment ces sujets, alors qu'ils peuvent détester la science présentée à  l'école.

Le passage de la théorie à  la pratique n'est pas simple et nombreux sont les colloques, séminaires, groupes de recherche qui se penchent ou se sont penchés sur le sujet. Mais on pourra aussi se souvenir d'un billet précédent sur les manuels scolaires où il était suggéré que, loin de brûler les manuels tels qu'ils sont aujourd'hui, il faudrait les re-contextualiser pour ne plus se cacher derrière une neutralité de façade. Par exemple, au lieu de présenter Toumaï comme le plus vieil hominidé, pourquoi ne pas rendre compte de la controverse scientifique qui hésite à  en faire plutôt l'ancêtre des grands singes ? Les chercheurs d'Oslo proposent autre chose :

un cursus de science devrait comprendre des débats sur l'astrologie, l'homéopathie, la divination, etc. Et même peut-être les relations entre la science et la religion. Mais traiter de ces sujets avec délicatesse, sans offenser ceux qui croient dans ces systèmes, n'est pas facile.

Des petites actions, des grandes actions, tout compte si l'on veut montrer un autre visage de la science aux élèves…

Partage

Comment raconter la science aux enfants

Vous avez déjà  lu Comment ça marche, La vie : une histoire de l'évolution ou Les étranges lunettes de Monsieur Huette ? Dans le monde anglo-saxon, les enfants intéressés par la science liront aussi How things work de David Macaulay ou Horrible Science et Uncle Albert and the Quantum Quest.

Alice Bell est doctorante à  l'Imperial College de Londres et elle a fait de ces histoires son objet d'étude. Avec un point de vue à  la fois éducatif, sociologique et des sciences de la communication, elle décrit ces livres, la manière dont ils interagissent avec leurs jeunes lecteurs et l'image qu'ils donnent de la science. Son blog revenait récemment sur leur structure narrative : traditionnellement, un livre sur la science a une structure "fermée" et suit un fleuve tranquille qui emmène le lecteur du début à  la fin. En espérant qu'il en sache plus à  la fin qu'au début ! Pour Ron Curtis, cela implique un fonctionnement très baconien de la science, qui vient à  bout du réel par l'effort et répond aux questions qu'elle se pose. Mais la science ouvre plus de questions qu'elle n'en ferme (combien de voies de recherche ouvertes à  partir d'une unique découverte ?). Elle fonctionne par un aller-retour constant entre questions et réponses, et improvise en permanence des passerelles (instruments, protocoles, heuristiques etc.) qui la sortent de son cours "naturel". Ainsi, d'autres possibilités narratives doivent exister, qui reflètent bien mieux cette science là . On commence en effet à  les retrouver aujourd'hui en librairie. Par exemple, le livre Pick me up offre une structure que Bell qualifie de "shufflepedia" : elle permet de passer facilement du blog d'un viking (sic) à  une illustration qu'on dirait sortie des années 1950 ou un jeu interactif, chaque concept en entraînant un autre sur un mode toujours différent (humour, interactivité, fantaisie, anachronisme).

Il y a également la possibilité du dialogue socratique, comme dans le livre Why is snot green? de Glenn Murphy.

Et comme précédemment, de nombreux renvois situés dans les notes de bas de page permettent de naviguer à  travers le livre au lieu de le lire en continu du début à  la fin...

Mais si les livres pour enfants ne vous intéressent pas, pensez aux histoires que racontent les médias : la science y est souvent présentée comme une enquête policière. On retrouve le même principe baconien de victoire sur le réel (une question conduit à  une réponse), et de nouvelles formes narratives devraient également se développer pour ce public !

Partage

A propos des manuels scolaires

En cette période de rentrée scolaire, il est bon de se pencher un peu sur les manuels scolaires de nos chères têtes blondes. Rien de bien méchant, pensez-vous, puisqu'il s'agit d'enseigner l'addition en mathématiques et la classification des espèces en biologie. A la rigueur pourrait-on apercevoir quelques difficultés en histoire, avec les controverses sur le "rôle positif de la colonisation" ou autres.

Mais les contenus, quels qu'ils soient, posent de vraies questions de fond. Comment enseigner de manière dynamique des savoirs depuis longtemps figés ? Comment y insérer des éléments de débat actuels ? Comment éduquer à  l'environnement, au développement durable et autres préoccupations modernes de l'Education nationale ? Quelques exemples, trouvés dans un excellent dossier de la Banque des savoirs, permettent d'appréhender ces révolutions en marche. Mais pas toujours dans le sens où on l'attendrait !

