La science, la cité

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PLoS ONE, deux mois après

Le 20 décembre dernier était donc lancé PLoS ONE, revue scientifique hétéroclite dont les articles sont à  peine évalués par les pairs (uniquement pour trier le grain de la mauvaise ivraie), sorte de "bazar" où le lecteur doit se repérer, commenter, recommander etc. L'ambition était grande dans un monde académique qui peine à  sortir de la recommandation a priori par la notoriété des revues (facteur d'impact) et la relecture par les pairs.

Un mois et demi après, quel bilan peut-on tirer ? Est-ce que les lecteurs se sont appropriés les articles qui leur sont livrés en pâture ? Il semblerait que oui ! Ainsi, la revue Science (excusez du peu !), dans son numéro du 2 février, présentait un article de PLoS ONE comme "choix du rédacteur en chef" (editor's choice). Moins institutionnels, les blogs participent aussi à  faire ressortir certains articles et à  entamer la discussion. Selon Postgenomic, qui agrège près de 700 blogs scientifiques, ce sont au moins 25 articles qui ont été remarqués (parfois très brièvement). Du côté des outils sociaux, au moins trois articles de biologie ont attiré l'attention des utilisateurs de CiteULike et au moins cinq autres articles ont été bookmarkés sur Connotea...

Il ne reste plus qu'à  inventer un système pour regrouper en un seul endroit tous ces commentaires dispersés. On peut songer aux trackbacks, selon un modèle proche de celui d'ArXiV, où les commentaires de blogueurs ont déjà  permis d'améliorer substantiellement un article. En attendant, il faut naviguer entre ces sites, voire souscrire au flux de Postgenomic. Mais la visibilité des articles publiés "en vrac" par PLoS ONE existe bel et bien, et le tri par les lecteurs en fonction de l'intérêt propre de l'article et des centres d'intérêt de chacun semble fonctionner.

P.S. Sans doute ce billet fournira-t-il quelques réponses utiles à  cet internaute qui est arrivé chez moi après avoir cherché articles publiés par plos one dans Google. Preuve que le besoin est là  mais que pour trouver où ces articles ont été commentés, il faut déjà  savoir où chercher...

[Mà J 20/02, 7h20] : Comme le souligne Chris Surridge sur le blog de PLoS, un des articles qui a été le plus remarqué ne possède qu'une discussion, renvoyant en fait vers un billet du blog "Gene expression" ayant 25 commentaires ! Il y a donc du travail pour regrouper et fluidifier tout cela...

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La langue de la science

Si François s'attache au style de l'écrit scientifique, je vais ici me pencher sur la langue. En effet, c'est un lieu commun : la science s'écrit en anglais, point barre, merci d'être venus. Ce n'est pas faux, la littérature scientifique en anglais représente une large majorité de la littérature scientifique mondiale, et c'est en tous cas celle qui est prise en compte préférentiellement par l'ISI-Thomson pour le calcul du fameux facteur d'impact (cf. Archambault et al., Scientometrics 68, 2006 pour une récente analyse de ce biais dans le domaine des sciences humaines et sociales). Les brevets en anglais risquent aussi de s'imposer en Europe si la France ratifie le protocole de Londres, qu'elle est pour l'instant le dernier pays à  bloquer.

Or voilà , la science peut s'écrire et s'écrit en français. En majorité en sciences humaines, mais aussi en mathématiques, soit précisément les matières où nos chercheurs sont les plus admirés et demandés à  l'étranger ! Car la langue est plus qu'un outil en science, c'est le véritable support de pensée. C'est le médiateur entre la réalité et tout discours sur cette réalité. Sans langue, pas de science, et selon la langue on n'obtient pas la même science. Cela tient à  la construction logique ou à  l'utilisation d'analogies qui lui sont propres, deux éléments cruciaux dans la méthode scientifique. Difficile de donner des exemples mais on peut mentionner que la fameuse incertitude d'Heisenberg est en fait une Unbestimmtheit, soit une indétermination, maladroitement passée par l'uncertainty anglo-saxonne. Et voilà  tout un pan de fausses théories échafaudées sur une mauvaise traduction qui s'effondre ! Ou encore le projet de refonte des mathématiques de Nicolas Bourbaki s'est accompagné d'un renouveau du vocabulaire, avec de nouveaux termes et concepts aussi imagés que "faisceaux", "fibrés", ou "adhérences".

