La science, la cité

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Recherche

Votre recherche de le Marec a donné 10 résultats.

Quels sont les effets de la médiation scientifique en général, et de l'art-science en particulier ?

Pas plus tard que mardi dernier, je discutais avec trois étudiants du master bordelais de médiation scientifique. Ils s'étonnaient du nombre relativement élevé de formations universitaires (ou écoles de journalisme) en médiation-communication des sciences, pour un domaine qui n'est finalement qu'un microcosme ou presque. Ce fut l'occasion de leur sortir la fameuse hypothèse de Joëlle Le Marec, qui continue de "fonctionner" 5 ans plus tard. Lors d'une conférence donnée à l'ENS Lyon, elle proposait l'idée que le développement des actions de culture scientifique avait moins fait pour le développement des filières scientifiques que pour celui… des filières de médiation scientifique. Qu'on pense aussi à tous les scientifiques arrivés jusqu'en licence ou en master et qui bifurquent vers les formations puis les métiers de la communication scientifique (si je me fie aux CV de candidats stagiaires reçus chez Deuxième labo, par exemple). Et on peut sans doute les comprendre vu l'état anémique des carrière scientifiques à l'université française, là où la médiation scientifique a le vent en poupe. Ainsi, la justification de "lutter contre la désaffection des étudiants pour les sciences" par la culture scientifique ne serait qu'un alibi ?

C'est l'une des deux ambiguïtés (pour ne pas dire plus) du discours institutionnel sur la culture scientifique, technique et industriel (CSTI) dont je parle dans une note bibliographique publiée sur le blog de Deuxième labo. La seconde ambiguïté, puisque la question vous brûle les lèvres, concerne la cible véritable de la vulgarisation : Baudoin Jurdant défend depuis longtemps l'hypothèse selon laquelle la CSTI remplirait une fonction d'oralisation de la science profitant avant tout au scientifique qui vulgarise, plutôt qu'au public qu'il est censé informer. En effet, combien de fois avons-nous entendu je vulgarise pour mieux comprendre ce que je fais ? Voici une autre position à contre-courant de la "pensée unique" sur la CSTI. Et, sans prétendre me mesurer à ces iconoclastes, j'avais décrit de mon côté l'idée d'une vulgarisation visant simplement à engager la conversation et créer du lien social, autour des sujets rassembleurs, étonnants… que sont les sujets scientifiques. Une hypothèse, écrivais-je, qui joue beaucoup moins sur les cordes sensibles des financeurs et institutionnels de la recherche….

D'où l'intérêt, finalement, de mieux comprendre les effets des actions et politiques publiques de CSTI, pour passer des objectifs imaginés aux accomplissements réels. C'est l'objet de cette petite note bibliographique. J'y défends le principe d'une évaluation sérieuse de la CSTI, qui est étonnamment très très rare. En insistant sur la nuance introduite par Pascal Lapointe en commentaire : il ne sert à rien de mesurer la "culture scientifique" hors de tout contexte en interrogeant à intervalles réguliers un panel de citoyens sur quelques connaissances scientifiques, comme le fait par exemple l'Eurobaromètre. C'est au mieux inutile (les scores n'ayant pas bougé entre 1992 et 2001, comme sous l'effet d'un fond culturel à grande inertie) et au pire contre-productif (car on s'imagine qu'être cultivé scientifiquement, c'est savoir que la Terre tourne autour du soleil). Par contre, un questionnaire adapté à l'activité de CST auquel le public vient de participer est tout à fait pertinent pour comprendre les effets de cette activité.

Je citerai un très bon exemple tiré de l'ouvrage de 2013 dirigé par Masseran et Chavot, dont j'ai donné un compte-rendu par ailleurs : il s'agit d'une étude de Joanne Clavel sur la réception par le public d'un spectacle de danse à contenu scientifique. Elle part du postulat selon lequel la dimension esthétique et sensible apporte une autre forme de communication, l'art proposant en particulier une quasi absence de contrôle du sens vis-à-vis du destinataire. Ce qui nous emmène dans une terra incognita par rapport aux pratiques classiques de vulgarisation. D'où l'importance de se demander ce que le public fait du spectacle auquel il assiste, et comment il en construit le sens.

