Un peu de géographie de l'environnement...
13
juil.
2008
J'ai commis avec Jonathan Parienté un billet sur le numéro d'été de La Recherche, à la demande de leur service de communication, à lire sur le C@fé des sciences. Ce que je n'ai pas eu la place d'écrire là -bas, je vais l'écrire ici.
Je dois à Romain Garcier (chercheur-blogueur) de m'avoir réconcilié avec le thème de l'eau. Ce sujet si souvent rebatttu ne m'a jamais excité, et bien souvent ennuyé, jusqu'à ce que je lise pour mon cours d'histoire de la pollution industrielle (le seul en son genre si j'en crois ma prof) sa thèse consacrée à la pollution industrielle de la rivière Moselle (1850-2000). Enfin, des passages. Et malgré un sujet assommant au premier abord, j'ai découvert des problématiques réellement excitantes !
Dans une intéressante étude socio-géographique, il montre que l'émoi politique face à une pollution n'est pas directement proportionnel à l'intensité d'icelle, puisqu'il faut d'abord que la gravité de la pollution soit posée comme problème. Le sociologue a tendance à tout interpréter en terme de construction mais cette notion lui ouvre des perspectives uniques et lui permet de montrer que ce qui semble si naturel est en fait… social ! Ici, comprendre le mode de construction du problème permet de préciser à la fois l'importance politique et technique et la place symbolique accordées par une société à la dégradation de son environnement. Rien de moins.
En l'occurrence, cette construction s'est faite de quatre façons différentes au cours du temps. Il y a d'abord eu la science à partir des années 1870, avec ses protocoles de mesure de la pollution et ses conseils d'hygiène. Par sa foi dans les solutions techniques et l'accent mis sur les rejets domestiques porteurs de bactéries, elle a eu pour effet de minorer les problèmes posés par la pollution industrielle. Ensuite arriva la construction pénale, qui autorisa les déversements industriels mais interdit la pollution. Pour autant, ces concepts étaient encore flous au niveau juridique et les dispositions pénales ne pouvaient rien contre des déversements globalement considérés comme légitimes. Pour pallier à cette impuissance évidente, la planification régionale arrive dans les années 1960, symbolisée par l'agence de l'Eau. Mais alors que dans ces années-là démarrent les premières politiques environnementales, les fleuves et les rivières perçues comme très artificialisés en sont exclues (au profit des forêts, des montagnes et du littoral). A la place, on a une régulation dans des cercles restreints, où ingénieurs des corps industriels et techniques se concentrent sur la station d'épuration comme solution permettant de ne pas parler de ce qui est controversé, à savoir les sources de pollution. Ce qui explique, au passage, la faiblesse historique des mouvements écologiques locaux sur cette question
. Enfin, le mode de construction du problème le plus récent associe responsabilité environnementale et responsabilité internationale. En même temps que la pollution devient moins ponctuelle et plus diffuse, il faut revoir la stratégie qui consistait surtout à "guérir" l'eau au niveau du point de prélèvement ou du chenal pour modifier plutôt les comportements des acteurs du bassin-versant et "prévenir". Ce sont les campagnes d'information auprès des agriculteurs, la protection des zones humides comme "infrastructures naturelles" etc.
S'il devait y avoir une conclusion, ce serait probablement que les rivières, en tant qu'environnement industrialisé par des rejets continus, appartiennent plus à l'industriel qu'à l'environnement. Ce qui est une difficulté en soi : le temps du politique est bien plus celui de la catastrophe ou de la pollution chronique que de la pollution de longue durée, comme celle qui s'étend aux nappes. Les acteurs politiques et économiques sont embarrassés devant des tronçons de rivière fortement anthropisés, aménagés, rectifiés. Il leur faut désormais assumer politiquement la transformation historique des rivières en objets techniques.
En effet, une directive-cadre européenne impose le retour à un bon état écologique des eaux d'ici quinze ans. Heureusement pour nos politiques, elle prévoit le cas des tronçons de rivière fortement anthropisés dont elle exige simplement le retour à un bon potentiel écologique, c'est-à -dire un état de diversité biologique compatible avec leur niveau d'artificialisation
. Ou comment la géographie de l'environnement peut nous distraire tout en nous aidant à mieux comprendre les directives européennes…
Commentaires
C'est intéressant cette notion de "temps du politique"; parce qu'on a tendance a ne voir que lui. Quid du "temps de l'institution"? Tout n'est pas politique, heureusement, et il existe des organes de surveillance qui ont une vision à plus long terme. Il serait logique de confier la gestion des problèmes sur le long terme à des institutions ayant une vision à long terme, et non à 5 ou 7 ans.
