La science, la cité

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Une inégale perception du risque, ou le terrorisme contre le nucléaire

J'ai tenté en avril dernier d'expliquer notre perception des problèmes scientifiques et environnementaux et de mettre à  jour la rationalité "non-scientifique" qui gouverne notre attitude face au risque. Les données dont je disposais alors provenaient du sondage Eurobaromètre de mars 2008 sur l'attitude des citoyens européens vis-à -vis de l'environnement.

En juin dernier, l'IRSN a publié les résultats d'un sondage effectué en 2007 qui compare l'attitude face au risque du grand public et des "leaders d'opinion" (non pas des blogueurs mais des chefs d'entreprise, membres de la direction de syndicats, élus locaux, parlementaire et journalistes en tous genres). A la question Dans chacun des domaines suivants, considérez-vous que les risques pour les Français en général sont quasi-nuls, faibles, moyens, élevés ou très élevés ?, les réponses représentées dans le graphique ci-dessous sont diablement intéressantes.

On retrouve, parmi les risques jugés les plus importants par le grand public, la pollution atmosphérique, la pollution des sols et la chimie (déchets ou installations) qui ressortaient déjà  des résultats de l'Eurobaromètre. Pour les leaders d'opinion, le terrorisme vient se glisser dans le trio de tête. Parmi les risques mis en avant par les leaders d'opinion, on trouve aussi le bruit et la canicule. Le grand public, lui, s'inquiète comparativement plus pour les déchets radioactifs et les centrales nucléaires.

Comment interpréter ces résultats ? C'est délicat car on n'est pas sûr de ce qu'on attend exactement d'un leader opinion : une rationalité plus alignée sur celles des scientifiques ? Une meilleure capacité à  se projeter dans l'avenir et anticiper ? Ou bien au contraire, être en phase avec le grand public (qui n'est pas aussi homogène que son nom le laisse croire, tout comme les leaders d'opinion d'ailleurs) ? Toujours est-il qu'il y a un certain accord sur les risques jugés les plus importants, ce qui est sans doute rassurant. On trouve aussi un accord sur le risque OGM (situé sur la diagonale où leaders d'opinion = grand public), soit un grand pan sur le bec de ceux qui raillent la manipulation de l'opinion publique par quelques agitateurs, auxquels les leaders d'opinion devraient être moins sensibles. Le phénomène OGM semble donc plus profond que cela...

Au niveau des différences, il se trouve que le terrorisme, le bruit et la canicule qui font peur aux leaders d'opinion sont des risques plus socio-économiques que techno-scientifiques ou environnementaux. Des domaines vers lesquels les leaders d'opinion sont sans doute plus tournés (je pense aux chefs d'entreprise ou aux élus par exemple), ce qui montre en creux à  quel point la techno-science a envahi notre quotidien. La très forte méfiance du grand public envers le nucléaire (et même les retombées de Tchernobyl), elle, me fait penser qu'expliquer la peur du nucléaire par ses aspects global, impalpable et hors de toute mesure (pensons à  l'hiver nucléaire !), comme je l'avais fait en avril, ne suffit pas. Ici, il y a clairement une opposition entre un peuple et ses leaders. Soit que le sentiment d'inamovibilité du nucléaire joue contre lui et fait grandir l'idée repoussante selon laquelle un pays s'est joué de son peuple. Soit qu'effectivement, le nucléaire a réussi à  enrôler tous les leaders de l'hexagone et que ceux-ci ne vivent plus dans la même société du risque que leurs compatriotes. Dans les deux cas, la situation est grave. Et la forte opposition à  l'enfouissement des déchets nucléaires par les habitants des communes françaises désignées le montre clairement !

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Quelques blogs à  visiter de ma part

Un billet spécial copinage, parce que ce n'est pas facile de se lancer dans le blog et d'avoir aussitôt des retours et une visibilité qui permettent de pérenniser son effort…