Sans entrer dans le détail, Joanne montre que le prospectus "scientifique" qui accompagne le spectacle est finalement très peu lu. Les spectateurs sont surpris par le spectacle de danse qui se déroule dans les allées de la ménagerie du Jardin des plantes et s'arrêtent pour y assister. Une fois leur intérêt enclenché, ils comprennent ce qu'ils voient (plus de 80% des spectateurs ont reconnu une interprétation d'oiseaux), et ressenti des émotions assez fortes (note moyenne de 3,5 sur une échelle allant de -5 à 5). Il s'agit clairement d'une approche alternative à la transmission de connaissances : la médiation par la danse renvoie ici aux dimensions esthétiques et éthiques de la biologie de la conservation et pas uniquement à sa dimension cognitive classique. Mais les résultats de l'évaluation montrent bien que cette approche donne des résultats.

Cette recherche n'est pas anodine. D'une part, elle aide les professionnels de la médiation à comprendre le statut des spectacles art-science : toucher le spectateur par l'enchantement du monde qu'elle propose ? Fournir un marchepied à la vulgarisation classique ? Renvoyer à d'autres dimensions de la science comme l'éthique ? D'autre part, elle concerne aussi les décideurs qui élaborent les politiques de culture scientifique. En effet, la médiation des sciences par l'art ("art-science") a le vent en poupe, et s'institutionnalise de plus en plus. Ainsi, la région Île-de-France précisait dans son appel à projets 2014 de soutien à la promotion de la culture scientifique que, pour être éligibles, les actions à dimension artistique auront comme objectifs premiers la culture scientifique et devront également être accompagnés par une médiation scientifique ou une mise en débat. Or si 77 % des spectateurs ne lisent pas le prospectus scientifique, et que le dispositif transmet bien des connaissances transformées en émotion et en expérience, on peut se demander au nom de quoi il faudrait l'enrober de ceci ou cela…

Partage

Sciences citoyennes, participatives & co

Aujourd'hui même se déroule à l'Institut des Amériques une journée d'étude sur les sciences participatives. Malheureusement je n'y serai pas, mais cela me fournit l'occasion de revenir sur ces notions à la mode, mais pas encore totalement figées, ce qui les rend extrêmement intéressantes.

On connaît le principe général des initiatives de sciences citoyennes ou participatives : ré-impliquer l'amateur dans la recherche scientifique, ré-enchanter la science en train de se faire en l'ouvrant à tous, donner un sens "citoyen" aux projets de recherche. Cela peut prendre de multiples formes, de la vigilance citoyenne des associations d'étude de la radioactivité aux observatoires de la nature et des jardins, en passant par les "jeux sérieux" invitant les internautes à replier des protéines, les "boutiques de science" recueillant des besoins citoyens en recherche et les recherches menées en concertation avec des parties prenantes. Ces initiatives qui prennent de multiples formes sont malheureusement souvent un peu vite confondues les unes avec les autres, et traitées sans discernement.

Mon but dans cet article est d'avancer une typologie, ou au moins quelques critères distinctifs. Florian Chavolin constate[1] que ces initiatives articulent deux éléments antinomiques : "académique et profane", et "scientifique et socio-politique". C'est à ces couples qu'il faut porter notre attention. En premier lieu l'implication du profane dans un monde académique a priori fermé : c'est une spécificité de ces projets. Néanmoins, on peut distinguer différents niveaux d'implication :

  • la contribution, qui consiste à mettre à disposition la puissance de calcul de son ordinateur ou à générer des données au cours d'activités autres que scientifiques, qui seront réutilisées ensuite par les chercheurs
  • la participation, qui consiste à "donner de sa personne" pour participer à une expérience, faire du recueil de données, s'engager dans un protocole…

Comme exemples de contribution, je citerais par exemple Google Flu Trends qui utilise les historiques de recherche Google des internautes du monde entier pour déterminer l'évolution des épidémies de grippe, ou le programme SETI@Home qui utilise la puissance de calcul non utilisée d'ordinateurs de particuliers pour décrypter des signaux de l'espace à la recherche d'extra-terrestres. Comme exemples de participation, je citerais le jeu Fold.it ou l'Observatoire des oiseaux des jardins.

