Sur la science, le président Sarkozy fait le grand écart
7
juin
2007
L'actualité m'oblige à une parenthèse dans la série de billets sur la littérature scientifique : le président Sarkozy rendait hommage, mardi, à Pierre-Gilles de Gennes. En direct du Palais de la découverte, il saluait cet homme qui était convaincu que l'autorité scientifique ne confère pas aux savants une autorité morale, ni une sagesse particulières
. Une pensée emplie d'humanisme en effet, que l'on retrouve presque à l'identique sous la plume d'un autre grand scientifique décédé récemment, Stephen Jay Gould[1] :
les chercheurs, spécialement depuis qu'ils ont acquis la puissance et l'autorité en tant que membres d'une institution désormais bien établie, se sont aventurés au-delà de leurs domaines d'expertise personnels et ont pris part à des débats éthiques en arguant — ce qui est illogique — de la supériorité de leur savoir factuel. (Ma connaissance technique de la génétique du clonage ne me confère aucun droit d'influencer des décisions légales ou morales de créer, par exemple, une copie génétique d'un enfant mort.)
Mais voilà , le président constate plus loin :
Alors à un moment où le progrès se trouve remis en cause, non pas seulement dans son contenu, mais dans son idée même. A un moment où la science se trouve attaquée, où la foi en la raison vacille, où l'autorité scientifique se trouve ébranlée au tant (sic) que toutes les autres formes d'autorité par une crise de défiance sans précédent, je voudrais vous dire ma confiance en vous, ma confiance en la science et ma confiance en la connaissance.[2]
Alors quoi, les scientifiques devraient avoir l'autorité humble mais regretter que cette autorité scientifique soit ébranlée ? Nicolas Sarkozy me semble oublier un peu vite la leçon de Pierre-Gilles de Gennes, en l'espace de seulement… 4 minutes 30 ! Voilà le premier grand écart de mon titre.
Mais surtout, y a-t-il vraiment un déclin de l'autorité scientifique ? Désolé, mais je ne sais pas ce que signifie l'autorité scientifique… Par contre, on peut mesurer facilement la confiance que les citoyens accordent aux scientifiques, et la comparer avec celle qu'ils accordent aux journalistes, aux associations, aux hommes politiques. Surprise : en 1992, d'après l'Eurobaromètre 38.1 (p. 86), les personnes interrogées affirmaient respecter le plus les médecins (à 45%) avant les scientifiques (23%), les juges (11%) etc. C'est même en France que les scientifiques étaient les plus respectés (36%). Que disent les résultats plus récents ? L'Eurobaromètre 55.2 de 2001 (pp. 41-43) ne fournit malheureusement pas de résultat que l'on puisse comparer car la question fut posée différemment. Il apparaît néanmoins que dans l'hypothèse d'une catastrophe dans le quartier ou le voisinage, les Européens font d'abord confiance aux scientifiques pour leur en expliquer les raisons. Dans l'absolu, les médecins forment la profession la plus respectée (71%), avant les scientifiques (44%), les ingénieurs (29%) etc. Les politiques viennent en dernier (6,6%), ce qui me fait dire que Sarkozy voit chez les autres ce qui le touche lui et ses pairs !
Mais je suis mauvaise langue, peut-être est-ce là ce que l'on entend par la fameuse "crise", le "divorce" entre la science et la société. Alors, crise ou pas crise ? Etonnamment, d'après une enquête interne du CNRS, seulement 28% des personnels chercheurs et ingénieurs pensent qu'il y a une crise. Alors quoi, toutes ces innovations contestées (OGM, nanotechnologies, nucléaires etc.) ? Pourquoi en est-on là si le divorce n'est pas consommé ? Peut-être qu'il y a bien une crise mais que les chercheurs ne la voient pas, uniquement sauvés par les politiques qui le leur font remarquer ! L'historien et sociologue des sciences Dominique Pestre conseille d’oublier le cauchemar (un rien paranoïaque) d’un monde qui deviendrait irrationnel et anti-science
, parce que
Les critiques sont plutôt vis-à -vis des régulations (des produits techno-scientifiques et des risques industriels) ; vis-à -vis des attitudes systématiquement technophiles (tout ce que la science peut faire doit advenir) ; vis-à -vis des valeurs que portent, et des effets sociaux qu’induisent ces changements techno-industriels.
Là encore, c'est surtout à la gouvernance qu'il faut jeter la pierre, et non aux chercheurs ! Toujours le même contresens de notre président, qui en profite pour se faire mousser au passage puisqu'il assure, lui, avoir confiance en la science…
Voici le second grand écart de ce discours, finalement assez riche de lieux communs, ce qui est peu faire honneur à l'intelligence du prix Nobel de physique. Ah, j'oubliais, la grande promesse de la journée : renommer le campus de l'université d'Orsay du nom de Pierre-Gilles de Gennes !
