Je viens de finir ce qui est sans doute le premier mémoire universitaire sur les blogs de science, que l'on doit à Priscille Ducet (en M2 SIC "Communication rédactionnelle et multimédia" à l'université Paris-X Nanterre). Outre des remarques intéressantes sur les blogs (j'y reviendrai sans doute), il y a une phrase qui m'a fait bondir. Mais revenons au début

Ce mémoire s'ouvre sur des considérations très générales sur la vulgarisation en science, sa place, son rôle. Un peu bateau mais très utile pour resituer les blogs de science et la rupture assez forte qu'ils introduisent. La vulgarisation, donc, a toujours plus ou moins été le cadet des soucis des scientifiques. C'est l'occupation des érudits dans d'autres domaines, curieux de la science à défaut d'être scientifiques eux-mêmes et défenseurs de la notion de culture pour tous, ou bien d'anciens scientifiques ou de formation scientifique reconvertis dans les sciences de l'information et de la communication. Ce "troisième homme", faisant oeuvre de traduction, semblait indissociable de la vulgarisation jusque dans les années 1980. Mais il n'existe pas une unique traduction valable pour tous les publics d'où plutôt l'idée d'un continuum entre les textes les plus techniques et ceux plus accessibles. Dès lors, le troisième homme disparut mais les journalistes scientifiques et les chercheurs se disputaient le titre de vulgarisateur le plus légitime, chacun à un bout de la chaîne. Les scientifiques possèdent l'inconvénient de ne toujours pas bénéficier de formations en communication voire en histoire des sciences et épistémologie, malgré de bonnes intentions affichées depuis presque 20 ans, et semblent donc laisser le beau rôle aux journalistes. Mais rendons la parole à  Priscille Ducet :

Ajoutons à cela l'hostilité d'une certaine part de la communauté scientifique à vulgariser, comme on l'a vu précédemment, qui alimente le mythe du scientifique dans sa tour d'ivoire, isolé et gardant bien ses secrets, même à l'égard de ses collègues. Lorsque Bertrand Labasse écrit, toujours en 2001, que la majorité des chargés de communication des organismes et établissements déplorent d'être trop rarement informés de travaux intéressants, et que, sept ans plus tard, je constate moi-même, à l'occasion d'un stage à la Communication à l'Ifremer, que la Direction de la Communication se trouve confrontée au même problème, on ne peut que regretter que les choses n'évoluent pas davantage.

Les chercheurs ne partagent pas assez ? C'est vrai, mais comme tout le monde ! Un petit tour dans n'importe quelle entreprise montre bien que ce n'est pas une sinécure d'avoir des employés qui partagent correctement l'information et la font remonter aux chargés de communication. Ou sinon, pourquoi certaines mettraient-elles en place des compétitions pour récompenser les meilleures initiatives de l'année tout en prenant des notes pour leur futur matériel de communication ! De ce point de vue, les chercheurs ne sont ni plus ni moins que des êtres humains

Alors, certes, on voudrait qu'ils aient une "mission de service public", qu'ils soient au-dessus de la mêlée et qu'ils fassent concrètement vivre leur vocation de passeurs. Sacrées attentes. Mais ils ne sont pas tous des Hubert Reeves et c'est vrai, il faut se bouger pour récupérer des informations intéressantes quand l'activité primaire de ces chercheurs est de chercher ! Et si la baguette ne marche pas et la carotte non plus (on attend toujours que les activités de vulgarisation soient reconnues dans l'évaluation des chercheurs comme le soulignait Jean-Marc Galand sur France inter ), il faut mettre au point des stratégies intelligentes. J'ai rencontré il y a quelques mois un ancien chargé de communication chez Cogema, à La Hague. Afin de remplir sa feuille de choux interne et de raconter de belles histoires aux journalistes (il en fallait pour compenser les mauvaises), il avait missionné dans chaque atelier un relais. Un scientifique comme les autres, avec juste un sens de la communication un peu plus fourni et un sens aiguë des bonnes histoires. A charge à  lui de faire remonter les bonnes nouvelles et les accomplissements de son équipe.

Mais là  où cette conversation nous emmène, c'est sur l'intérêt des blogs. Puisque le chemin en interne est trop long entre le chercheur et le communicant, pourquoi ne pas mettre directement en contact le chercheur avec l'extérieur ? Nul doute qu'il y a peu de chances qu'il devienne un nouvel Hubert Reeves mais il peut se découvrir un goût certain pour la communication, en particulier s'il bénéficie d'un retour direct de ses lecteurs. Aussi, il peut être plus excité à l'idée de partager ses recherches en cours que d'aseptiser ses résultats pour le commun des mortels. Car comme dirait Bruno Latour[1] :

n'est-il pas paradoxal de vouloir toujours intéresser le public aux faits, alors que pas un seul scientifique ne s'y intéresse ? Le scientifique s'intéresse précisément à ce qui n'est pas encore un fait. La source de son intérêt, de sa passion, c'est le tri entre ce qui sera jugé scientifiquement valable et ce qui ne le sera pas. Le ressort de l'intérêt à l'intérieur de la communauté scientifique n'est donc pas celui qu'on utilise à l'extérieur de cette communauté pour diffuser la science. Il y a là  matière à réflexion !

Alors non, je ne suis pas d'accord avec la conclusion de ce mémoire selon lequel tant que les activités de vulgarisation scientifique ne seront pas prises en compte dans l'évaluation du chercheur, même l'outil le plus simple et le plus efficace du monde ne pourra véritablement bouleverser les relations actuelles entre le Science et le Grand Public. Quelques principes de base de knowledge management (mettre en place des outils simples qui s'effacent à l'usage, faire en sorte que les personnes voient immédiatement l'effet de leur action, déléguer les responsabilités et mettre le créateur d'information au centre du système) peuvent concrètement améliorer la communication de la science pour notre bien à  tout.

Notes

[1] Bruno Latour, Le Métier de chercheur, regard d'un anthropologue, INRA éditions, coll. "Sciences en questions", 2001