Recherche en direct (1)
3
déc.
2007
Un séminaire de recherche à l'université Louis-Pasteur, Strasbourg :
- un chercheur > Dans cet article, Nancy Tomes n'annonce son plan qu'à la toute fin de son introduction. Introduction qui fait 7 pages…
- une chercheuse > …et qui est si riche en références bibliographiques qu'on croirait qu'elle a voulu justifier la parution de son article [sur la consommation des biens de santé entre 1900 et 1940] dans une revue d'histoire générale [au lieu d'une revue d'histoire de la médecine].
- le premier chercheur > Ou ce sont les rapporteurs qui ont insisté pour qu'elle se livre à ce travail historiographique…
Un peu plus tard :
- moi > A propos du fait que l'article soit très programmatique mais peu étayé par des études de cas précis, j'ai été marqué par l'épisode de l'étude sur la syphilis de Tuskegee (p. 542). Une affaire que je ne connaissais pas et dont j'aimerais savoir plus mais c'est un très mauvais exemple dans ce contexte, quand Tomes veut montrer la manière dont les noirs ont été exclus de la consommation ordinaire de biens de santé !
- le professeur > En effet. Aujourd'hui, on ne peut plus faire ce genre de recherches aux Etats-Unis sans consacrer un passage aux questions ethniques. J'ai l'impression qu'elle l'a fait ici pour anticiper les réactions des rapporteurs, mais sans rapport finalement avec le fond de son article.
On savait déjà que les commentaires des rapporteurs après soumission d'un article scientifique conduisent parfois à des concessions illogiques ou antagonistes. On savait aussi que l'auteur d'un article a tendance à intégrer les contraintes de sa communauté pour que son article soit accepté puis lu. En voici un (bel) exemple ici. Difficile après cela de juger de la qualité "intrinsèque" d'un article (ou en tous cas de ce qu'un chercheur a voulu vraiment dire) indépendamment de son contexte de publication…
Commentaires
Mais il ne peut pas y avoir de qualite "intrinseque" : on n'ecrit jamais en dehors d'un contexte de publication, on ne parle jamais en dehors d'un contexte de communication...
Le croire c'est faire comme ces journalistes qui se pretendent "objectifs" alors qu'ils sont totalement subjectif.
Attention, je ne dis pas qu'il n'existe pas de verite. Je dis qu'il n'existe pas de maniere a-sociale de rapporter la verite (et une partie de la verite seulement)...
Bonjour,
Très sympa la note d'aujourd'hui, comme toujours. Je dois dire aussi que j'aime beaucoup la remarque de blop, je cite : "il n'existe pas de manière a-sociale de rapporter la vérité (et une partie de la vérité seulement)..."
Voilà . Hyper constructif aujourd'hui. (ahhh les commentaires d'après le repas...)
Fab
Je suis partiellement d'accord avec ton billet mais on peut aller largement au-delà et généraliser ta remarque à tout notre système de transmission de la connaissance. Avant même le bruit ajouté par les referees, publier (dans des revues scientifiques à comité de lecture, s'entend, et non pas dans les livres ou les blogs) c'est toujours se plier à des contraintes extérieures extrêmement fortes : contraintes de "scope" de la revue, de mises en pages, de longueur, de structuration (résumé, intro, matériel et méthode, résultat, discussion), etc. Impossible d'y échapper même si on se serait bien passé de celles-ci et si elles nuisent parfois à la clarté de nos idées.
Ceci-dit, avoir des convictions fortes c'est une chose importante, accepter la critique en est une autre. Je ne suis pas qu'auteur de papier, je suis aussi referee. Et si j'accepte cette responsabilité (contraignante mais bénévole et anonyme) c'est parce que je suis persuadé que, dans l'immense majorité des cas, l'évaluation par les pairs améliore les papiers. Se plier aux conseils des referees, même quand on n'est pas entièrement d'accord avec eux, n'est pas honteux en soi. C'est pourquoi certains auteurs remercient les "referees anonymes" pour leur "contribution" au papier.
procrastin > Tout à fait, mais au-delà de la forme canonique de l'article, c'est ici le fond qui est "formaté" par les commentaires des relecteurs ou l'attente de la communauté. Et l'interprétation de la pensée d'un auteur peut en être rendue difficile, en sciences humaines et sociales ou en histoire probablement plus qu'ailleurs parce que la formalisation y est moindre...
Nous sommes d'accord, bien entendu. Mais soumettre un article, c'est déjà accepter de le #formater# à destination d'un public (ou d'un communauté comme tu dis). D'ailleurs, les revues affichent ouvertement leur "scope" ce qui se traduit explicitement par "si vous voulez publier chez nous, présentez votre recherche sous cet angle là ". Dans une vision kuhniene de la science, cette position est largement défendable. Une discipline ne peut pas constamment remettre en question ses fondements et il faut passer par une phase (temporaire) d'acceptation des modes et système de pensée de sa communauté.
C'est donc une position valable, bien qu'imparfaite (c'est je crois le sens de ton billet) : à trop anticiper les attentes des collègues, referees et revues, on risque de passer à côté de résultats importants et nouveaux. C'est possible, certes. Mais à mon avis très rare (voire rarissime).
entierement d'accord avec proc
comment Enro peut-il etre surpris par ces formatages, lui qui n'arrete pas de nous eclairer sur la construction sociale de la science...
a moins que ce qu'on etudie chez les autres puisse etre plus choquant dans sa propre discipline ;-)
blop > Justement... le sens de ce billet (et probablement de cette série à suivre) était de rendre évident, par de petits détails, les grands principes que j'énonce parfois ici. En suggérant que si ces détails sont acceptés et reconnus par les lecteurs, les grands principes, eux, ne le sont pas toujours :-p