Notes
[1] Le Renard et le hérisson, sous-titré "Comment combler le fossé entre la science et les humanités ?" (Le Seuil coll. Science ouverte, 2003)
[2] Nicolas Sarkozy dit en fait légèrement autre chose que la retranscription officielle, voir la vidéo à partir de la 12e minute
Commentaires
Je pense qu'il n'y a pas une contradiction flagrante entre les deux extraits que vous citez. On a le droit de denoncer la confusion entre autorite scientifique et autorite morale tout en defendant l'idee "d'autorite scientifique". Naturellement on peut etre choque, en tant que scientifique, de l'utilisation du terme d'autorite scientifique, qui semble etre antinomique avec la pratique scientifique.
L'attitude de Sarkozy est dans la droite ligne de sa condamnation du relativisme qui pour lui conduit a dire que tout se vaut. Pour le scientifique que je suis, parfaitement relativiste, c'est l'attitude qui conduit a dire que tout se vaut qui est nuisible.
Je pense que la tres grande majorite des gens ne peut pas adopter une vision relativiste des choses, et qu'il peut etre preferable dans certains cas de recourir a la notion d'autorite scientifique (quand il y a consensus dans un domaine) plutot que laisser s'installer l'idee que tout se vaut. Je pense par exemple aux medecines paralleles comme l'homeopathie, mais egalement a tous les domaines qui peuvent etre manipules par les militants et les croyants de toutes sortes. Le recours a la notion d'autorite scientifique ne peut etre concu que comme une attitude pragmatique.
L'homme du gène de la pédophilie et du dépistage des délinquants à 3 ans qui nous parle d'"autorité scientifique", ça me fait plus peur qu'autre chose. A croire que Sarkozy ne conçoit les rapports humains que sous l'angle de l'obéissance. La science n'est pas affaire d'autorité, mais de raison. Le scientifique donne son avis, doit convaincre en exposant les faits, mais il n'y a pas "d'autorité" scientifique en tant que telle : les plus grands scientifiques ont dit de grosses bêtises en leur temps. Dès qu'il y a autorité en science, il y a dérive vers le mandarinat. Amusant de voir qu'au même moment où Al Gore en appelle au recours à la raison pour écouter les scientifiques, Sarkozy en appelle à l'autorité...
Toujours le probleme de savoir quels scientifiques le politique doit ecouter. Ceux qui parlent a la tele?
Il est diffile d'imaginer le politique entrer lui-meme dans le jeu de la pratique scientifique et de la remise en question systematique. Il faut imaginer plutot que le politique doit etre a l'ecoute d'une communaute scientifique pratiquant la confrontation de vues, et ou mandarinat et conflit d'interets sont evites. Le politique doit s'investir dans la gestion de l'activite scientifique de maniere a ce que, non plus certains scientifiques, mais la methode scientifique soit la reference.
anon > En effet, il n'y a pas contradiction entre les deux extraits, c'est pour cela que je parle plutôt de grand écart. Quant à la notion d'autorité scientifique : tu donnes l'exemple de l'homéopathie, tu dois donc penser à l'autorité scientifique dans la sphère politique (celle qui conduit à décider s'il faut dérembourser l'homéopathie ou pas, par exemple). Elle existe peut-être mais je n'aurais jamais pensé à revendiquer cela comme une "autorité" ; peut-être est-ce effectivement mon fond scientifique qui parle, comme Tom dans son commentaire, mais quand je pense à la place du scientifique et à son influence sur la société, je préfère parler de "pertinence", de "légitimité", voire de "confiance" comme dans les sondages Eurobaromètre. En tous cas, je trouve que ces propos en disent plus sur celui qui les tient que sur une situation actuelle…
Tu parles de science, paraît-il contestée. Tu donnes comme exemple : "Alors quoi, toutes ces innovations contestées (OGM, nanotechnologies, nucléaires etc.) ? Pourquoi en est-on là si le divorce n'est pas consommé ? " Mais là , il ne s'agit pas exactement de sciences, il s'agit d'innovations, comme tu dis, ou de technologies. Certes, elles découlent toujours de connaissances scientifiques. Mais à mon avis, il n'y a pas beaucoup de constestation envers la science comme "amélioration des connaissances", mais beaucoup de contestation vis-à -vis des applications de ces connaissances. Malheureusement, je trouve qu'on entend peu les scientifiques sur ce sujet. Beaucoup disent "moi, je fais de la recherche, les applications qui peuvent en découler ne sont pas de ma responsabilité". C'est un peu hypocrite, car les mêmes n'hésitent pas à mettre en avant les applications possibles lorsqu'il s'agit de décrocher des crédits, ou simplement de justifier ses travaux auprès du grand public. Je regrette qu'il n'y ait pas plus de scientifiques engagés aujourd'hui, à l'image d'Einstein ou de Langevin au 20ème siècle. Et si la crise venait aussi de là , du refus de la majorité des scientifiques d'assumer leurs responsabilités vis-à -vis du devenir de leurs découvertes ?
