La science, la cité

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Mot-clé : éthique

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Les déclarations d'intérêts, peu suivies en réalité

En juin dernier, je remarquais que la déclaration d'intérêts que doit remplir chaque chercheur qui publie un article ou siège à  un comité d'experts est une des mesures mises en place pour limiter les collusions d'intérêts et obliger à  un peu de transparence. Dans le cas des articles de recherche, les déclarations sont publiées et doivent permettre une lecture plus critique d'une étude réalisée par un chercheur ayant des intérêts financiers dans une start-up ou des contrats de valorisation en cours.

Pourtant, comme le rapporte l'association GeneWatch UK, ces règles sont peu suivies en réalité et les déclarations d'intérêt sont très souvent incomplètes, donc mensongères. C'est le résultat d'une étude publiée en septembre 2006 dans le Journal of Medical Ethics : une analyse des articles de biologie moléculaire et génétique publiés dans Nature entre janvier et juin 2005 fait apparaître que les auteurs de sept articles n'ont pas révélé qu'ils avaient une demande de brevet en cours et que ceux d'un huitième article avaient caché des des connections avec l'industrie biotech. Pourtant, le dépôt de brevets fait bien partie des "intérêts" qui doivent être déclarés à  la revue Nature. Pour Sue Mayer, auteur de l'étude, cela s'apparente à  de la publicité déguisée...

L'association GeneWatch UK demande donc :

  • que des sanctions soient imposées par les revues aux auteurs qui auraient caché des intérêts — par exemple un "boycott" temporaire de cet auteur ;
  • que les universités et instituts de recherche établissent un registre public des competing interests de leurs chercheurs ;
  • que les revues fasse un réel effort envers les déclarations d'intérêts et qu'elles les publient en même temps que l'article et non à  part sur le site web comme c'est le cas chez Nature.

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Enjeux éthiques des nanotechnologies

En ces périodes d'intérêt pour les nanotechnologies (et rêvons un peu : peut-être sous l'influence de la conférence de citoyens en cours ?), le Comité d'éthique du CNRS a rendu le 12 octobre son avis sur les Enjeux éthiques des nanosciences et nanotechnologies.

Rapidement, nous pouvons retenir les points suivants :

  • la nécessité d'une vigilance autour des nanos, "véritable technologie générique qui va affecter l’ensemble des secteurs de production" ;
  • la prise en compte (et pas marginalisation ou rejet) de l'"aura de fiction" dont elles s'accompagnent — qui rappelle précisément la question abordée à  un des débats Vivagora : "Nanomonde entre science et fiction" — et remplit plusieurs fonctions, notamment épistémologique, heuristique, d'intéressement, régulatrice et sociale (pp. 11-12) ;
  • la particularité de trois nouveaux contextes où s'inscrivent les nanotechnologies : le contexte scientifique (convergence Nano-Bio-Info-Cognitif), le contexte politique (globalisation et compétition), le contexte social (un public exigeant) — et ce n'est pas parce "qu’aucune nouvelle technologie n’est radicalement nouvelle (…) qu’elle ne pose pas des problèmes nouveaux, dans le contexte précis où elle émerge".

Les recommandations préconisent :

  • la nécessaire concertation des parties intéressées et notamment des représentants de la société civile pour cerner les attentes du corps social dans son ensemble — pour "réguler le cours des recherches en fonction de la désirabilité des innovations techniques et pas seulement de leur acceptabilité" (p. 16) ;
  • d'inclure la préoccupation envers l'éthique à  tous les niveaux de la "carrière des chercheurs – formation initiale, évaluation, formulation des projets de recherche" ;
  • d'"ouvrir des espaces éthiques dans les centres de recherches, qui soient des lieux de débat" (interne) ;
  • de "mettre en place des procédures pour le repérage et l’arbitrage des conflits d’intérêts dans les relations avec l’industrie et assurer la transparence des sources de financement et, si possible, des résultats (accès libre ?) dans les projets conjoints conduits entre le CNRS et l’industrie ;
  • concernant les relations avec le public, de présenter les bienfaits attendus des nanosciences et nanotechnologies sans occulter les méfaits possibles, mettre davantage l’accent sur les conséquences de ces recherches pour l’homme, sur les enjeux liés au choix des nanosciences comme priorités scientifiques (en ne se limitant pas aux enjeux économiques et industriels) et, enfin, oser prendre en considération les enjeux à  très long terme, en aidant à  identifier les fantasmes qu’ils peuvent suciter ;
  • de "mettre en place des instances de dialogue et/ou participer aux débats citoyens organisés à  l’échelle locale, nationale, européenne et internationale".

