La science, la cité

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Mot-clé : vulgarisation

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Chronique britannique 5 : festival de science

Edimbourg ne compte même pas 500.000 habitants mais possède quatre universités, une large frange d'étudiants et plus de diplômés d'université par habitant que n'importe quelle autre ville européenne (d'après Wikipédia). Ce n'est donc pas étonnant que la ville organise chaque année au mois d'avril le plus vieux festival de science au monde et le plus grand d'Europe. Malheureusement pour moi j'étais en déplacement les week-ends en question et j'ai dû me contenter d'un programme serré pendant la semaine, mais ô combien satisfaisant.

D'abord, j'ai participé àune visite guidée de l'herbier du Royal Botanic Garden of Edinburgh. Je suis un grand amateur des collections en général et de la botanique en particulier, imaginez donc mon admiration face aux rangées d'armoires plus hautes que moi. Le clou du spectacle ? Ce spécimen de séneçon ramené par Charles Darwin de son voyage sur le Beagle, qui a longtemps dormi àGlasgow avant d'être transféré àEdinburgh avec le reste des collections.

Spécimen de séneçon (nommé ultérieurement Senecio darwinii) ramené du Chili par Charles Darwin, àl'occasion de son voyage sur le Beagle. Il fut envoyé àWilliam Jackson Hooker de l'herbier de Glasgow (le père d'un ami fidèle de Darwin) et prêté définitivement àEdinburgh, en même temps que toute la collection de Glasgow, en 1965.

Ensuite, j'ai assisté àune conférence d'Ottoline Leyser, membre de la Royal Society et professeur àl'Université de York, sur le thème des hormones végétales. Avec un vrai talent de raconteuse, elle a tenté de nous faire "penser comme un légume", avec toutes les incongruïtés que cela comprend pour nous humains : les sensations sont différentes mais également la manière d'y répondre et de s'adapter àson milieu. Où il apparaît que les plantes ne sont pas ces êtres figés qu'il paraît, mais fortes de nombreuses ressources.

Enfin, quelle autre ville permet en l'espace d'une heure et demi de voir la maison depuis laquelle Walter Scott se rendait àl'école, la maison où vécut Arthur Conan Doyle quand il étudiait la médecine, l'école de médecine que fréquenta Charles Darwin et une formation géologique qui inspira James Hutton, le père de la géologie moderne ? Aucune, c'est pour cela que je ne pouvais passer àcôté d'une visite guidée àla découverte d'Edimbourg secrète. Et puisque c'est l'année Darwin, j'ai été heureux d'apprendre que l'homme avait certes abandonné la carrière médicale qui s'ouvrait àlui (il ne supportait pas la vue du sang) mais qu'àEdimbourg, il rencontra John Edmondstone qui allait le marquer àvie et qu'il discuta longuement avec Robert Edmond Grant, làencore avec le résultat que l'on sait !

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Chronique britannique 2 : la science à  la télévision

Samedi 7 février, 20h00, je zappe à  la télévision en quête d'un film à  regarder en ce début de soirée et je tombe sur un documentaire du grand vulgarisateur David Attenborough, racontant pour le grand public les tenants et les aboutissants de la théorie de l'évolution.

Dimanche 15 février à  11h50, je zappe à  nouveau et je tombe sur l'émission cinéma de Jonathan Ross, qui raconte le tournage en cours du téléfilm Creation produit par la BBC. Dans le rôle du grand Charles, Paul Bettany, et dans celui de Mme Darwin... sa femme à  la ville, Jennifer Connelly. Du beau monde pour une production à  suivre !

Dimanche 15 mars, 18h45, je zappe toujours et je tombe sur un documentaire parlant de Thomas Huxley (le "bulldog de Darwin") et montrant comment la fertilisation croisée de deux plants engendre une progéniture plus robuste et fertile qu'une auto-pollinisation. Il s'agit d'un épisode de la série Jimmy Doherty in Darwin's garden, co-produite par la BBC et l'Open University, qui se propose de marcher sur les pas de Darwin.

Mardi 17 mars, l'heure de se mettre à  table, en passant d'un chaîne à  l'autre je tombe sur un numéro de la série documentaire "Darwin's Dangerous Idea" consacré aux usages politiques de la théorie darwinienne. Le titre de la série est un hommage à  Daniel Dennett mais elle est présentée par Andrew Marr, un Ecossais !