Cécile > en lien avec ton commentaire, je me permets de renvoyer vers ce billet d'internet Actu qui reprend une intervention d'un participant à un colloque de la Fing : http://www.internetactu.net/?p=7114 Le point est que les inventions échappent bien souvent à leurs inventeurs, et que les débouchés combien même assumés par les inventeurs, peuvent être largement dépassés par les débouchés imaginés par ceux qui s'approprient l'invention ...
je crois que si cette contestation et cette défiance envers la "science" de facon tres generale, se porte initialement, en effet, principalement vers la technologie (ogm, nucleaire, nanotechs), ses risques, ses valeurs, ses consequences industrielles et sociaux-economiques, elle a aussi tendance, cette défiance, à se transférer de proche en proche sur la recherche et les scientifiques, peutêtre par le mécanisme qu'indique cécile: si les scientifiques ne sont pas capables de garantir et assumer les applications qui découlent de leur science, alors au fond ils ne valent pas beaucoup mieux que ceux qui concoctent ces dangeureuses applications...mieux vaut alors pas de science et pas de technologie, que science et application potentielles -parmi lesquelles les "mauvaises"seront systematiquement privilégiées: apres tout, tout le monde sait tres bien que les ogm ne serviront jamais a faire des bonnes tomates mais bien du mais BTv.2.0, les nanotechs jamais des médicaments mais des ecrans invisibles ou des armes de dest.massives (je dis n'importe quoi je ne connais rien aux nanotechs)....et on n'a pas fondamentalement besoin de mais bt2.0 et d' écrans invisibles ... donc... bref je crois qu'un amalgame (en est-ce vraiment un ...) se forme petit à petit: la recherche sur l'atome c'EST le nucléaire, la recherche sur la transgenese C'EST les ogms, la recherche en agronomie C'EST l'agriculture intensive... si on rajoute que chez nous, il y a une certaine tendance à l'hositilité rampante je trouve envers ces chercheurs fonctionnaires qui vivent grassement des deniers publics et qui en br...pas une au fond de leur labos, ni vu ni connu,.... peut-être que la crise arrive...et peut-être que sarkozy n'a pas tout a fait tort...
@ Cécile : Je suis un peu effaré de voir le débat dévier ainsi vers la "responsabilité" des scientifiques. On oublie un peu vite que les OGM, on en fait quotidiennement dans les labos pour la recherche fondamentale. Regardez les nouvelles cellules souches "éthiques", dérivées de cellules adultes (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3244,36-920182@51-906031,0.html) : stricto sensu, ce sont des OGM. La thérapie génique, ce sont des OGM. Doit-on interdire tout cela parce que Mosanto peut en faire une mauvaise utilisation ? Les scientifiques concernés doivent-ils avoir mauvaise conscience ?
Maintenant, en ce qui concerne les problèmes d'argent, et bien c'est plus un choix de société à mon avis, un choix démocratique, un choix de citoyen. On peut choisir de ne financer que les "bons" OGM, de ne financer que ce qu'il y a de fondamental, on peut boycotter le Round up pour ne pas financer Mosanto, on peut choisir de privilégier les produits bio, on peut aussi recruter tous les thésards pour qu'ils ne soient pas obligés d'aller travailler dans des boîtes pour vivre. Mais ces choix, personne ne veut les assumer - en particulier parce qu'il y a la contrainte forte qu' il faut bien "rentabiliser" l'investissement dans le sens où il faut bien produire des richesses d'une façon ou d'une autre pour payer les scientifiques; c'est un peu facile de choisir les scientifiques comme bouc-émissaire d'un choix collectif.
anon :
1) Ce n'est pas juste Sarkozy, tous les hommes politiques depuis 1981 revendiquent la moralisation de la société, y compris des sciences. Sarkozy force juste un petit peu plus le trait que les autres.
2) Il n'y a pas de relativisme parfait !
3) Sarkozy a vraiment une vision clownesque de la science. Comment interpréter son propos après ses déclarations absurdes sur l'hérédité ? Enfin, il n'est jamais trop tard pour reconnaître que, parfois, la raison vacille, comme il dit, même s'il oublie de s'inclure dans les accusés.