Concernant l'éducation à  la sexualité, par exemple, l'édition 1988 d'un manuel Nathan pour les 4e, dit du rapport sexuel qu'il est un moment de plaisir pour le couple. Il permet de transmettre la vie s’il aboutit à  une fécondation ; on parle de caresse, de son lien avec l’érection du pénis chez l’homme et la lubrification des parois du vagin chez la femme ; on n’hésite pas non plus à  évoquer des mouvements de va-et-vient rythmés, d’orgasme, sans oublier que le rapport sexuel s’achève par une phase de détente qui se prête aux échanges de tendresse entre les deux partenaires. Mais dix ans plus tard, le même manuel signe un retour en force des valeurs morales conservatrices : le rapport sexuel est résumé à  une union entre l’homme et la femme, qui n’est pas toujours lié au désir d’avoir un enfant, et à  une histoire de sperme déposé dans le vagin.

D'autres messages sont plus subtils. Nous avons tous vus des photos de vrais jumeaux dans les manuels de biologie, habillés exactement pareils avec la même coupe de cheveux. Chercherait-on à  nous dire que les gènes commandent également le caractère, les goûts ou la pensée ?? Comment s'étonner ensuite des déclarations controversées de notre président ?!

Valentina et Nina, 73 ans ©© blandm

Selon les pays, les représentations qui sont inculquées aux jeunes élèves peuvent aussi changer du tout au tout. Concernant le thème précis des origines de l'homme, il n'est pas au programme à  Malte ou en Grande-Bretagne. Il a été récemment supprimé au Maroc, en Tunisie, au Liban mais aussi au Portugal. Et quand il est présent, en Grèce et à  Chypre par exemple, il n'est pas toujours enseigné. Même en France, il est finalement peu présent dans les ouvrages ; et pourquoi l’homme devrait-il être installé en haut de l’arbre de l’évolution, comme un aboutissement ? L'éducation à  la santé est aussi fortement marquée par la culture de chaque pays. Ainsi, dans le nord de l’Europe, la promotion de la santé telle que l'OMS tente de la développer, avec des notions comme le bien-être, l’estime de soi, la relation à  l’environnement, est privilégiée. En France, la santé est présentée avec une vision exclusivement biomédicale, très curative, où le médicament est la solution à  tous les maux, le microbe le seul agent infectieux : plus de 95 % des évocations en matière de santé concernent cette facette biomédicale, les 5 % restants abordent un registre préventif. Il y a plus tranché encore : en Pologne, la promotion à  la santé n’est jamais évoquée. Ailleurs, la balance se réajuste, jusqu’à  un équilibre proche des 50/50 en Allemagne, au Mozambique, en Finlande ou au Portugal.

La forme aussi a évolué. Comme l'écrit une muséologue :

c'est vraiment fascinant de voir l'évolution du manuel scolaire scientifique qui part d'un livre de type roman où la science est racontée avec des mots, jusqu'au tout pour l'expérimentation des manuels de nos jours où la science est présentée par une série de photos, d'illustrations, de schémas et de quelques consignes. Hier, les manuels étaient remplis de mots et l'on n'y retrouvait que très peu d'images. Aujourd'hui, les manuels sont des bouquins d'illustrations et de photographies agrémentées de quelques mots. La différence est frappante et un peu déroutante.

Le rôle même des manuels scolaires, ainsi que leur statut dans la classe, interrogent[1] :

Les élèves ne sont jamais amenés à  se poser des questions sur l'origine de cet outil pourtant quotidien. Beaucoup s'imaginent que les manuels sont écrits par des savants de la discipline, ce qui n'est pourtant quasiment jamais le cas. Cette représentation témoigne simplement de l'effet d'autorité d'une parole imposée parce qu'on ne l'interroge jamais en tant que parole. (p. 56)

Plus bêtement, les manuels restent souvent obscurs pour les élèves, qui se les approprient beaucoup moins que les enseignants eux-mêmes[2]. Non pas tant à  cause du vocabulaire spécialisé, qui est bien expliqué, mais à  cause du registre soutenu, de la densité informationnelle (peu de redondance), de la longueur des phrases, des tournures passives et de la multiplicité des renvois qui emprunte plus à  la littérature scientifique qu'à  la vulgarisation.

De là  à  mettre les manuels au bûcher, il y a un pas que je ne saurais franchir. L'idée consiste à  les re-contextualiser pour ne plus se cacher derrière une neutralité de façade. Par exemple, au lien de présenter Toumaï comme le plus vieil hominidé, pourquoi ne pas rendre compte de la controverse scientifique qui hésite à  en faire plutôt l'ancêtre des grands singes ? En tous cas, on se rend compte que derrière ces volumes assez banals se cachent de grandes questions sur le statut de la connaissance et de l'autorité. Un sujet d'étude peu médiatisé mais majeur…

Notes

[1] Annette Béguin, "Didactique ou pédagogie documentaire ?", L'Ecole des lettres des collèges, n° 12, 1995-1996, pp. 49-64

[2] Jean-Pierre Astolfi, "Le casse-tête des manuels scientifiques", Argos, n° 13, 1994, pp. 50-51

Partage

- page 2 de 3 -