Et ce n'est pas tout, de nombreuses autres émissions et reportages sont prévus dans les semaines et mois à  venir. Certes, nous sommes l'année Darwin et le cher homme était anglais. Mais ça n'explique pas tout, car la science abonde à  la télévision britannique de toutes façons ! On ne s'étonnera alors pas que je me sente si bien ici mais on risque de ne pas me croire si j'affirme que finalement, je ne regarde presque pas la télévision !

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Dans le cerveau d'un chercheur

Encore et toujours, je me demande comment montrer la science telle qu'elle se fait. Là  où je l'avais laissée, ma réflexion consistait à  dire que montrer la science en train de se faire, en chair et en os (c'est-à -dire dans un musée, un cours ou un atelier), ne peut se faire qu'au niveau macroscopique (celui des institutions, de la communauté des scientifiques, des pratiques de recherche…) plutôt que dans le cadre restreint d'un laboratoire ou d'une expérience particuliers, qui ne sont que des reconstructions faussées ou trompeuses. Concernant les documentaires filmés, la chose était entendue : si le chercheur met en scène son savoir à  travers quelques coulisses comme son laboratoire, son équipe, son terrain expérimental ou ses bailleurs de fonds pour mieux nous expliquer ce qui en sort et les connaissances qu'il en tire, alors nous sommes en présence d'une science déjà  faite, tandis que la science en train de se faire mettrait en avant l'incertitude intrinsèque au travail scientifique, la contingence de la construction des savoirs et les traductions permettant d'enrôler des alliés pour clore les controverses. J'esquissais d'autre part une distinction entre la science en train de se faire et la science inachevée.

En regardant "La vie après la mort d'Henrietta Lacks" (une allusion à  la lignée cellulaire Hela utilisée dans les laboratoires du monde entier), ces lignes se sont un peu déplacées : un film documentaire peut aussi témoigner d'une recherche en cours s'il nous met face à  un bout de recherche, sans début ni commencement, sans "problématique initiale" et "éclaircissement final". Ou sinon, on frôle la reconstruction a posteriori et le jugement de l'histoire : même si la captation a été faite sur le moment, le montage du film est nécessairement biaisé par cette apparente linéarité et le réalisateur échappe difficilement au confortable synopsis baconien qui lui est offert.

C'est précisément ce que réussit ce film, qui donne à  voir un jeune chercheur en proie aux affres de ses expériences de culture cellulaire et qui met en scène ses pensées, sa méthode de travail et sa vision du monde par des analogies muettes très bien faites (structure d'un bâtiment, comportement d'une foule, mouvements lors d'une nuit de sommeil, changement de la lumière d'un paysage au cours de la journée…). En quelques mots bien sentis, le personnage du film nous fait aussi toucher du doigt la substance du travail du chercheur :

En permanence le chercheur il doute, de ce qu'il voit, de son interprétation, et ses doutes sont alimentés par ses observations. Et il y a une interaction permantente entre le réel qu'il observe et l'imaginaire qu'il a en lui.

Au final, on saisit tout juste sur quoi porte son sujet de recherche (la division et les efforts mécaniques de la cellule) et surtout, on ignore sa problématique scientifique exacte et son cheminement intellectuel. Seule une mention écrite à  la fin du film vient nous rappeler quels sont les enjeux :

Un an plus tard, Manuel et son équipe parviennent à  définir les lois qui régissent la division cellulaire. Leurs résultats sont publiés dans la revue "Nature Cell Biology".

On n'est pas dans la "science en train de se faire" façon Bruno Latour, qui vise à  comprendre l'efficacité des sciences (une efficacité qui se juge aussi hors de l'univers des communautés savantes), à  saisir comment des pratiques de laboratoire en viennent à  devenir des vérités socialement acceptées, comment elles en viennent à  faire advenir un nouveau monde (un monde plein de microbes par exemple), à  peser sur lui et à  le transformer (Dominique Pestre, Introduction aux Science studies, Paris : La Découverte, coll. "Repères", 2006, p. 46).}} Point de leçon de sociologie des sciences ici, surtout un témoignage ethnologique : comme un documentariste animalier filmerait un lion dans la savane, Mathieu Thery filme son frère doctorant en continu et nous montre ici une alternance de moments forts (lorsque le problème des cultures cellulaires devient critique et que seule compte sa résolution) ou faibles (la descente dans la pièce blanche où se font les expériences) de son travail/vie. C'est pour quoi je préfère le terme de "recherche en cours", que j'opposerai désormais aux notions de "science en train de se faire" et de "scinece inachevée".