A Tom Roud,
il faut arrêter de dire n'importe quoi sur les OGM. Quand un type comme Axel Kahn se fait payer par Rhône-Poulenc après avoir défendu la cause de la culture transgénique en tant qu'expert, qu'il continue à siéger dans un comité d'"éthique" et représente l'humanisne auprès de la gauche bien-pensante en défendant des positions lyssenkistes, c'est tous les scientifiques qui sont éclaboussés s'ils ne protestent pas. Ce type a une vision bien plus grotesque de la science que Sarkozy. La défiance envers la science est justifiée.
@ N Hervé : Je persiste en tant que scientifique à défendre le principe des OGM pour la recherche fondamentale, point. Et je ne vois pas au nom de quoi on devrait s'interdire de faire des manips génétiques qui nous ont tant appris chez tous les organismes depuis C. elegans jusqu'à la souris parce que Mosanto peut potentiellement en faire une mauvaise utilisation dans ses souches de maïs.
Maintenant, en tant que citoyen, je suis opposé à cette dernière utilisation et à titre personnel je ne travaillerais pas pour Mosanto. Mais je pense que ce n'est pas un problème scientifique ou interne à la science : c'est à la société de se prendre en main et de réguler tout cela, à la lumière des infos données par les scientifiques. Et d'ailleurs, c'est exactement ce que vous faites ici : vous faites le procès d'A. Kahn en dénonçant ses conflits d'intérêt que n'importe qui peut constater. Nul besoin donc d'être scientifique. Si on peut lui reprocher son attitude d'homme ou de citoyen, je n'ai rien à dire sur le plan scientifique qui est un ordre pour ainsi dire "inférieur" à l'ordre social ou moral. La science n'a rien à faire de la morale ou de la politique sinon on aboutit justement au lyssenkiste que vous dénoncez.
tout s'explique
http://www.youtube.com/watch?v=I4u3449L5VI&eurl=http%3A%2F%2Fobouba%2Eover%2Dblog%2Ecom%2F
@ enro
Finalement, en remplacant autorite par legitimite, fait on avancer le probleme? Et pour reprendre ce que dit herve, ce qui mine la legitimite (ou l'autorite) scientifique, n'est-ce pas que quelqu'un comme Axel Kahn puisse se comporter comme il le fait sans qu'une autorite scientifique (ou morale) collective ne se manifeste?
anon > Mon idée était que pour parler de la place du scientifique dans la société, avancer la notion d'autorité semble clore le débat : par définition, l'autorité ne se discute pas et doit s'accepter. A l'inverse, parler de légitimité ou de pertinence ouvre le débat… Conclusion : c'est ma volonté d'ouvrir le débat afin de discuter des présupposés de la science moderne, et sans doute celle de Sarkozy de le fermer ;-)
Tom >
Juste un élément de réflexion : depuis l'avènement des technosciences notamment (OGM, nanotechnologies), l'homme modifie pour comprendre et ne modifie plus après avoir compris. Dès lors, peut-on vraiment séparer les "applications" au laboratoire (les C. elegans transgéniques) et les applications industrielles version Monsanto ? Surtout quand le laboratoire s'étend à la société, comme le montre l'exemple des essais en plein champ devenus un problème socio-politique après n'avoir été qu'une question sctrictement scientifique !
@ Enro : le problème c'est qu'en biologie moléculaire en tous cas, rien que pour observer avec une bonne résolution, il faut modifier. Si on veut par exemple suivre le trajet d'une protéine à l'intérieur d'une cellule, il faut mettre des tags sur les protéines, des sondes fluorescentes.
Sinon, il me semble que la technique qui consiste à muter avant d'observer est antérieure à l'avènement des technosciences modernes : les premiers gènes ont été identifiés ainsi, non ?
Sinon, moi aussi je suis plus que réservé (voire opposé) à l'utilisation des OGM en plein champ; mais il faut bien voir que fabriquer une plante OGM n'est en soi pas très compliqué et est une application directe de ces techniques de recherche fondamentale bien rodées, d'où ma réaction aux commentaires de ce billet et le fait qu'il appartient bien au pouvoir politique d'interdire des OGM.
dans le discours il est écrit cecii: "Il était convaincu que l'autorité scientifique ne confère pas aux savants une autorité morale, ni une sagesse particulières."
écoutez à la minute 12'30: après avoir prononcé le mot autorité il s'interromp et dit "d'ailleurs le mot autorité, un de ces mots à vous briser une carrière" http://viphttp.yacast.net/elysee/2007/07-06-05-0016.mov
c'est révélateur de la personnalité de sarkoz: il n'a aucun respect pour ce brillant scientifique, il n'est là que pour se faire mousser