La science, la cité

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Alerte pour les lanceurs d'alerte !

Le lanceur d'alerte, c'est ce personnage ou ce groupe, doté d'une faible légitimité ou lié à  des instances autorisées, qui se dégage de son rôle officiel pour lancer un avertissement à  titre individuel et selon des procédures inhabituelles. L'alerte est un processus plus ou moins long et tortueux, situé entre l'appel au secours et la prophétie de malheur. Le lanceur d'alerte doit payer de sa personne pour faire passer son message car lancer une alerte consiste à  aller contre l'ordre établi, à  "réveiller" des agents absorbés par la routine et naturellement enclins à  dédramatiser les évènements[1].

Aujourd'hui, ces lanceurs d'alerte sont plus que jamais nécessaires. Et pourtant, ils sont menacés. Vous vous souvenez de Christian Vélot ? Maître de conférences en génétique moléculaire à  l'université Paris sud et responsable d'une équipe de recherche à  l'Institut de génétique et microbiologie, il anime depuis 2002 sur son temps personnel de nombreuses conférences à  destination du grand public sur le thème des OGM. Ses prises de position lui valent aujourd'hui de nombreuses pressions matérielles : confiscation de la totalité de ses crédits pour 2008, privation d'étudiants stagiaires, menace de déménagement manu militari, et décision arbitraire de non renouvellement de son contrat. Vous connaissez Pierre Méneton ? Chargé de recherche à  l'INSERM au sein du département de Santé publique informatique médicale (SPIM) de Jussieu, il est poursuivi en diffamation par le Comité des Salines de France et la Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est pour une phrase prononcée lors d'une interview pour le magazine TOC en mars 2006 : Le lobby des producteurs de sel et du secteur agroalimentaire industriel est très actif. Il désinforme les professionnels de la santé et les médias. Vous n'avez pas oublié André Cicolella ? Chercheur en santé environnementale, il fut en conflit avec les instances dirigeantes de l'INRS pour avoir révélé la dangerosité des éthers de glycol et licencié en 1994. Il n'a pas abandonné la lutte pour autant !

Comme les Etats-Unis avec le Whistleblower Act ou la Grande-Bretagne avec le Public Interest Disclosure Act, la France doit se doter d'un dispositif de protection des lanceurs d'alerte. Pendant la préparation du Grenelle de l'environnement, une mesure avait bien fait la quasi-unanimité dans les groupes de travail n°5 (p. 7) et n°3 : celle d'une loi de protection de l'alerte et de l'expertise, avec la création d'une Haute Autorité, qui soit une sorte de CNIL de l'alerte et de l'expertise. Pourtant, cette proposition n'est pas reprise dans le document préparatoire remis par le gouvernement aux négociateurs du Grenelle !

C'est pour porter à  nouveau cette question que la Fondation Sciences Citoyennes et le GIET, au nom de l'Alliance pour la planète, organisent une table-ronde à  Paris le lundi 22 octobre, de 10h à  12h30 (au FIAP : 13, rue cabanis, Paris 14e, métro Glacières ou St Jacques). Christian Vélot, Pierre Méneton, André Cicolella, Jacques Testart, Etienne Cendrier, Jean-Pierre Berlan et d'autres viendront témoigner des difficultés auxquelles ils font face, et de la nécessité de doter les lanceurs d'alerte d'un statut les protégeant.

(full disclosure : Je suis adhérent de la Fondation sciences citoyennes)

Mà J 26/10 : Pour compléter ce billet, je signale un article paru dans Libération le même jour et une interview de Christian Vélot par la web TV non-officielle du Grenelle de l'environnement.

Notes

[1] Ce paragraphe doit tout à  l'introduction du livre de Didier Torny et Francis Chateauraynaud, Les sombres précurseurs, une sociologie pragmatique de l'alerte et du risque, éditions de l'EHESS, 1999.

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Quelques manifestations à  venir...

Cela fait longtemps que je ne vous ai pas tenu au courant de manifestations à  venir concernant la vulgarisation, la communication scientifique ou la science citoyenne.

