Un camp, puis l'autre...
3
juin
2006
A la question toujours délicate de "comment faire le compte-rendu des progrès et hypothèses de la science ?", les médias américains (ainsi que les nôtres ?) ont trouvé la réponse dans ce qui leur est le plus familier : l'égalité des points de vue. De la même façon qu'ils n'hésitent pas à traiter en égal la théorie de l'évolution et le créationnisme, ils rapportent les avancées de la science en donnant un temps de parole égal aux partisans d'une théorie et de l'autre — peu importe que "théorie" soit entendu dans le sens scientifique ou non.
C'est ce que déplorent dans le numéro 4 du magazine Seed deux activistes américains, Laurie David et Stephen Schneider, "lanceurs d'alerte" sur la question du réchauffement climatique. Sujet sur lequel ils ont du mal à se faire entendre au pays de Bush... Au cours de leur discussion, ils constatent :
You have a media that is derelict and lazy. They use the excuse that it's balanced if you get the Democrat and get the Republican. Well, in political reporting that's balanced, but not in science. In science you have to report the quality of the arguments, not simply who said them. (Vous avez des médias qui sont en ruine et paresseux. Ils se justifient en arguant que c'est équilibré et juste d'avoir les Démocrates puis les Républicains. Oui, pour le journalisme politique c'est équilibré, mais pas en science. En science vous devez rendre compte de la qualité des arguments, pas seulement de qui les a avancés.)
La question est brûlante alors que la science entre de plein pied dans l'ère du politique. Ces deux experts ont une argumentation saine et fondée, qui vise une meilleure démocratie scientifique en pariant d'abord sur une bonne couverture "scientifique" des médias. Mais difficile à mettre en pratique : la science elle-même ne progresse-t-elle pas à tâtons, lorsqu'on lui oppose des arguments ou théories nouvelles ? La solution serait peut-être que les médias précisent la qualité de la source et de donner aux citoyens les moyens d'y accéder. Et surtout, de développer la culture scientifique pour chacun puisse in fine faire la part du fantasme pseudo-scientifique et de la théorie la plus fondée.
Commentaires
>surtout, de développer la culture scientifique pour (que?) chacun puisse in fine faire la part du fantasme pseudo-scientifique et de la théorie la plus fondée
effectivement, l'objectif est louable, mais à mon sens vaguement utopique (dans le sens de 'irréalisable').
Reprenons, par exemple sur le cas des sciences du climat, qui te sers de point de départ :
moi-même ayant recu quelques rudiments en climatologie scientifique et modélisante (NDLR : l'argument d'autorité étant que j'ai un copain qui va commencer une thèse en climatologie ... si ca c'est pas du serieux),
j'avoue cependant avoir du mal à évaluer le fantasme de la théorie la plus fondée, quand je pense savoir comment fonctionne un modèle, et que par ailleurs on m'explique l'influence de tel ou tel facteur qui réglé au dixième près donnera des résultats diamétralement opposés, tandis que la liste des-dits facteurs s'allongent 'exponentiellement jour après jour' (c'est moi qui imagine, et exagère surement très volontairement).
La démarche est pourtant fondamentalement "scientifique" (je parle ici de l'élaboration d'un modèle pour tenter de représenter les phénomènes, ici avec une visée prédictive). Mais puisque avec le même outil, il est possible de faire dire ce que l'on veut (c'est ce que mes bons professeurs de modélisation m'expliquaient en tout cas, et que j'ai pu découvrir par moi meme ensuite), c'est donc sur l'orientation que l'expérimentateur donne, des choix qu'il fait, en toute bonne foi (ce que l'on attend d'un scientifique), progressivement, dans l'élaboration du modèle et sa longue et lente calibration, que repose le résultat.
Deux remarques à ce titre :
- je vais me coucher, avant de remettre en cause l'intégrité des scientifiques de manière générale, ce serait un peu rude.
- j'ai dérivé par rapport au sujet initial ... et je me suis égaré. mon exemple ne tient finalement pas tant de la confrontation de théories "scientifiques" et de théories "fantasmagoriques",que de la crédibilité que l'on peut accorder aux dernières avancées, et de leur pouvoir de prédiction, compte tenu des "écarts standards de déviation" qui leur sont parfois accolés (quand ils ont même été calculés). C'est donc sur le mot "fondé" que je tique et dans le cas précis de la climatologie.
tout ca pour dire et pour revenir au sujet de ta note, que quand tu parles de culture scientifique, il faut je pense, et en priorité, (ré-)expliquer ce qu'est la démarche scientifique, sa nature contestable et ses fondements. puisque c'est la seule (?) chose qui donne légitimité et rendent crédible les résultats qu'elle soumet à l'"Humanité" (n'ayons pas peur des grands "H").
Bonne nuit
PAk > Merci pour ce commentaire très juste, et tu as raison de tiquer sur le mot "fondé" dans le cas présent... Quand tu affirmes :
je pense que tu attaques une question réel : tout en science est politique, ce que les scientifiques eux-mêmes acceptent difficilement !! D'où le rôle important de médiation des journalistes, notamment dans le cas de ces modèles "qui se valent tous" (voir un billet précédent). Ainsi, pour en revenir au thème du billet, il est éminemment politique d'opposer par exemple deux modèles qui défendent chacun une vision du monde. Peut-être que les deux modèles sont corrects, peut-être que leurs conclusions ont la même valeur épistémologique. Mais il est fréquent que l'un des deux modèles ait la préférence de la communauté scientifique parce qu'il est cohérent avec d'autres résultats, parce qu'il se base sur des données plus fiables, parce qu'il est construit sur des équations éprouvées. Dans ce cas, le journaliste devrait le dire clairement et non pas mettre les deux modèles à égalité. Mais dans tous les cas, in fine, les citoyens devraient pouvoir revenir aux publications d'origine et se figurer eux-mêmes quel est le modèle qui leur semble le plus réaliste... Utopiste ? Je le revendique !! ;-)