La seconde dimension d'analyse concerne l'articulation entre le scientifique et le socio-politique. Ce n'est sûrement pas la même chose de convoquer des citoyens à participer à une "recherche normale" que de les impliquer dans une "recherche transformative" (pour reprendre le terme de Conrad et Hilchey[2]). Le terme de "science citoyenne" devrait à mon sens être réservé à la seconde acception, c'est-à-dire aux recherches qui explorent un agenda socio-politique alternatif : développer l'agriculture biologique, donner la parole aux malades, bref répondre à une demande sociale orpheline. Le programme PICRI et ses équivalents québecois et bretons, ainsi que les boutiques de science, sont les symboles de cette approche. C'est sans doute là que réside le challenge majeur de la science participative, car il est plus difficile d'impliquer les citoyens à tous les niveaux d'une recherche que seulement au niveau de la production, et les questions sociales forcent la science à sortir de son traitement des problèmes "par discipline et par réduction". Je vous renvoie pour cela à la base de données bibliographique du programme REPERE (Réseau d'échanges et de projets sur le pilotage de la recherche et l'expertise) et à la synthèse bibliographique à laquelle j'ai contribué.

Il y aurait probablement d'autres dimensions de la science citoyenne à analyser pour mieux cartographier ce territoire en mouvement… lesquelles voyez-vous ?

Enfin, j'aimerais rebondir sur une remarque d'Yves Gingras au micro de France inter. Lui estime qu'il n'y a pas de science citoyenne mais seulement une science vraie ou fausse. Il récuse donc l'usage d'épithètes pour qualifier la science. Ce avec quoi je ne suis pas d'accord : heureusement que la science peut être belle, enthousiasmante, dépaysante, voire déprimante, ennuyeuse, racoleuse…

Pour aller plus loin :

  • Célya Gruson-Daniel, "Citizen Science : rencontre entre la science et les citoyens" sur le blog MySciencework, 1er mars 2012
  • Mélodie Faury, "Recherches participatives : petit tour d’horizon" sur le blog Infusoir, 15 mars 2012

Notes

[1] Florian Charvolin, "Le défi des sciences à amateurs pour penser l'anthropologie des connaissances", in Joëlle Le Marec (dir.), Les études de sciences. Pour une réflexivité institutionnelle, Archives contemporaines, 2010

[2] Cathy C. Conrad et Krista G. Hichley, "A review of citizen science and community-based environmental monitoring: issues and opportunities", Environ Monit Assess, 2011, vol. 176, pp. 273–291

Partage

Les experts sont-ils formels ?

J'ai écrit avec quelques camarades du groupe Traces un livre collectif intitulé Les scientifiques jouent-ils aux dés ?, à paraître aux éditions du Cavalier Bleu dans la collection "Idées reçues Grand angle". Son principe : analyser nombre d’idées reçues sur la science et sur ceux qui la font, en mobilisant les travaux de l'histoire, sociologie et philosophie des sciences. L'ouvrage a été dirigé par Bastien Lelu et Richard-Emmanuel Eastes, et préfacé par Dominique Pestre. Mélodie a déjà publié son texte sur la vulgarisation, voici le mien sur l'expertise (version de l'auteur, différente de la version finalement publiée).

L'expertise, qu'est-ce c'est ?

L'expert, c'est d'abord le spécialiste, comme les héros de cette série télévisée qui se livrent à des reconstitutions de scènes de crime ou à l'identification d'empreintes ADN. Équipés de leurs outils, armés de connaissances bien maîtrisées, ils sont capables de donner du sens à des éléments d'information épars et incomplets. Une flaque de sang, un lambeau de tissu sous un ongle… Leur théâtre d'action est surtout mécanique, parfois aseptisé, offrant des conditions de travail très proches de celles du laboratoire et permettant de mettre naturellement en application un savoir scientifique et technique.

