Passée la porte du laboratoire (1)
14
juil.
2009
Montrer la science en train de se faire, nous plonger dans une recherche en cours, certes, mais pour quoi faire ? Dans mes billets précédents, je suis peut-être passé un peu rapidement sur cette question en esquissant trois fonctions principales. Approfondissons-les maintenant.
Dévoiler le fonctionnement collectif de la science, cela permet de comprendre comment des connaissances se construisent et ce qu'une connaissance scientifique possède de plus (ou de moins) qu'une autre. Mais cela permet aussi d'équiper le citoyen avec les outils qui lui permettront de décrypter le fonctionnement du GIEC, l'expertise sur les OGM ou la main mise des labos pharmaceutiques sur certains pans de la littérature scientifique. D'ordinaire, quand on veut améliorer l'alphabétisation scientifique et technique ("science literacy") du grand public, c'est soit en lui inculquant plus de connaissances brutes, soit en lui enseignant les bases de la "méthode scientifique" (OHERIC : observations, hypothèses, expérience…). Or cette approche a des lacunes (dont on avait déjà discuté), qui peuvent être comblés de cette façon. Le principe, c'est de passer du "public understanding of science" au "public understanding of research" pour donner au citoyen une "méta-compréhension" des mécanismes et le rendre capable de se débrouiller dans n'importe quelle situation[1].
Révéler le fonctionnement intime de la recherche permet d'humaniser la figure du chercheur vis-à-vis du grand public. Le risque en faisant cela, c'est de trop le singulariser, d'en faire un esprit à part. Pour l'éviter, on peut mettre le lecteur ou le spectateur dans la peau du chercheur, par exemple dans le cadre d'un jeu de rôle (une piste sur laquelle je me penche actuellement) — abolissant quelque peu les barrières qui peuvent se créer, à défaut de prouver que n'importe qui peut se réincarner en chercheur. Dans le même ordre d'idée, cela permet de couper court aux fantasmes sur le métier de chercheur et d'éviter cette douloureuse phase où le doctorant, se lançant dans une carrière scientifique, réalise qu'à l'opposé de toutes les images d'Épinal, qui montrent la recherche scientifique comme un archétype de travail méthodique, conquête systématique et contrôlée de l'inconnu, c'est l'errance et la contingence qui y sont la règle
[2]. Et de montrer que dans le cerveau du chercheur, c'est souvent la science de nuit qui domine.
Partager une vision singulière du monde, celle du chercheur. Ce programme est ambitieux, et pour tout dire assez flou. Mais il va de soi que le métier de chercheur n'est pas celui de guichetier ou de plombier. En tentant de faire bouger la frontière entre ce qu'on connaît et un peu d'inconnu
(comme l'explique Stéphane Douady dans le film "Cherche toujours"), le chercheur possède une part d'ombre, de doute, et verse d'un côté que peu de gens ont l'occasion de côtoyer. Parce qu'il maîtrise un sujet sur le bout des doigts, il s'abstrait malgré lui de l'expérience quotidienne de la nature et voit avec d'autres yeux le monde qui nous entoure. En état permanent d'éveil et de curiosité par rapport à ce monde, il laisse parler l'imaginaire qu'il a en lui
(comme l'explique Manuel Théry dans le film "La vie après la mort d'Henrietta Lacks"). En ce sens, le chercheur est très proche de l'artiste, dont la vision du monde est également singulière. Mais le chercheur a une responsabilité supplémentaire, celle de nous faire entrer dans le monde qu'il participe à construire et de nous en révéler la trame.
Dans les prochains billets, nous verrons quelques exemples représentatifs de ces deux dernières approches, qui sont les plus nouvelles pour moi.
Commentaires
Je ne sais pas si ce que je vais écrire rentre dans ce que t'appelle "Montrer la "science en train de se faire"" mais comme j'aime bien communiquer et dévoiler les secrets des chercheurs et leurs vies en directe. Je twitt quand je suis au labo.
Je twitt mes idées, ce que je fais, les problèmes que je rencontre. Il met arrivé de twitter une très grosse journée d'expérience pas à pas (ça ne veut pas dire toutes les minutes hein! Mais à chaque étape de l'expérience). C'était quand je faisais de l'électrophysiologie, un truc très abstrait pour le commun des mortels. Quand je leur dit que "j'écoute un neurone" on me réponds toujours les yeux écarquillés comme un enfant qui découvre son jouet "oh on peut "écouter des neurones"? on peut enregistrer 1 neurone ?, ça marche comment ?"
Finalement, je ne sais pas si beaucoup était intéressé et suivait ces twitts, mais au moins j'essayais à mon niveau (twitteuse) de faire découvrir la vie de labo en directe, de ce qui se passe dans ma tête en 140 caractères. Après on peut se demander s'il est possible de résumé un événement de labo, une idée, une pensé, un problème en 140 caractères ?
Quoi qu'il en soit, je retourne bientôt au labo et je continuerais à twitter en directe. De manière plus ou moins régulière. (jusqu'à ce que quelqu'un me dise "t'arrêtes avec tes labtwitts de merde" :D)
En conclusion, j'essaye de montrer la vie d'un chercheur au publique (enfin à ce qui me follow pour être précise). Du coup si je peux apporter une vision plus concrète et plus juste d'un chercheur et sur "la science en train de se faire", j'aurais réussi le but de mes twitts.
@Helran : Merci pour ton commentaire, je ferai peut-être un billet sur Twitter alors ;-) En plus de tes labtweets (je t'emprunte le terme !) et en français, y'a Happybéné et Amandine qui sont intéressantes à suivre, plus d'autres comme Tim qui twittent aussi en dehors du labo…
Tu peux utiliser Labtweets, je ne mets pas de copyright :D Du coup, je vais suivre les personnes que tu suggères et j'ai hâte de lire un "peut être" futur billet sur Twitter.
I was thinking if the adquisition of some research method and also many scientific knowledge makes human being less proclive to free his mind and more open to new paradigmas.I Was reading a Galileo biography and his discordance with Aristoteles cosmovision impeach european scientific of 1600 accept Galileo theories.The fear is sacralize modern science and new paradigmas included some made by " no scientist" in the clasic form is a kind of inmovilism of thinking.Always are the temptetion of the beauty and armony of a beatiful old theory and human brain is very conservative to change to a new one less coherent and introducing new problems and dificult new no observed questions.This actitude is more andmore comon en some scientific areas reducing "oficial knowledge" to a minory with understood each other with some inclusive clues excluding ordinary people as incapable to understand al all science
De temps en temps je reviens sur ton blog, je rattrape mon retard et me fais plaisir en partageant tes écrits au coeur desquels se loge l'humanité des sciences. Passionné par le processus scientifique, militant, au travers l'enseignement des SVT que je contribue à piloter, pour qu'il soit au coeur des pratiques pédagogiques en développant une investigation de l'élève qui exerçant ainsi les démarches s'approprie leur richesse et leur complexité dépassant l'OHERIC stéréotypé et stérilisant, ce papier témoigne d'heureuses convergences entre les mondes de la vulgarisation et de l'enseignement scientifiques. Mais il est vrai, il y a loin de l'idée "révolutionnaire" à la pratique... le poids des représentations des sciences vues comme seuls résultats et véhiculées au quotidien est un véritable frein. Il en est de même de celui de la connaissance qui occulte et noie de facto le processus. Le réanimer est alors le seul choix que nous ayons. Identifier ses implicites est un des moyens.