Richard-Emmanuel Eastes a tellement de casquettes qu'il serait vain de vouloir en faire le tour ici mais qu'il me suffise de dire que mes lecteurs le connaissent à  la fois par ce billet sur la distinction entre le naturel et l'artificiel et ma participation au colloque Pari d'avenir 2008, qu'il orchestrait. Il tient désormais un blog, qui accompagne une chronique mensuelle dans L'actualité chimique et se consacre en particulier à  la communication de cette discipline mal-aimée. Je recommande notamment son dernier billet où il éclaire intelligemment cette façon qu'ont les chimistes de tout qualifier de "chimique" : viendrait-il à  l’idée d’un mathématicien de qualifier la Terre de "mathématique" sous prétexte qu’elle est (presque) sphérique ? Récemment, il proposait aussi un jeu-concours pour trouver des expressions courantes faisant intervenir l'adjectif "chimique" dans un sens positif (pour l'instant, seuls la levure chimique et le nettoyage chimique sont en lice).

science'cuisine est un blog que j'ai aidé à  monter. Il permet aux internautes de contribuer à  faire avancer la gastronomie moléculaire depuis leur cuisine, en mettant en oeuvre chaque mois une nouvelle expérience. Le protocole est tiré directement du séminaire d'Hervé This à  l’école Ferrandi et les résultats des internautes, laissés en commentaire, viennent compléter ou corriger ceux obtenus sur place. Le mois dernier, nous vous proposions par exemple de vérifier s'il est exact que, congelée avant d’être cuite (et cuite directement à  la sortie du congélateur), la pâte feuilletée monte mieux à  la cuisson. Parmi de nombreux tours de mains qui seront ainsi explorés au cours de l'année par Hervé This, on annonce déjà  la question de savoir si l’oseille fond les arêtes de poisson. De la gastronomie moléculaire collaborative grâce au pouvoir du blog, voilà  une idée qui m'enchante beaucoup ” même si la participation est nulle pour l'instant...

Enfin, François — un touche-à -tout qui intervient dans le Master de communication scientifique de Strasbourg et revendique sa dette envers les idées neuves (à  l'époque) de Baudoin Jurdant — tient un blog mis à  jour de façon irrégulière, mais qui vaut le détour. Justement, il a pris de bonnes résolutions pour être plus présent et mordant et un de ses derniers billets s'attaque à  la définition et au but de la vulgarisation. Un billet qui a été stimulé par une réflexion de... Richard-Emmanuel Eastes, bouclant ainsi joliment la boucle !

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Des chimistes iraniens victimes de l'embargo

La fameuse American Chemical Society (ACS), organisation à  but non lucratif financée par l'Etat américain, et à  qui on doit notamment les Chemical Abstracts indispensables à  tout chimiste, fait parler d'elle. Comme le rapporte un entrefilet paru dans la revue Science, elle vient de décider discrètement d'exclure tous ses membres iraniens (soit 36 au total). Cette mesure motivée par l'embargo américain vis-à -vis de l'Iran n'a été ni réclamée par le gouvernement, ni justifiée par les status qui précisent à  propos des exclusions (Article IV, Section 3) :

A member may be dropped from membership for nonpayment of dues or for conduct which in anywise tends to injure the SOCIETY or to affect adversely its reputation or which is contrary to or destructive of its objects. No member shall be dropped except after opportunity to be heard as provided in the Bylaws.

ACS se justifie en affirmant que l'embargo lui interdit de fournir un quelconque produit ou service à  des iraniens, par exemple la fourniture de portails d'accès à  l'information scientifique ou de service de commande de publications à  prix réduit. Au détriment d'une recherche scientifique qui se voudrait internationale et désintéressée... Pourtant, il est d'usage dans ce type de situations de continuer à  fournir des services aux membres concernés, éventuellement en réclamant une "licence" particulière pour être sûr de son bon droit. Pas d'exclure unilatéralement des membres !

Les développements sont à  suivre sur le blog de Khosrow Allaf Akbari.

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Laver ses fruits et légumes

Puisque le but de ce blog est aussi d'épingler les erreurs sur la science vus et lus à  gauche et à  droite, voici un cas intéressant, trouvé il y a deux jours :

Saviez-vous que les pesticides ne sont pas solubles dans l'eau ? Ce qui signifie que passer une pomme ou une tomate sous l'eau ne sert pas à  éliminer les agents toxiques. Il faudrait pour cela les frotter à  l'eau savonneuse.... je sais pas vous, mais moi je ne le fais pas...

Cette personne relaie donc une information dont elle a eu vent, qui semble avoir une réelle implication mais sans en tirer les conséquences qui s'imposent... Mais est-ce seulement vrai ? Manifestement non, puisque l'une des caractéristiques des pesticides est leur "cœfficient de partage octanol-eau", noté Log Kow, qui exprime justement la tendance à  être soluble plutôt dans l'eau ou plutôt dans l'huile. Et ce cœfficient varie selon les produits, on ne peut en déduire aucune généralité. Ainsi, l'abamectine est insoluble dans l'eau, le bromoxynil a une solubilité de 130 mg/L et le trichlorfon une solubilité extrêmement grande de 120 g/L ...