Mais il y a une autre figure de l'expert. Dans la presse, face à un tribunal ou lors d'une audition parlementaire, l'expert est un spécialiste qui doit sortir de son champ d'action contrôlé et mettre son savoir en situation. Il n'est plus simplement chargé d'objectiver ou de quantifier, et on lui demande de préciser d'où il parle, de fournir des arguments avec un degré de confiance qui peut être inférieur à 100% et d'avancer des recommandations. Ce qui compte alors, c'est non seulement la science froide et solide, mais aussi les théories en émergence, la culture des communautés scientifiques, leurs présupposés. On raconte ainsi que quand Al Gore était vice-président des États-Unis, il demandait à chaque expert qu'il auditionnait : "Quelles sont vos hypothèses ?" Car il savait bien que chaque théorie ou explication avancée par la science repose sur des hypothèses, et que la conclusion ne vaut rien si on ne sait pas quelles sont ces hypothèses de départ ou implicites du raisonnement. Quand un biologiste explique qu'un maïs OGM est équivalent en substance au même maïs non OGM, c'est que pour lui la transgenèse découle des techniques précédentes de sélection variétale et ne constitue pas une rupture conceptuelle ou technique.

Lorsque la parole de l'expert devient publique et sert de passerelle entre science et décision, c'est de sa responsabilité de rendre cet échaufaudage intellectuel visible, et de celle des autorités de mettre en œuvre une expertise contradictoire qui confronte les points de vue et ose faire ressortir les divergences. En ce qui concerne les OGM par exemple, il a été montré que les généticiens n'ont globalement pas les mêmes positions que les écologues ou les agronomes. Et surtout, ils ne basent pas leurs positions sur les mêmes arguments et considérations, ce qui force à prendre de la distance ou au moins à remettre en perspective l'éclairage des experts.

Sinon, les conséquences peuvent être graves. L'expert ne se contente pas de donner un avis mais conduit à ériger des normes, les hiérarchiser, et contribue ainsi à énoncer de nouvelles règles de comportement qui structurent le monde où nous vivons — qu'il s'agisse d'autoriser des aliments nouveaux, d'encadrer les nouvelles pratiques de procréation médicalement assistée ou de réguler le commerce international.

Faut-il avoir confiance dans l'expertise ?

L'expertise scientifique sert souvent à éclairer l'action politique. Qu'elle soit le fait d'un corps constitué, comme l'Académie des sciences dont c'est l'une des missions, ou d'individus volontaires, elle permet de mettre les savoirs techniques au service de la société. Cependant, il arrive aux décideurs de faire appel aux experts pour recouvrir leurs décisions d'un vernis d'objectivité (au lieu d'assumer les valeurs qui les justifient) ou se dédouaner de leur responsabilité en cas d'impopularité ou d'échec. Les chercheurs continuent cependant à se porter caution parce qu'ils y trouvent leur intérêt, justifiant ainsi les investissements consacrés à la recherche scientifique et se prévalant du rôle de "conseiller du prince" considéré comme privilégié. Ce petit jeu peut être risqué : en entretenant leur "privilège d'extra-territorialité politique" (comme l'appelle Jean-Marc Lévy-Leblond), les chercheurs veulent échapper à la juste règle commune et peuvent se retrouver pris au piège entre une fausse autonomie et un effilochement des alliances avec le corps social. C'est-à-dire qu'à vouloir imposer à tous leur rève d'un savoir objectif et positif, à la fois utile pour eux et l'humanité entière, ils se retrouvent vidés du sens premier de leur mission et du soutien collectif.

C'est une des raisons pour lesquelles les institutions ou laboratoires de recherche ne doivent pas perdre de vue l'environnement dans lequel elles avancent et ce qui leur permet de tenir une position d'expertise indépendante et impartiale. Jusqu'à l'émergence du débat public sur les OGM, l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) se positionnait comme un fer de lance de l'innovation variétale, obtenant de nouvelles variétés destinées aux agriculteurs français, y compris transgéniques. Il s'apprêtait vers 1995-1996 à mettre sur le marché un colza génétiquement modifié, tolérant à un herbicide, co-développé avec des sociétés semencières privées. Mais la direction de l'Inra fit volte-face en 1997-1998, pour ne pas perdre sa légitimité à intervenir ensuite comme expert dans l'espace public. Cette barrière que l'Inra décida de ne pas franchir n'est pas toujours identifiable facilement. Les experts d'un domaine se retrouvent parfois à conseiller des entreprises privées et à siéger dans des comités d'homologation, sans y voir forcément de conflit d'intérêt… et en profitant même de ces diverses activités pour enrichir leur expertise !

