La science, la cité

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Mot-clé : colloque

Fil des billets - Fil des commentaires

Les Académiciens discutent de l'accès libre

Hourrah, nos (vieux) Académiciens des sciences se préoccupent des nouveaux enjeux de l'édition scientifique, notamment l'accès libre (open access), et mettent en ligne les vidéos du colloque consacrées à  ce sujet ! Quelques remarques, à  lire en sus du compte-rendu d'Affordance.

Un débat intéressant : la place du facteur d'impact dans l'évaluation des chercheurs. Pierre Joliot s'est ému (1'53'') de ce qu'un indicateur quantitatif si mécanique puisse dire s'il est un bon ou mauvais chercheur, sachant d'expérience que ce qu'il (et Etienne Joly, un autre intervenant) considère comme ses meilleurs articles sont finalement les moins cités. Deux réponses à  cela :

  • le facteur d'impact n'a jamais été un indicateur de qualité mais bien de visibilité : plus vous êtes cité, plus vous êtes visible et vice-versa (notamment parce qu'on peut être cité pour de bonnes ou mauvaises raisons) ;
  • si le facteur d'impact ne peut juger de la qualité d'un article, si même aucun indicateur quantitatif ne le peut, un Homme le peut-il ? Ce que Joliot considère comme ses meilleurs articles sont les plus originaux, explique-t-il. Les plus novateurs. Un pair (disons quelqu'un qui évaluerait le travail de Joliot ou son équipe pour le compte du CNRS) qui passerait en revue la bibliographie de Joliot s'arrêterait-il sur cette poignée d'articles encore incompris ou bien considèrerait-il que les autres sont les plus marquants ? Je penche pour la deuxième solution, ce qui me fait dire que malgré son imperfection, l'analyse des citations (quand elle est bien menée et interprétée) ne fait que reproduire le comportement d'évaluation des chercheurs. Logique, puisque c'est finalement ce qu'ils font tous les jours quand ils décident de citer un tel ou un tel !

En fait, si la qualité perçue par les pairs est empiriquement corrélée au nombre de citations reçues, celui-ci est bien plus significativement corrélé à  la faible créativité — c'est à  dire que les articles ne rentrant pas dans les cadres conceptuels existants ou dans les normes sociales en cours dans un domaine académique[1] sont moins cités. Peut-être justement, expliquent les auteurs de ce travail, parce qu'ils sont moins utilisés, et donc moins visibles rajouterais-je.

Un autre débat intéressant : comment suivre le volume exponentiel de littérature produit ? Le représentant de PLoS met en avant les capacités présentes ou à  venir de la fouille de texte et de données, notamment sur la base Pubmed Medline. Etienne Joly, lui, conseille l'utilisation d'outils comme Faculty of 1000 ou les alertes de citations fournies par Thomson/ISI. Autant de services payants… Pas un mot sur le web 2.0 et l'intelligence collective — gratuite — façon suivi des articles les plus populaires sur CiteULike par domaine ou des articles les plus blogués sur Postgenomic. Des outils à  améliorer, certes, mais déjà  utiles !

Enfin, une information importante que j'ignorais (10' 47'') : à  partir de 2008-2009, le dépôt des publications dans l'archives en accès libre HAL sera rendu "indirectement obligatoire" par l'INSERM. En fait, cela signifie que, dès cette date, ne seront regardés pour la création des unités que les articles qui y sont déposés. On peut imaginer en effet le temps gagné lors de l'évaluation des chercheurs si les publications sont toutes regroupées au même endroit et librement accessibles ! Décidément, on n'aura de cesse de trouver des avantages à  l'accès libre aux résultats de la recherche (que ce soit l'auto-archivage par les auteurs ou les revues en accès libre)…

Notes

[1] W. R. Shadish, D. Tolliver, M. Gray et S. K. Sen Gupta (1995), "Author judgments about works they cite: Three studies from psychology journals", Social Studies of Science, 25: 477-498 (DOI)

Partage

Colloque CNRS "Sciences et société en mutation" : compte-rendu (2)

Suite et fin de mon compte-rendu, correspondant à  l'après-midi du colloque (toujours visible en ligne)…

Recherche et enjeux de société

Il s'agit de la restitution des ateliers, ayant réuni de 20 à  80 chercheurs entre octobre 2006 et janvier 2007. Ou comment répondre à  des questions… par d'autres questions ! Au moins, la sauce des ateliers, des thématiques proposées[1] et des participants semble avoir prise. Comme le conclut Marie-Françoise Courcel (CNRS) : maintenant, nous devons nous mettre au travail, bien-sûr dans l'interdisciplinaire. C'est à  peu près l'endroit où nous sommes arrivés de nos réflexions ! Constructifs quand même, je retiens la volonté des chercheurs interdisciplinaires en sciences de la communication de se poser en discipline propre, la satisfaction des climatologues face à  leur participation au GIEC (mais qui regrettent que ce travail ne soit pas plus reconnu par les instances du CNRS), la proposition d'organiser des forums citoyens sur Internet via un wiki ouvert à  tous et d'adopter une charte du chercheur dans la société (pour éviter par exemple les prises de parole un peu bancales, comme celles de Claude Allègre sur le réchauffement climatique), la volonté de valoriser le jeune chercheur comme interlocuteur facilement disponible et accessible au grand public. Dans la discussion, le journaliste du Monde Sylvestre Huet remarque que pour que la communauté scientifique soit audible (par les journalistes en particulier), elle doit structurer son discours dans un état d'esprit semblable à  celui du GIEC : pas de "vérité officielle", pas de prises de positions radicales mais une construction pragmatique et ouverte. De nombreuses questions du public portent aussi sur le rôle potentiel des scientifiques dans les forums informels sur Internet (par exemple Scitizen) ou dans des parutions hors des sentiers battus et à  forte audience comme Le Monde diplomatique.