Si on devait repenser la politique environnementale, il me semble que ce serait la première chose à faire. "Confisquer" la gestion de ces problèmes à la sphère politique — non pas les en priver ou leur interdire de s'exprimer, mais donner plus de poids à ceux qui ont cette nécessaire vision à long terme, qu'ils soient institutionnels ou associatifs — pour éviter une gestion à la petite semaine. Si les associations qui travaillent au niveau local (et dans le cas des rivières, il y a un grand nombre d'utilisateurs de la ressource qui sont concernés : nautisme, pêche récréative, naturalistes, …) recevaient plus de considération, je pense qu'on résoudrait en grande partie ce problème de "pensée à court terme" (qui est probablement le plus grand obstacle en matière de politique environnementale).
@Timothée:
Vous vous méprenez, il me semble, sur le texte d'Enro: il fait bien apparaître que ce sont les DDE, peuplées de savants ingénieurs des mines et des ponts, qui ont manipulé le politique pendant longtemps, attirant l'attention sur les stations d'épuration pour mieux la détourner des pollutions industrielles.
Le politique a certes l'inconvénient du court terme, mais il a l'avantage de rendre des comptes, à court terme également. Aussi, dans le domaine de l'environnement, il me paraît assez adapté de confier la gestion à des instances politiques, dès lors que les pays sont suffisamment développés et que les grands équipements sont déjà faits.
Pour schématiser:
- en période de transition industrielle (ex. France du XIXe siècle, Chine d'aujourd'hui), le grand équipement industriel est décisif pour la croissance de long terme, il est confié aux technocrates, qui ne sont jugés que sur le long terme, et il l'emporte en intérêt sur les préoccupations environnementales, aussi bien pour les politiques que pour les populations qui veulent surtout un minimum de confort;
- à l'inverse, une fois les grands équipements faits, il devient important de soigner l'environnement, d'abord dans la représentation que les gens en ont (assainissement et eau potable), puis, progressivement, en allant plus en profondeur sur l'état général des milieux aquatiques. Et là les politiques sont vraisemblablement meilleurs, avec l'aide des ONG internationales ou pas. En effet ils sont jugés sur des résultats obtenus rapidement.
Merci à Antoine de l'intérêt qu'il a trouvé à la Moselle (sujet qui peut paraître, au premier abord, un peu morne et filandreux). Effectivement, la question du temps du politique est centrale, pas simplement à cause du rythme des décisions mais également parce que les systèmes environnementaux se caractérisent par une inertie qui les rend difficiles à gérer à court terme. C'est précisément pour cela que les Agences de l'Eau mises en place en France au milieu des années 1960 ont dès l'origine planifié leur action par tranche de cinq ans. Leur budget est pluriannuel -- ce qui constituait à l'époque une nouveauté majeure par rapport aux autres services publics mais est aujourd'hui de plus en plus répandu (par exemple, les nouvelles lois des finances raisonnent à trois ans). Cela dit, l'adaptation des échelles et de temps de gestion ne suffit pas à résoudre les problèmes. Ce que l'exemple de la Moselle montre, c'est que se reconstituent, au sein même des institutions de gestion, des consensus et des rapports de force qui empêchent la mise en place de politiques volontaires. C'est très frappant dans le cas des ressources partagées (c'est-à -dire qui appartiennent à la communauté et non à l'Etat ou à des particuliers), comme les rivières, puisque les acteurs sociaux dominants, ceux qui vont orienter la gestion, n'ont pas toujours intérêt à améliorer l'environnement. Par exemple, avez-vous entendu parler de décisions relatives à l'eau dans le Grenelle de l'Environnement? Non? C'est normal. La question a été jugée tellement contentieuse par les pouvoirs publics et les syndicats agricoles que l'eau n'a pas fait l'objet d'un groupe de travail distinct, et que la seule contribution au sein du Grenelle se trouve en annexe du rapport du groupe de travail sur la biodiversité! Pour tout ce qui est des questions d'eau et des conflits afférents, je ne peux que recommander la lecture du blog de Marc Laimé, qui étend souvent ces considérations non seulement à la gestion des rivières mais également aux problèmes majeurs de l'alimentation en eau potable.