C'est pourquoi on fonde de plus en plus la légitimité de l'expertise non plus sur la légitimité de la science mais sur des procédures contrôlables. Ces procédures ont déjà été évoquées : expertise collective et non individuelle, contradictoire plutôt qu'appuyée sur les seules positions qui font consensus, mentionnant les avis minoritaires, transparente et indépendante. Au lieu de contenir l'incertitude et de chercher à la réduire, il s'agit de la cerner et la rendre visible. Et tenter de cadrer le moins possible les experts : si le Comité permanent amiante (1982-1995) n'a pas permis de faire émerger le risque de ce matériau pour la santé publique et d'en interdire l'usage, c'est parce qu'il était pris dans un dispositif qui lui laissait comme seule possibilité d'intervention le contrôle de l'exposition professionnelle.

Les nouvelles tendances de l'expertise

L'expertise scientifique a longtemps été le fait de chercheurs engagés. Mais depuis la fin des années 1970, on assiste à une transformation des mobilisations des chercheurs, qui ne se reconnaissent plus dans l'image du communiste Frédéric Joliot-Curie ou du "chercheur responsable" qui politise son champ de compétence. À la place, on voit émerger la figure du "lanceur d'alerte" sanitaire ou environnementale, plus rare, individuel et moins directement en porte-à-faux avec l'institution. Les collectifs de chercheurs engagés, porteurs d'une contre-expertise comme dans les domaines du nucléaire ou de la santé, ont quasiment disparu au profit des organisations de la société civile (associations de malades, de solidarité, écologistes…). Ce mouvement est à la croisée de quatre tendances complémentaires, amenées à se développer :

  • face à des enjeux de plus en plus globaux et complexes (comme le climat ou la biodiversité), l’expertise scientifique participe souvent davantage à l’extension de la controverse et à la polarisation des débats qu’elle ne permet d’en sortir ; plutôt que d'attendre la preuve scientifique formelle, on en vient à privilégier une attitude comme celle du principe de précaution, qui fait valoir que l’absence de preuves ne saurait empêcher l’adoption de mesures destinées à prévenir un dommage. La trajectoire entre le laboratoire et l'expertise devient moins linéaire, remplacée par un processus d'apprentissage collectif au fur et à mesure que les certitudes évoluent ;
  • le corps social dans son ensemble profite de cette recherche en plein air. Au moment même où le niveau de scolarisation progresse, le credo du progrès est mis à distance et l'État décline, les frontières entre professionnels des institutions scientifiques et autres acteurs (usagers, malades, publics, praticiens, militants…) ne peuvent que devenir poreuses, impulsant une société de la connaissance disséminée :
  • les savoirs et engagements profanes sont reconnus pour leur légitimité et leur utilité, venant compléter les savoirs scientifiques experts. Cette combinaison a fait ses preuves dans de nombreux cas, des bergers anglais dont l'expérience locale peut être plus opératoire que des savoirs scientifiques plaqués abruptement aux malades du sida intervenant dans la conception de nouveaux essais thérapeutiques ;
  • les citoyens et groupes concernés s'impliquent de plus en plus dans les décisions, approfondissant ainsi la démocratie délégative par une démocratie dialogique avec une multiplication des espaces de débats et de choix (démocratie technique participative, conférences de citoyens…).

Bibliographie :

