Les chercheurs-blogueurs ne sont pas des chercheurs comme les autres
28
sept.
2009
J'assistais l'autre jour à la soutenance de thèse de Benjamin, auteur du Bactérioblog. Au-delà d'une prestation impressionante (mais on n'en attendait pas moins), couronnée d'une mention "très honorable" (la meilleure), j'ai eu devant moi non pas un chercheur mais un chercheur-blogueur. Une de ces créatures hybrides dont je parlais il y a quelques temps. Un chercheur dont l'approche de la science et le travail sont marqués par une grande curiosité pour les conditions de production des connaissances scientifiques, un fort souci pédagogique et des parti-pris marqués.
Ainsi, le chapitre d'introduction du manuscrit de thèse s'attardait longuement sur l'origine des biofilms dans la nature, la façon dont les chercheurs ont été amené à s'y intéresser et l'évolution des conceptions. Un genre que Benjamin avait déjà exploré dans ses billets sur l'origine des antibiotiques ou celle des vaccins. Une des rapporteuses n'a pas manqué d'être étonnée par ces vingt première pages qu'elle a qualifiées de philosophiques et sociologiques
. Son incompréhension totale du travail de Benjamin (marquée par la surprise mais aussi les qualificatifs impropres employés) n'était pas partagée par tous les membres du jury, montrant le fossé qui peut exister au sein de la communauté scientifique.
Autre exemple : une des illustrations de l'introduction de thèse reflétait l'évolution du nombre d'articles consacrés aux biofilms, selon la base Pubmed. Tiens tiens… Benjamin avait déjà effectué ce travail de bibliométrie dans un billet consacré au prix Nobel Sydney Brenner, en avril 2007. Force est de constater que l'activité bloguesque permet d'enrichir le travail de recherche… D'autres blogueurs de science pourront, j'en suis sûr, détailler en commentaire d'autres exemples de ces fertilisations croisées.
Troisième exemple : le diaporama de soutenance (sous Keynote) de Benjamin était truffé d'animations, une technique qu'il avait expérimentée sur son blog pour expliquer la coloration de Gram. À nouveau, le blog permet de sortir de sa zone de confort et d'expérimenter de nouvelles façons de communiquer, que l'on peut retrouver ensuite dans des travaux plus académiques. Abel Pharmboy le montre à sa manière dans son dernier billet.
Benjamin a finalement décidé d'explorer d'autres voies et de quitter le monde de la recherche. Le jury s'est presque senti trahi par cette décision. Son directeur de thèse a indirectement été forcé de reconnaître combien le chercheur-blogueur bouscule les cadres rigide du monde de la recherche : plus rapidement autonome, sans doute plus impatient, il doit alimenter sa recherche par de nouvelles perspectives s'il ne veut pas se retrouver étranger à son propre monde. Pour ledit directeur de thèse, le départ de Benjamin doit être mis sur le dos de la peur de la difficulté — ce qui évite de s'interroger sur le fonctionnement de la recherche scientifique. Le directeur du jury, lui, était plus ouvert à l'idée que certains cerveaux peuvent se sentir à l'étroit dans un laboratoire. Espérons que notre chercheur-blogueur, à défaut d'être toujours un chercheur, restera un blogueur !!
Commentaires
hahahaha. Du début à la fin, je me suis retrouvé dans ton article, y compris dans les remarques du directeur de thèse et celui des membres du jury. La différence est que j'ai fait ma thèse en cancéro. Bon article. A+ Benjamin
Ha, ha, ha aussi ;-).
Mais je pense que ce tu racontes de Benjamin n'ont rien à voir avec le fait qu'il bloguait par ailleurs, mais totalement et seulement avec sa personnalité. Curiosité, automomie et impatience sont liés au caractère de Benjamin, sans doute, pas au fait qu'il blogue !! Par contre, cette même et unique personnalité (A) a dû avoir 2 conséquences : (B) d'une part, sa façon de faire de la recherhce (étroit dans le labo, etc), la façon dont il a fait sa soutenance, mais aussi (et indépendamment), (C) le fait de bloguer/sa façon de bloguer. Rattacher tout ça aux blogs (penser que C provoque B), c'est une erreur de raisonnement (*), et c'est vraiment chercher à mettre du blog partout, et voir du blog partout, ce qui me parait faire perdre bcp l'intérêt du blog, par perte de spécificité et de pertinence.
Faire de la socio et de l'histoire des sciences dans son intro de thèse, c'est tout à fait conseillé et très courant (ce qui n'empêche pas qu'on trouve encore de chercheurs choqués par ça).