Du 13 septembre au 13 décembre, la Fondation Sciences citoyennes (avec le soutien du Monde, du Monde diplomatique, de Politis et tant d'autres) organise à  Paris les Dialogues sciences-planète, qui se veulent une université citoyenne des savoirs pour explorer les scénarios d'une planète vivable en 2030. Parmi les sept soirées prévues, mes centres d'intérêt me portent particulièrement vers les suivantes :

  • "Se réconcilier avec le vivant" (jeudi 25 octobre), animé par le journaliste du Monde Hervé Kempf et accueillant Denis Couvet (Muséum), Bernard Hubert (Inra) et Marc Dufumier (AgroParisTech) ;
  • "Santé, savoirs et innovations comme biens communs globaux" (jeudi 15 novembre), qui pose la question du pilotage de l'innovation au-delà  du marché et des brevets ;
  • "Quel pilotage démocratique de la recherche à  l'échelon national et international ?" (jeudi 13 décembre) avec comme intervenants Bernard Chevassus-au-Louis (Inra), Christophe Bonneuil (Centre Koyré) et Nicole Dewandre (DG Recherche de la Commission européenne).

J'essaierai d'y être, et à  défaut je lirai la transcription des débats qui sera mise en ligne !

Du 8 au 10 novembre se tiendra à  Strasbourg un workshop du programme européen EARTHWAKE qui vise à  promouvoir la place de la science dans les programmes télévisuels. Après avoir exploré comment on peut développer avec succès des exemples de sujets scientifiques dans une œuvre non scientifique, le workshop ambitionne de présenter un paquet unifié de recommendations montrant comment ces innovations en communication pourraient trouver un soutien au niveau européen, national et local. Mais on lit aussi :

A la différence des contenus scientifiques télévisuels qui s'adressent souvent à  un public conquis d'avance, EARTHWAKE reflète la nouvelle philosophie de la "science en société", introduisant plus de science dans les programmes de fiction dramatique, les documentaires animaliers et le sport, qui attirent une audience très forte.

Réduire le paradigme de la "science en société" à  cela, ça fait mal. Je rigolerais bien si je n'avais peur d'être inconvenant...

Par contre, via Beverycool, je découvre l'alléchant Salon de la vulgarisation, qui aura lieu pour la première fois à  Paris du 30 novembre au 2 décembre (entrée libre). Je m'y promènerai avec un T-shirt du C@fé des sciences le vendredi, n'hésitez pas à  venir me saluer si vous m'apercevez !

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Chercheurs et grand public, un échange à  double sens

J'ai déjà  rapporté mon expérience de débat public sur les nanotechnologies qui a suffit à  me convaincre que, non, rapprocher les chercheurs de la société ne signifie pas uniquement faire preuve de pédagogie et expliquer ce que l'on fait dans les laboratoires. Il s'agit avant tout d'ouvrir un débat, les uns ayant autant à  apprendre des autres.

Evidemment, cette idée n'est pas ancrée dans les comportements des chercheurs, comme le montre un récent sondage de la Royal Society ; à  la question "Que signifie pour vous s'engager auprès du grand public ?", voici ce que répondent les chercheurs britanniques interrogés :

  • 34% = informer, expliquer, promouvoir la connaissance scientifique
  • 15% = expliquer les implications, la pertinence, l'utilité et la valeur de la recherche
  • 13% = écouter, comprendre le grand public, impliquer les gens dans la science, débattre à  propos de la science, prendre des décisions fondées sur la science
  • 13% = parler en public, intervenir lors de conférences ou démonstrations
  • 10% = passer par les médias
  • 10% = expliquer le processus scientifique, ce qu'on y fait et pourquoi, les limitations
  • 9% = intervenir dans les écoles, auprès du jeune public
  • 7% = c'est important et vaut le coup
  • (…)
  • 4% = corriger la mauvaise presse, les préjugés
  • 3% = cela ne signifie pas grand chose
  • (…)

En fait, tous ces aspects sont également importants ; mais le numéro 3 ne mérite pas, à  mes yeux, ses maigres 13%... Il y a décidément encore beaucoup de travail pour faire évoluer les mentalités des chercheurs...

