J'ai commis avec Jonathan Parienté un billet sur le numéro d'été de La Recherche, à  la demande de leur service de communication, à  lire sur le C@fé des sciences. Ce que je n'ai pas eu la place d'écrire là -bas, je vais l'écrire ici.

Je dois à  Romain Garcier (chercheur-blogueur) de m'avoir réconcilié avec le thème de l'eau. Ce sujet si souvent rebatttu ne m'a jamais excité, et bien souvent ennuyé, jusqu'à  ce que je lise pour mon cours d'histoire de la pollution industrielle (le seul en son genre si j'en crois ma prof) sa thèse consacrée à  la pollution industrielle de la rivière Moselle (1850-2000). Enfin, des passages. Et malgré un sujet assommant au premier abord, j'ai découvert des problématiques réellement excitantes !

Dans une intéressante étude socio-géographique, il montre que l'émoi politique face à  une pollution n'est pas directement proportionnel à  l'intensité d'icelle, puisqu'il faut d'abord que la gravité de la pollution soit posée comme problème. Le sociologue a tendance à  tout interpréter en terme de construction mais cette notion lui ouvre des perspectives uniques et lui permet de montrer que ce qui semble si naturel est en fait… social ! Ici, comprendre le mode de construction du problème permet de préciser à  la fois l'importance politique et technique et la place symbolique accordées par une société à  la dégradation de son environnement. Rien de moins.

En l'occurrence, cette construction s'est faite de quatre façons différentes au cours du temps. Il y a d'abord eu la science à  partir des années 1870, avec ses protocoles de mesure de la pollution et ses conseils d'hygiène. Par sa foi dans les solutions techniques et l'accent mis sur les rejets domestiques porteurs de bactéries, elle a eu pour effet de minorer les problèmes posés par la pollution industrielle. Ensuite arriva la construction pénale, qui autorisa les déversements industriels mais interdit la pollution. Pour autant, ces concepts étaient encore flous au niveau juridique et les dispositions pénales ne pouvaient rien contre des déversements globalement considérés comme légitimes. Pour pallier à  cette impuissance évidente, la planification régionale arrive dans les années 1960, symbolisée par l'agence de l'Eau. Mais alors que dans ces années-là  démarrent les premières politiques environnementales, les fleuves et les rivières perçues comme très artificialisés en sont exclues (au profit des forêts, des montagnes et du littoral). A la place, on a une régulation dans des cercles restreints, où ingénieurs des corps industriels et techniques se concentrent sur la station d'épuration comme solution permettant de ne pas parler de ce qui est controversé, à  savoir les sources de pollution. Ce qui explique, au passage, la faiblesse historique des mouvements écologiques locaux sur cette question. Enfin, le mode de construction du problème le plus récent associe responsabilité environnementale et responsabilité internationale. En même temps que la pollution devient moins ponctuelle et plus diffuse, il faut revoir la stratégie qui consistait surtout à  "guérir" l'eau au niveau du point de prélèvement ou du chenal pour modifier plutôt les comportements des acteurs du bassin-versant et "prévenir". Ce sont les campagnes d'information auprès des agriculteurs, la protection des zones humides comme "infrastructures naturelles" etc.

S'il devait y avoir une conclusion, ce serait probablement que les rivières, en tant qu'environnement industrialisé par des rejets continus, appartiennent plus à  l'industriel qu'à  l'environnement. Ce qui est une difficulté en soi : le temps du politique est bien plus celui de la catastrophe ou de la pollution chronique que de la pollution de longue durée, comme celle qui s'étend aux nappes. Les acteurs politiques et économiques sont embarrassés devant des tronçons de rivière fortement anthropisés, aménagés, rectifiés. Il leur faut désormais assumer politiquement la transformation historique des rivières en objets techniques. En effet, une directive-cadre européenne impose le retour à  un bon état écologique des eaux d'ici quinze ans. Heureusement pour nos politiques, elle prévoit le cas des tronçons de rivière fortement anthropisés dont elle exige simplement le retour à  un bon potentiel écologique, c'est-à -dire un état de diversité biologique compatible avec leur niveau d'artificialisation. Ou comment la géographie de l'environnement peut nous distraire tout en nous aidant à  mieux comprendre les directives européennes…