Comment construire la relation sciences-société ?

Dominique Meyer de l'Académie des sciences raconte une expérience originale (inspirée d'une action de la Royal Society) de "parrainage" entre un député, un membre de l'Académie des sciences et un jeune chercheur — les uns accompagnant les autres dans une journée de travail et vice-versa. Puis Michael Seifert raconte l'expérience allemande de la "Kinder-Uni" qui fait entrer des jeunes de 8 à  12 ans à  l'Université, un jour par semaine pendant l'été, afin de les faire assister à  des cours/conférences intitulées "Pourquoi le monde est-il multicolore ?", "Pourquoi ne nous est-il pas permis de cloner l'être humain ?" ou "Pourquoi les statues grecques sont-elles toujours nues ?". Le contenu autant que la mise en situation ("jeu de rôle") participent au succès de l'opération.

Paraskevas Caracostas de la Commission européenne fait ensuite le point sur les actions "Science en société" (et non plus "Science et société") dans le 7e Programme-cadre (PCRD). Celles-ci sont structurées en 4 sous-parties : "Une gouvernance plus dynamique des relations science et société", "Le renforcement du potentiel, l'ouverture des horizons", "La science et la société communiquent", "Activités stratégiques".

Clôture : questions à  deux philosophes

Le premier de ces deux philosophes est François Ewald, selon qui :

  • aujourd'hui, notre discours sur la science est celui d'un néo-rousseauisme : la science est le début du mal. Or la science et le type de connaissances induit par la science sont un progrès ;
  • il faut mettre fin à  la distinction entre la société et la science car la science est partout dans la société ! La science est devenue le langage requis pour parler des questions sociales, que l'on soit pour ou contre. (…) La science (…) est le lieu des combats sociaux et c'est la difficulté des institutions que de se distinguer, dans un monde qui est partout scientifique !

Le second philosophe est Jean Gayon, pour qui :

  • la solution au problème de la diffusion des sciences se situe non pas au niveau d'un organisme comme le CNRS mais de l'école et des médias (ce avec quoi je ne suis qu'à  moitié d'accord)
  • nous sommes face à  un nouveau régime d'échange avec le public
  • il faut massivement développer notre compréhension de la chose, il faut développer un corps de recherche en structurant les acteurs (sociologues et historiens des sciences, spécialistes de la vulgarisation et de la didactique des sciences, épistémologues) aujourd'hui épars.

Conclusion

Les Actes du colloques sont annoncés pour la fin mars, aux Editions du CNRS. Le site du CNRS accueillera aussi progressivement les données d'enquêtes sur la relation des scientifiques à  la société, y compris celles en cours, et le Journal du CNRS se fera l'écho des actions qui seront engagées.

Dernière remarque : la couverture par la presse nationale de l'évènement a été quasi-inexistante si j'en croie mon petit dispositif de "veille". Seuls Le Nouvel observateur / Sciences et avenir se distinguent par un article qui rapporte l'étude de Daniel Boy et du Cevipof selon laquelle les scientifiques ne sont pas outrageusement choqués à  l'idée que l’on puisse s'opposer à  certaines innovations techniques, voire les scientifiques ne sont pas des martiens ! Les journalistes étaient pourtant invités au colloque, avec force dossier de presse et places réservées...

Notes

[1] Savoirs et développement, Communication, Energie et climat et Emergence des nanosciences et nanotechnologies.

Partage

Colloque CNRS "Sciences et société en mutation" : compte-rendu (1)

Voici un debrefiefing rapide du colloque (programme) qui se tenait hier au siège du CNRS, à  Paris, et que j'avais annoncé il y a plusieurs mois déjà . Toutes les interventions ont été filmées et sont visibles en ligne.

Participation

500 personnes s'étaient inscrites, malgré une publicité minime, avec 48 % de femmes (contre 42,5% au CNRS, soit une sur-représentation des femmes !), 20% de personnel non-CNRS et 29% de spectateurs venues des régions. Trois attentes ont été exprimées majoritairement par le public, lors de l'inscription :

  • qu'est-ce que la communication : raison, méthodes, posture etc. ;
  • besoin de comprendre quels sont les mécanismes à  l'œuvre dans les connexions entre science et société (appel aux sciences humaines, et en particulier à  la sociologie des sciences !) ;
  • comment modifier les politiques de recherche en général pour intégrer l'éthique et les préoccupations de la société.