Bon, la posture est souvent plus axée sur la communication que sur le débat mais, avec le dernier point notamment, il s'agit d'un pas dans le bon sens (enfin, des chercheurs du CNRS participent déjà  aux débats et à  la conférence de citoyens en cours, mais disons que cette motivation supplémentaire ne peut pas faire de mal). Difficile de savoir ce que cet avis va apporter au débat en cours, notamment sur le site de Minatec à  Grenoble — où le CEA est l'acteur majoritaire mais quelques unités de recherche sont mixtes avec le CNRS... Parmi les considérant de cet avis, on trouve ce beau plaidoyer :

les acteurs de la recherche et les organismes qui la structurent se doivent de prendre les mesures nécessaires pour favoriser une bonne gouvernance. Or, celle-ci est fondée sur le principe que la responsabilité est le corollaire obligé de la liberté revendiquée par les chercheurs pour explorer le champ de tous les possibles. Plusieurs des pays qui ont investi dans les nanotechnologies ont mis en place des structures, voire des financements importants, pour analyser les impacts environnementaux, sociaux, juridiques des nanosciences et nanotechnologies. La problématique ELSA (pour Ethical, legal and societal aspects) accompagne la recherche en amont – aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, et au Danemark par exemple –, et les tentatives se multiplient pour intéresser, voire engager, le public dans la discussion de la politique scientifique concernant les nanosciences et nanotechnologies, en Grande-Bretagne notamment. Cette démarche pro-active et non plus réactive, comme ce fut le cas pour le développement de programmes sur les organismes génétiquement modifiés (OGM), qui servent souvent de modèle à  éviter, peut inaugurer une nouvelle gestion de la recherche scientifique et de ses rapports avec la société. (c'est moi qui souligne)

Je trouve aussi étonnant que le Comité d'éthique ait eu à  s'auto-saisir sur un sujet pareil, vu la contestation qui gronde et l'intérêt du grand public qui grandit ! C'est à  se demander si les instances du CNRS n'étaient pas hésitantes et si, parfois, le Comité d'éthique n'est pas juste une vitrine et un faire-valoir…

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Pourquoi impliquer les citoyens dans les politiques scientifiques ?

Il est intéressant de voir combien l'idée de rendre compte de ses recherches aux citoyens voire de les impliquer dans la définition des politiques de recherche est étrangère à  la plupart des chercheurs. Ainsi pour Ryuujin, élève-ingénieur en agronomie, "la recherche ne peut pas tenir compte de l'opinion publique ; celle-ci n'est pas dirigée par des motivations rationnelles, mais manipulée par des lobbys !"

Pourtant, la raison en est simple (en plus de l'urgence qu'il y a à  réconcilier la recherche française avec son public) : la science propose des choix mais c'est à  la société de choisir ce qu'elle veut pour elle-même, de faire les choix politiques et sociétaux qui sous-tendent la gestion du risque :

La science propose des choix, le droit les traduit en élaborant des normes, l'éthique alerte sur les enjeux concrets qu'ils signifient et apprécie des comportements à  l'aune de ces mêmes choix. La société ne peut s'en remettre à  aucune de ces disciplines pour décider de son avenir, sinon il lui échappera, mais n'est-ce pas déjà  le cas ? (Bertrand Mathieu, « Sciences dans la vie, droit et éthique » dans Cahiers français n° 294, jan-fév 2000)

Ce qui nous rapproche de cette phrase de Stephen Jay Gould (dans Le Renard et le hérisson, 2005), que j'aime beaucoup :

Aucune conclusion factuelle de la science (touchant à  ce qu'"est" la nature) ne peut à  elle seule déterminer une vérité éthique (touchant à  ce que nous "devrions" faire).

Voilà  pour le "Pourquoi ?". Quant au "Comment ?", je reviendrai prochainement sur les conférences de citoyens...

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