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La méthode scientifique en paroles et en actes

Il est intéressant de flâner sur les forums pour comprendre comment les scientifiques débattent avec des non-scientifiques : sans généraliser à  outrance, nous pouvons constater qu'ils réclament des preuves de l'habilitation de la personne à  parler de ce dont elle parle ("Puis-je savoir dans quel domaine de recherche travaillez-vous et a quel poste svp?"), des références bibliographiques venant appuyer toute affirmation ("Pourriez-vous indiquer quelques références sur les liens entre Révolution et technique?"), ils fuient comme la peste les généralisations abusives ("Soyez précis. Donnez des exemples.") et réclament à  corps et à  cris des démonstrations scientifiques ("Pour faire avancer le schmilblick, encore faut il ne pas faire passer des spéculations pour des quasi-vérités"). Il est difficile de leur en vouloir : c'est qu'on n'échappe pas facilement à  sa condition (et son statut) de scientifique !

Par contre, il est triste de constater que ces paroles et bonne intentions pour poser un débat sain et constructif ne sont pas toujours suivies d'actes... Ainsi, un modérateur pointilleux fait remarquer :

Il y a déja eu plusieurs avertissements sur la tenue de ce "débat". Jusqu'à  present la preuve est faite qu'il est impossible de discuter des OGM sans entrer dans des débats d'opinions qui n'ont rien de scientifiques. A vous de prouver le contraire.

Le voici réclamant donc un débat scientifique... en faisant de la prose pseudo-scientifique ! En effet, il dit avoir la preuve que, jusqu'à  présent, il est impossible de discuter des OGM sans entrer dans des débats d'opinions. Or ce n'est pas une preuve qu'il a, mais une conjecture fondée sur des (nombreuses ?) observations, qui n'attend qu'à  être mise à  l'épreuve par une expérimentation digne de ce nom. Ou par un simple contre-exemple, comme il nous invite à  en apporter !! Une vraie preuve, elle, serait un élément déterminant de la réflexion qui ne souffrirait pas un contre-exemple.

Pour l'exprimer autrement, on peut faire le parallèle avec l'histoire des cygnes : ce n'est pas parce que je n'ai jamais rencontré de cygnes noirs que j'ai la preuve qu'ils n'existent pas. Je peux juste faire la conjecture -- qui semble valide jusqu'à  présent -- que tous les cygnes sont blancs, en attendant de la valider ou de l'invalider d'une manière ou d'une autre !

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Nanomonde : entre science et fiction. Quels acteurs, discours et enjeux ?

Je retiens plusieurs choses du débat public organisé par Vivagora jeudi dernier. Sur la forme :

  • il n'est jamais facile de modérer/animer un tel débat, et de trouver le bon équilibre entre didactisme et échange d'idées, tout en évitant le dialogue de sourds ;
  • il y a le problème des participants qui contestent le sujet et/ou les termes même du débat ;
  • il est difficile de se tenir au sujet du débat, celui-ci ayant en l'occurence débouché sur "Nanotechnologies, quels choix technologiques pour quelle société ?" alors qu'il s'agissait du thème général des six séances de débat.

Sur le fond, j'ai été horrifié par la prétention des scientifiques et chercheurs invités ("Je maîtrise le sujet"), alors que la science est une école de l'humilité et de la patience. Etonné aussi, par le décalage entre leur discours naïf ("La science ne promet rien, voici ce que nous faisons concrètement dans nos laboratoires") et leur comportement (les promesses étant le fond de commerce qui garantit les bourses de recherche, l'intérêt des politiques etc.).

Après avoir assisté à  un tel débat et avoir vu la démocratie scientifique en action, il est frappant de tomber par hasard sur ce communiqué de Cordis :

L'on ne dispose pas, pour le moment, de preuves suffisantes pour dire si les nouvelles applications des nanotechnologies dans le secteur agroalimentaire seront bien acceptées par les consommateurs. Toutefois, l'expérience tirée des aliments génétiquement modifiés laisse penser que convaincre les consommateurs des mérites de techniques alimentaires qu'ils ne comprennent pas pleinement pourrait représenter un défi considérable. (C'est moi qui souligne)

N'est-il pas rétrograde et naïf que de croire encore à  une science qui ne viendrait que d'en haut, distribuée par des chercheurs tout-puissants à  un public ignorant qu'il faudrait absolument éduquer ?

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