De fait, ce n'est pas tant la langue de publication ("communication institutionnelle") que la langue de la communication informelle qui compte, laquelle reste principalement le français, sauf dans quelques labos plus internationaux. Mais publier en français reflète aussi une attitude et un engagement plus profonds. Voici comment le mathématicien français Laurent Lafforgue (médaille Fields 2002) décrit la position unique de l'école française de mathématiques :

Sur le plan psychologique, faire le choix du français signifie pour l’école française qu’elle ne se considère pas comme une quantité inéluctablement négligeable, qu’elle a la claire conscience de pouvoir faire autre chose que jouer les suiveuses et qu’elle ne se pose pas a priori en position vassale. Bref, ce choix est le signe d’une attitude combative, le contraire de l’esprit d’abandon et de renoncement... Bien sûr, un esprit combatif ne garantit pas le succès, mais il est nécessaire. Comme dit le proverbe chinois, les seuls combats perdus d’avance sont ceux qu’on ne livre pas.

Jean-Marc Lévy-Leblond le dit autrement dans "La langue tire la science" in La Pierre de touche, Gallimard Folio, 1996 :

les sciences sociales et humaines semblent garder une possibilité de publication plurilingue que n'ont plus vraiment les sciences de la nature, dominées économiquement et techniquement par un modèle unique.

Sans compter les inconvénients de publier en anglais. Cela correspond pour certains (comme René-Marcel Sauvé) à  payer une taxe sur la recherche scientifique. En effet, les chercheurs ne fournissent pas le même effort pour publier dans leur langue maternelle et dans une langue apprise à  l'école, payant dans ce dernier cas un prix en terme d'efficacité, de visibilité et de prestige (combien de Français moqués en conférences parce qu'ils s'exprimaient de manière risible en anglais ??!!). De plus, le résultat est souvent un basic english bien pauvre, qui empêche de penser ou presque ! Et des publications en anglais ne seront jamais facilement comprises par tous les publics, même si elles sont mises à  disposition gracieusement par le mouvement d'accès libre. Quid alors de l'éducation scientifique des citoyens et du retour à  la société des fruits de la recherche ?

Alors, défendre le français en science n'est pas seulement un combat d'arrière-garde mené par une administration dépassée. C'est aussi la défense d'une vision du monde et d'une autonomie de la recherche ![1]

Notes

[1] Attention quand même à  l'angélisme, ce billet n'est pas un plaidoyer en faveur de toutes les revues scientifiques en français, y compris les plus inadaptées et dispensables ! La défense de la langue ne saurait être un prétexte à  la médiocrité, mais plutôt un encouragement à  améliorer le paysage dans sa globalité

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Le peer commentary, de Nature à  PLoS ONE

Mon billet précédent sur le peer commentary a fait beaucoup réagir, l'opinion dominante étant que le peer review ne sera jamais remplacé avantageusement par un système où chacun est invité à  commenter et à  réagir directement aux articles scientifiques. C'est plus ou moins la conclusion à  laquelle arrive également la revue Nature, dont la tentative d'open peer review s'est terminé en septembre. Bilan annoncé en décembre dernier :

  • 1369 articles candidats
  • 71 articles ouverts au public après accord des auteurs
  • 92 commentaires postés sur 38 articles, dont 49 sur 8 articles
  • 10 commentaires pour l'article le plus commenté, portant sur la sélection sexuelle post-accouplement
  • note moyenne attribuée par les auteurs aux commentaires reçus : 2,6/5 pour ceux portant sur le contexte de publication (editorial) et 1,8/5 pour les commentaires plus techniques.

Pour Nature, l'expérience n'est pas aussi concluante qu'ils l'espéraient, essentiellement en raison du nombre et de la qualité moyenne des commentaires. Ils n'envisagent donc pas immédiatement de la renouveler voire de l'adopter pour de bon : "les chercheurs ne sont pas encore prêts" affirme Timo Hannay.

Colorful scientific journals

Mais le 20 décembre était officiellement lancé PLoS ONE, qui penche résolument de l'autre côté et mise tout sur le peer commentary. Tous les articles soumis à  PLoS ONE sont relus par "au moins un des 200 chercheurs composant le comité de rédaction, uniquement pour vérifier l'absence d'erreur majeure dans les expériences effectuées ou leur analyse. A la différence de quasiment toutes les autres revues, les rapporteurs ne font pas attention à  la signification des résultats. A la place, les articles importants seront mis en avant par l'attention qu'ils susciteront après publication." (Jim Giles, "Open-access journal will publish first, judge later", Nature 445: 9, 4 janvier 2007). En l'absence de tri a priori des articles, ce ne sont pas moins de 40 à  60 articles qui seront publiés par mois dans toutes les disciplines, pour atteindre quelques centaines par mois à  moyen terme.

Comme l'affirme le rédacteur en chef de PLoS ONE Chris Surridge, le but est de "faire une revue où les articles ne sont pas une fin en soi mais le début d'une discussion" (Jim Giles, op. cit.). Pour ce faire, des outils avancés permettant de surligner et d'annoter directement dans le texte, de commenter et de noter les commentaires ont été ou vont être déployés (voir un exemple sur l'article "bac à  sable"). Plus largement, l'ambition des fondateurs du groupe PLoS dont Harold Varmus est véritablement de "tranformer la manière dont on publie la science" !