  • Jacqueline Janine Barbot (2002), Les Malades en mouvements : la médecine et la science à l’épreuve du sida, Paris : Balland
  • Christophe Bonneuil (2005), "Les transformations des rapports entre sciences et société en France depuis la Seconde Guerre mondiale : un essai de synthèse", in Joëlle Le Marec et Igor Babou (dir.), Actes du colloque Sciences, Médias et Société, École normale supérieure Lettres et sciences humaines, Lyon 15-17 juin 2004, p. 15-40
  • Christophe Bonneuil (2006), "Cultures épistémiques et engagement des chercheurs dans la controverse OGM", Natures Sciences Sociétés, vol. 14, pp. 257-268
  • Christophe Bonneuil et Frédéric Thomas (2008), "L'Inra dans les transformations des régimes de production des savoirs en génétique végétale", in Christophe Bonneuil, Gilles Denis et Jean-Luc Mayaud (dir.), Sciences, chercheurs et agriculture, Paris : L'Harmattan/Éditions Quæ, pp. 113-135
  • Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe (2001), Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris : Seuil
  • Emmanuel Henry, "Militer pour le statu quo. Le Comité permanent amiante ou l'imposition réussie d'un consensus", Politix, n° 70, pp. 29-50
  • Pierre-Benoît Joly (1999), "Besoin d'expertise et quête d'une légitimité nouvelle : quelles procédures pour réguler l'expertise scientifique ?", Revue française des affaires sociales, vol. 53, pp. 45-53
  • Jean-Marc Lévy-Leblond (1996), La Pierre de touche, Paris : Gallimard Folio essais
  • Naomi Oreskes (2004), "Science and public policy: what's proof got to do with it?", Environmental Science & Policy, vol. 7, pp. 369-383
  • Philippe Roqueplo (1996), Entre savoir et décision, l'expertise scientifique, Paris : INRA Éditions
  • Alexis Roy (2002), Les experts face au risque: le cas des plantes transgéniques, Paris : Presses universitaires de France
  • Brian Wynne (1992), "Misunderstood misunderstanding: Social identities and public uptake of science", Public Understanding of Science, vol. 1, pp. 281-304

Partage

Nouveau classement Wikio des blogs de science

Jusqu'ici, le classement Wikio des blogs de science était un peu le boxon tellement l'acceptation du terme était vaste (avec de nombreux blogs de bibliothèques, comme l'avait bien noté Pablo). Désormais les sciences de l'information et de la documentation ont leur classement, ainsi que les sciences humaines et sociales, ce qui laisse les blogs consacrés aux maths, à la physique, chimie, biologie… bien tranquilles, ainsi que ceux qui questionnent les objets créés par ces sciences et leur place dans la société. Un bel exemple de travail de démarcation, diraient les sociologues !

Voici donc le nouveau classement Wikio [MàJ 6/12] des blogs de "science exacte" comme ils l'ont appelé :

1{sciences²}
2Globule et télescope
3Guy Doyen
4Le blogue de Valérie Borde
5Planet Techno Science
6Tom Roud
7Choux romanesco, vache qui rit et intégrales ...
8Le Cosmographe
9En quête de sciences
10Algorythmes
11Les indispensables mathématiques et physiques
12Mathématiques du coyote
13La science, la cité
14Le Blog d'ABC Maths
15Dr. Goulu
16Guru méditation
17Inclassables Mathématiques
18Butinages Mathématiques
19QLog (Quantized Log)
20effervesciences: le blog

Classement calculé par Wikio

Pour rappel : le classement Wikio reflète le nombre de liens entrants récents reçu par ces différents blogs, soit depuis d'autres blogs, soit depuis Twitter. Quand Sylvestre Huet est passé n° 1 du classement Science le mois dernier, il a remercié ses lecteurs à tort : certes le succès d'audience d'un blog se traduit intuitivement par un plus grand nombre de liens entrants mais concrètement, si tous les blogueurs et twitteurs boycottaient Sylvestre Huet, il chuterait irrémédiablement. C'est donc la dynamique des blogueurs et prescripteurs qui est à l'œuvre, plutôt qu'une mesure magique de l'audience.

Pour ma part, je suis surpris de me voir si haut (en ce miroir), mon rythme de publication sur ce blog s'étant largement réduit. La faute n'en revient pas à un manque d'intérêt pour l'outil mais plutôt une multiplication des lieux d'écriture et de publication : le blog collectif "STS en action", le blog Knowtex qui m'invite souvent à contribuer, le blog d'ami(e)s, le blog de Deuxième labo, mon blog sur ArtScienceFactory, OwniSciences etc. Ce n'est pas parce que je me disperse, mais parce que j'apprécie avoir plusieurs espaces pour échanger et imaginer des articles qui collent au contexte qui ont provoqué leur écriture et entourent leur publication. Ces dernières semaines, voici ce que vous avez peut-être raté :

Enfin, j'en profite pour vous demander votre avis sur le crosspost — cette pratique qui consiste à publier un même article à plusieurs endroits — et qui permettrait de renflouer un petit peu cet espace. Est-ce que ça vous gêne ? Est-ce que ça vous plait ? La tribune est ouverte !