Introduction par la présidente du CNRS, C. Bréchignac

Introduction très moyenne, pleine de lieux communs : aux scientifiques la rationalité, au grand public l'émotion et la peur. Le but du colloque pour Bréchignac : apprendre à  faire passer les messages dans la société. De dialogue, point. On est mal parti !!

"Une prospective de la société de la connaissance"

Heureusement, Paraskevas Caracostas (conseiller à  la DG Recherche de la Commission européenne) cadre le débat et détruit ces préjugés. Oui, il faut sortir du modèle de l'instruction publique. Non, l'autre solution n'est pas celle d'une recherche menée par les associations et ONG. Entre les deux extrêmes se déploie une palette d'interactions, et une multi-modalité des recherches, où la science n'est pas neutre, pure et désintéressée. De fait, la Commission européenne est passée d'un programme "Science et société" dans le 6e PCRD à  un programme "Science en société" dans le 7e PCRD. Et Caracostas de citer Dominique Pestre à  propos des nouveaux modes de production des savoirs, comprenant la question des modèles d'innovation ouverte et la critique des droits de propriété intellectuelle. Une excellente intervention !

La perception des attentes de la société par les scientifiques

Cette session a un parti pris original, qui sort de l'habituel refrain sur la "perception des scientifiques par le grand public". Il s'agit d'enquêter et d'interroger la perception qu'ont les scientifiques (du CNRS) des attentes de la société. Un film de Joà«lle Le Marec présente 18 entretiens réalisés avec des chercheurs, y compris Baudouin Jurdant.
Pabo Pablo Jensen fait une synthèse des rapports annuels d'activité des laboratoires et chercheurs du CNRS, et présente quelques statistiques : le CNRS organise 7000 actions de vulgarisation par an (conférences, portes ouvertes, interview, accueil de scolaires etc.), mobilisant environ 1/3 des chercheurs. A comparer avec les 3/4 des chercheurs anglais mobilisés dans des actions de vulgarisation, selon un rapport de la Royal Society. 3% des chercheurs vulgarisent très souvent, et sont des "semi-professionnels", représentant 30% des actions ! Les départements "Chimie" et "Vivant" sont les moins actifs et contrairement aux idées reçues, on trouve une corrélation positive entre activité de vulgarisation et promotion CR1 -> DR2 -> DR1 !
Enfin, Daniel Boy présente les résultats d'une enquête menée auprès d'un échantillon de 2075 chercheurs et ingénieurs représentatifs de la population du CNRS. Où l'on s'aperçoit que le désir de rendre service à  la société est la deuxième motivation des chercheurs après la curiosité et que 2/3 des chercheurs se préoccupent de ce que la société pourrait attendre de leurs recherches. 28% des scientifiques pensent qu'il y a une crise entre la société et la science, contre 42% qui pensent qu'il n'y a pas de crise. 56% pensent qu'il y a une crise de vocation des jeunes, particulièrement dans le domaine des sciences de la vie ! 13% des scientifiques pensent que la science ne peut être faite que par des scientifiques et 27% pensent que les expériences de collaboration avec la société civile (associations de malades, etc.) sont intéressantes mais ne changent pas grand chose. Ce qui pourrait convaincre les chercheurs de communiquer encore plus sont d'abord la possibilité de développer des contacts favorables aux recherches, et ensuite d'obtenir des financements !
Je retiens enfin dans le débat l'intervention une chercheuse d'Aix-en-Provence, qui travaille sur la question de l'exclusion et interagit constamment avec politiciens d'une part et associations de la société civile d'autre part, pour qui valorisation et vulgarisation se confondent et, au-delà  de cette transmission, le vrai enjeu est celui de la co-construction : ses propres travaux s'inscrivent dans des préoccupations de société et se définissent avec la participation directe du "tiers-secteur".

Partage

Colloque CNRS "Sciences et Société en mutation"

Bonne nouvelle de la part du CNRS, qui annonce son prochain colloque intitulé "Sciences et Société en mutation" (20-21 novembre 2006). Il s'agit, selon l'un des organisateurs, d'une "étape destinée à  ce que la relation entre science et société soit encore mieux prise en compte dans les politiques de notre établissement, et mieux comprise par les forces vives du CNRS. Au cœur du colloque se trouvent ainsi l'esprit d'écoute et la démarche de participation." Espérons que ce ne soit pas un vœu pieux... Et le CNRS d'annoncer trois enjeux principaux :

  • Qu’est-ce que la question ‘Sciences-Société’ de nos jours ?
  • Quels sont les enjeux de société pour lesquels une contribution de la recherche est féconde ?
  • Comment définir l’évaluation des relations ‘Sciences-Société’ ?

Même si le colloque lui-même est réservé aux personnels du CNRS et à  ses partenaires directs, on attend ses conclusions avec impatience...

Partage

page 3 de 3 -