Le "match" est intéressant et le futur nous dira quelle est la meilleur option. Mais on peut aussi imaginer que les deux modèles continueront à  cohabituer, avec d'autres intermédiaires où le peer commentary s'ajoute au peer review sans le remplacer...

Photo © Getthebubbles

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Peer commentary

Une des voies d'avenir du peer review est l'open peer review où les lecteurs ont accès aux conclusions des rapporteurs et peuvent moduler leur lecture en fonction. Mais si le peer review en soi reste la pierre angulaire du système, il n'empêche pas de développer une option tout à  fait excitante nommée peer commentary où tous les lecteurs peuvent réagir à  l'article et confronter leurs points de vue, ce qui offre une lecture encore plus riche. On le retrouve notamment sur la plateforme ArXiv de physique et mathématiques (avec la fonction de trackback qui permet de faire savoir que l'on a blogué sur l'article), dans les journaux PLoS (par exemple PLoS Computational Biology) et bientôt PLoS ONE que l'on promet novateur en matière de communication scientifique…

Mais dans la plupart des cas, si les commentaires sont intéressants, ils ne suscitent pas des réactions passionnées et il n'y a pas de vrai débat autour de l'article. Le cas est différent avec un article publié dans le British Medical Journal dont vous avez peut-être entendu parler, qui montre que "googler" les symptômes d'une maladie mène au bon diagnostic dans 58% des cas ! Or, depuis le 11 novembre, il y a déjà  eu 39 commentaires, la plupart de médecins, venant critiquer ou approuver l'étude. C'est ainsi que sont critiqués l'intervalle de confiance de 38% à  77%, les biais liés à  la manière dont les maladies testées ont été sélectionnées, la démarche assez limitée où les symptômes sont empruntés exactement au vocabulaire médical ou la notion qui a souvent transparu de "Google comme fournisseur de contenu" ; à  l'inverse, des lecteurs constatent qu'eux-mêmes pratiquent le googling de symptômes, conseillent d'autres bases de données que Google comme Google Health ou d'ajouter "emedecine" à  la syntaxe de recherche pour augmenter la probabilité d'avoir des réponses pertinentes, voire posent d'autres questions pour les études à  venir.

Pour moi, le contrat est rempli : le peer commentary permet d'enrichir l'article immédiatement après sa publication et d'apporter des éléments supplémentaires, entraînant même la réponse des auteurs ! Le tout disponible en ligne en accès libre, de quoi éclairer aussi la lecture d'un profane qui aurait voulu en savoir plus sur un article repris en masse par la presse grand public, pas souvent de manière rigoureuse.

Concluons ce billet avec quelques remarques plus générales de Ghislaine Chartron (tirées de son article sur "Une économie renouvelée de la communication scientifique") (c'est moi qui souligne) :

Sans bouleverser fondamentalement les processus de communication et de publication scientifique, ces innovations [sociales] ont introduit, pour la publication scientifique (...) une ouverture des cercles d’autorité qui ne peuvent pas ignorer les échanges informels portés par le réseau ; l’autorité désignée (comités scientifiques fermés) doit faire face à  l’agora ouverte des autres chercheurs. Ce dernier point renvoie à  la notion de peer commentary – pour reprendre les termes de S. Harnad – qui s’est développée de façon inégale et de manière souvent informelle ; le peer commentary est perçu majoritairement comme une fonction supplémentaire pouvant améliorer la qualité de l’évaluation, mais ne pouvant en aucune façon se substituer au peer review (Harnad, 1998). Le processus d’évaluation scientifique est resté jusqu’à  présent assez stable dans le cadre du numérique. Certes, au niveau organisationnel, il a bénéficié d’une logistique d’appui plus élaborée (utilisation possible d’un logiciel de workflow), mais aucune évolution plus profonde n’a vraiment pris place. Contrairement à  de nombreuses formes de débat public, la fonction d’évaluation reste attachée à  un travail approfondi, cadré dans une relation de confiance entre des experts et des comités de rédaction. La transposition de cette fonction sur d’autres vecteurs pourrait très bien s’envisager mais il n’en est rien pour le moment, la revue restant le repère structurant de la publication scientifique, même dans les champs les plus innovants en termes de communication numérique. Toutefois, il faut signaler l’ouverture très récente (juin 2006) du service PloSOne qui vise à  introduire des débats plus ouverts pour l’évaluation des articles des revues de cet éditeur, articles qui sont déjà  en accès libre par ailleurs. L’évolution est peut-être en marche ?

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