Partage

Côtoyer les étoiles

Il y a 15 jours, j'aidais Elifsu à  corriger des copies pour le cours d'humanités scientifiques de SciencesPo Paris (élèves de 1e année). Lequel cours est donné par Bruno Latour. Un exercice très intéressant, qui permet de réaliser (avec horreur !) que l'on connaît par cœur son corpus latourien et que son vocabulaire nous habite définitivement. Ces élèves, dans une logique toute SciencePo, ont choisi en majorité le sujet de dissertation suivant : S'il est vrai que la politique s'occupe des hommes et des choses, quelle différence y a-t-il entre un bon et un mauvais gouvernement ?, au détriment du sujet : Pourquoi dit-on des sciences qu'elles doivent être autonomes et des techniques qu'elles sont neutres ?. Admirez la construction syntaxique du second ! Les copies étaient bonnes dans l'ensemble, le cours ayant bien été intégré et les élèves ressortant la vision latourienne de la science dans la société (sans qu'ils ne la partagent forcément, me dis-je). Quelques copies semblaient toutes droit sorties du corpus latourien (avec des notes allant jusqu'à  19,5/20) tandis que d'autres élèves étaient passés complètement à  côté. Preuve en est ce bêtisier, qui reflète un peu le niveau zéro de la pensée et de la problématisation (je suis méchant, je sais, mais tout correcteur ne l'est-il pas ?) :

  • Les sciences montrent les faits tels qu'ils sont sans suivre une théorie particulière ou un ordre logique.
  • Empêcher la science d'être autonome c'est empêcher l'humanité de progresser.
  • S'il n'y a pas d'exigence de neutralité envers la technique, alors qu'il y en a une d'autonomie envers la science, c'est parce qu'elle est neutre par nature.
  • La prise de conscience des hommes de [la situation délétère de l'environnement] a été précédée par celle des scientifiques.
  • La théorie de l'évolution (...) essaye de déterminer les adaptations à  prévoir pour survivre.
  • Les faits sont objectifs, chacun peut voir les mêmes problèmes : le réchauffement climatique, etc. Les chiffres sont la preuve de l'objectivité des faits (SIDA, cancer, etc)...
  • La politique s'occupe des hommes et des choses et le fait très bien puisque c'est sa nature-même.

Chaque élève devait également tenir un carnet de bord pour relever les dispositifs socio-techniques, les amours particulières sciences/politique et les controverses scientifiques qui lui passaient sous les yeux. Un exercice original, et extrêmement intéressant à  corriger (car sous forme très libre et apportant des informations au correcteur !).

Dans la foulée, j'étais invité par François à  présenter mon travail de Master à  la Science Studies Unit d'Edimbourg. Celle qui fut longtemps le repère de David Bloor, et reste un haut-lieu de la sociologie des sciences (ou plutôt de la sociologie de la connaissance scientifique = SSK), regarde avec un mélange de respect et de désaccord la sociologie de Bruno Latour. Par conséquent, j'ai été soumis à  la question, même si les participants du séminaire m'ont largement épargné (en raison peut-être de mon désavantage en Anglais ?) et ont su soulever des points importants de mon travail (notamment l'emploi de la notion de paradigme, largement galvaudée et sans doute un cache-misère intellectuel).

Enfin, cette semaine, j'ai pu remplacer Elifsu pour assister Jean-Yves Le Déaut dans son séminaire à  SciencesPo Paris sur les grands enjeux scientifiques du début du XXIe siècle. L'occasion d'échanger quelques mots avec Marion Guillou (PDG de l'Inra) et avec des élèves du cursus "S-Cube" (sciences et sciences sociales). Lesquels m'ont confirmé l'étrange cérémonie de remise des diplômes que rapportent Joà«lle Le Marec et Igor Babou dans leur réaction à  la tribune politique de Bruno Latour.

Quand je vous disais que ce dernier temps, je n'ai fait que côtoyer quelques étoiles

Partage

- page 1 de 2