Utiliser des animations, en allant plus loin que les schémas et dessins, c'est un outil pédagogique utilisé en biologie (dans la mesure des moyens), et très encouragé, surtout en intro ou en fin de présentation (quand on doit proposer un peu un "modèle" d'après les résultats). Faisable et donc fait souvent avec des moyens super rudimentaires (duplication de l'image avec légères modifications, type flip-book, et hop, on a l'illusion du mouvement).
Montrer un graphe du nombre de publis dans PubMed dans ton domaine est devenue une tarte à la crème des exposés scientifiques (thèses ou pas), et depuis un certain temps, on voit aussi (et c'est moins scientifique, donc plus osé) le nombre de hits google.
La curiosité tout azimuts d'un chercheurs c'est un peu la moindre des choses, à mon avis, et une raison classique de s'orienter vers la recherche, mais aussi, souvent, une des raisons principales d'ennui dans ce monde où finalement il y a si peu de personnes curieuses (trop spécialisées, les chercheurs finissent curieux de leur acide aminé ou de leur bout de séquence de gène, j'exagère à peine) (ou alors, plus probablement, ils étaient déjà comme ça, monomaniaques, au départ, et ce sont ces individus-là que le système a selectionné)...et cette curiosité finit par être la raison classique d'abandon de la recherche.
(* Comme penser, d'apres des données sur les nombres d'accident, que tel modèle de voiture de sport est plus dangereuse, alors qu'en fait c'est le fait que les gens qui aiment ce genre de voitures roulent plus vite, obéissent moins aux règles (ceinture, alcool, etc)).
@Elifsu : Merci de venir me chercher sur le raisonnement de ce billet, j'attendais que quelqu'un le fît. En fait, je ne dis nulle part qu'il existe une causalité, ni laquelle. Simplement, il me semble que la différence du chercheur-blogueur est une sorte de phénomène émergent. Les chercheurs un peu "différents" vont avoir tendance à bloguer, à retrouver dans cet univers d'autres profils atypiques, ce qui accentuera en retour leurs décalages. Des chercheurs-blogueurs que je connais ou auxquels je peux penser, aucun ne me semble échapper à cette règle.
Le blog cultive la différence. Ce n'est pas une condition nécessaire mais elle me semble presque suffisante. Le jour où plus de la moitié des chercheurs blogueront, on pourra en reparler. Mais en attendant, il y a clairement une auto-sélection des profils qui vont être attirés par et vont entretenir ce nouveau rapport à la communauté, au savoir et à la pratique scientifiques qu'est le blog.
Bon, dans le fond, on est probablement globalement d'accord.
Mais je persiste à penser que même si tu parles nulle part explicitement de relation cause à effet (dans un sens ou dans l'autre d'ailleurs), c'est ce que ton papier sous-entend et c'est là je ne suis pas d'accord.
D'après moi, le titre même du papier aurait dû être "Benjamin c'est pas un chercheur comme les autres". Et là, je t'aurais embêté sur la notion de "chercheur-comme-les-autres" : c'est qui celui-là, et comment il est exactement ? Un peu comme "la journée de la femme" : c'est qui, celle-là ? (quand on est féministe, on parle de journée/fête DES femmes).
Intéressant la discussion et mes félicitations pour Benjamin ! Je voudrais juste faire remarquer une chose. Le blog est un espace d'expression encore inédit, en dehors de toute cadre "officiel". Pour un chercheur, n'est ce pas une bonne occasion d'exposer ses réflexions, ses premières approches même si elles sont inachevés, surtout parce qu'elles ne sont pas encore aboutis ? Voir ensuite les éventuels commentaires, revenir sur ce qui a été dit, etc. En gros, un échange qui permet de nourrir la réflexion et d'aller plus loin avec un autre public que celui spécialisé. Non ?
Du moins, c'est ce que je fais, j'avoue ! ;)
@Elifsu : Tout juste, je voulais terminer mon commentaire sur l'idée du chercheur "normal" ou "standard" et puis ça m'est sorti de la tête… Est-ce qu'il existe ? Et qui est-il (ou elle) ?
@Sirtin : Tu as mis le doigt dessus… C'est ça et puis plein d'autres choses :-)
En accord globalement avec elifsu mais comme le dit Antoine, c'est uniquement en cherchant une forme causale simple (linéaire) que l'on peut voir une erreur dans le raisonnement ; la disposition initiale de Benjamin à faire acte de science de manière intelligente et ouverte s'est exprimée via son blogging scientifique, et les deux facteurs se sont entretenus par affinités électives. Félicitations !
Voilà qui explique le silence du Bactérioblog depuis des mois :) Félicitations à Benjamin, donc!