Bref, on peut continuer à  suivre les conseils habituels (Le Guide nutrition et santé, éd. Vidal) :

Pour les débarrasser de la poussière et des résidus de pesticides, les fruits et légumes frais doivent être nettoyés à  l'eau. Attention à  ne pas les laisser tremper trop longtemps, car ils perdent une partie de leurs sels minéraux et de leurs vitamines. Les melons, les pommes de terre ou les carottes peuvent être brossés.
L'épluchage permet d'éviter l'ingestion des pesticides et des fibres irritantes pour le tube digestif. Mais il élimine aussi des minéraux, des vitamines et des antioxydants contenus dans la peau des fruits et légumes. Mieux vaut donc faire des épluchures fines, se contenter de brosser ou gratter à  l'aide d'un couteau ou d'une éponge abrasive les légumes primeurs ; pour les courgettes, les aubergines et les concombres, laisser une partie de la peau. Chaque fois que possible, consommer la peau après un lavage soigneux.

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Naturel et artificiel

Le prochain Café science & citoyens organisé par l'association Mille et une sciences aura lieu à  Lyon le lundi 6 février et sera consacré à  la question de la différence entre naturel et artificiel. Excellent thème : on ne compte plus les exemples de la vie courante où cette confusion est faite — quand "chimique" n'est pas utilisé comme synonyme encore plus péjoratif d'"artificiel", alors que le naturel aussi est "chimique". Comme le formule mieux que moi Richard-Emmanuel Eastes (document pdf, 192 ko):

Dans le langage courant, ce qui est « chimique » est en général connoté négativement : au mieux, c’est anti-naturel et au pire, une source de dangers pour la santé et l’environnement. C’est d’ailleurs les deux sens principaux qu’il convient de distinguer dans la perception de ce terme par nos concitoyens : « chimique » contient à  la fois l’idée d'artifice (Bernadette Bensaude-Vincent parlera de factice) et l’idée de risque. Ces deux conceptions se mêlant généralement pour conduire à  une vision simpliste qui revient à  donner à  l’acception courante du mot chimique le sens de : C’est artificiel, donc potentiellement malsain (…) : il convient ici de ne pas négliger l’importance du mot « potentiellement ». Car les détracteurs du « chimique » acceptent souvent bien volontiers de se soigner à  l’aide de médicaments ou d’utiliser des objets qui contiennent des matières plastiques. Ce qui est en cause ici n’est pas nécessairement de l’ordre du rationnel (ce qui complique encore la tâche des chimistes, rompus à  l’objectivité et à  la logique scientifiques) : ce sont essentiellement des valeurs et des peurs.

Et l'association Mille et une sciences d'annoncer :

Le clivage commun qui existe entre « naturel » et « artificiel » est foncièrement connoté d'un jugement de valeur : Ce qui est naturel est bon alors que ce qui est artificiel est mauvais. Quelle conception a-t-on de ce qui est naturel et de ce qui ne l'est pas ? Il sera intéressant de mieux comprendre ce qui se cache derrière ce jugement de valeur, ses fondements historiques ou culturels,… et leurs conséquences.

Une molécule de vanilline synthétisée, identique avec celle extraite du bâton de vanille, est artificielle parce qu'elle est créée par l'homme. Mais le bâton de vanille, n'est-il pas issu d'un plant de vanille arrosé, nourri et soigné par l'homme ? Ce bâton de vanille n'est-il donc pas lui aussi artificiel ?

Lorsque des croisements génétiques s'opèrent entre espèces, qu'une bactérie vient parasiter un autre organisme on considère qu'il s'agit de phénomène naturel. Lorsque c'est l'homme qui choisit de le faire, la mutation devient artificielle. L'homme est-il un être vivant « hors-nature » ? Pourquoi exclue-t-on son action du champ de la nature ? L'homme n'est-il pas non plus un « produit naturel » au même titre que le soleil, l'eau, l'air… ?

Avis aux lyonnais... et si l'un de mes lecteurs y participe, je publierai avec plaisir un compte-rendu ici ;-) !

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