A la suite de ce court-métrage réussi, le mouvement "Sauvons la recherche" est venu chercher Mathias Thery pour pousser l'expérience un peu plus loin et réaliser un long-métrage montrant le chercheur au travail. Il a fixé son choix sur Stéphane Douady, dont le sujet de recherche a l'avantage d'être extrêmement porteur pour un cinéaste et son public : le chant des dunes. Le résultat, "Cherche toujours", a été encensé après être passé sur Arte et sera montré mercredi 25 février à  13h à  l'amphithéâtre de l'EHESS, 105 Bd Raspail (entrée libre et gratuite). Laquelle projection sera suivie d'une discussion en présence de Mathias Thery, Stéphane Douady et quelques autres.

Ces deux films présentent la particularité d'être agrémentés d'interludes et de visions poétiques, qui viennent compléter le témoignage brut sur le travail du chercheur et illustrent, à  mon avis, combien il façonne son rapport au monde et aux autres. Sans ces passages, le film donnerait à  voir quelque chose mais manquerait de sens. Grâce à  eux, il nous est donné de véritablement rentrer dans le cerveau d'un chercheur, le temps d'un bout de ses recherches. Renvoyant ainsi dans les cordes ceux pour qui ça ne présente strictement aucun intérêt de montrer un chercheur au travail et ça n'intéresse personne.

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Science en train de se faire ou science inachevée ?

Lorsque j'ai publié en mai un embryon d'article s'interrogeant sur comment montrer la science en train de se faire, j'avais une idée très claire mais finalement lacunaire de cette problématique. Heureusement, Matteo Merzagora déposa un commentaire avec des suggestions de lecture concernant la muséologie. Comme je le racontais dans ma présentation à  la soirée "Science 2.0", j'ai suivi ces recommandations, j'ai pu amender l'article en conséquence ainsi qu'à  la lumière des discussions avec les autres commentateurs, et le soumettre à  la revue Alliage.

Une nuance qui m'avait ainsi échappée et dont j'ai pu prendre connaissance dans ces références concerne la notion de science en train de se faire. En effet, la muséologie l'a abordée d'une autre façon que la sociologie des sciences et s'est demandée ce qu'on cherchait à  montrer par là  exactement. S'agit-il de mettre l'accent sur les moyens par lesquels des conclusions scientifiques ont été obtenues plutôt que sur le contenu de ces conclusions ou bien s'agit-il de raconter la science chaude, sur laquelle les chercheurs n'ont pas fini de statuer et qui éveille un intérêt légitime au sein du grand public ? Dans le premier cas, John Durant[1] parle de science en train de se faire (science in the making) et dans le second de science inachevée (unfinished science).

Ainsi, quand EL mentionne le téléfilm de la BBC Life Story retraçant la découverte de la structure de l'ADN, lequel met parfaitement à  jour les incertitudes de cette science en train de se faire malgré que l'on en connaisse le dénouement, c'est bien à  la science en train de se faire qu'il pense. Quand Jean-Marc Lévy-Leblond[2] explique qu'à  l'opposé de toutes les images d'Epinal, qui montrent la recherche scientifique comme un archétype de travail méthodique, conquête systématique et contrôlée de l'inconnu, c'est l'errance et la contingence qui y sont la règle, c'est aussi de la science en train se de se faire qu'il parle.

Par contre, quand l'exposition "Passive smoking" présentée de janvier à  mars 1993 au London Science Museum propose force description de la controverse scientifique autour du tabagisme passif, du poids des lobbies, de l'enjeux économique ainsi que des publications scientifiques existantes (toutes disponibles pour les visiteurs à  la bibliothèque du musée), elle montre une science encore inachevée.

Cette seconde approche a l'avantage d'échapper au piège de l'histoire jugée au regard des connaissances d'aujourd'hui, laquelle aide rarement à  comprendre, à  saisir les difficultés et les jugements qui président au travail scientifique, à  donner sens aux choix de la science au moment où elle est en train de se faire[3]. A la place, elle propose une incertitude radicale qui force l'attention des gens sur les processus de production des connaissances scientifiques et met les chercheurs et les citoyens sur un même pied d'égalité face à  l'incertitude, pour ne leur laisser d'autre choix que d'explorer les divers points de vue offerts et ensuite de se faire un avis sur la question du mieux possible[4]. Et comme elle aborde souvent des problématiques pertinentes par rapport à  l'actualité, elle contribue à  l'appropriation ou la critique citoyenne de ses retombées futures.

Voici comment, à  la suite d'une excursion au sein d'une discipline peu familière, on peut appréhender une distinction utile et souvent occultée — laquelle devrait resservir encore souvent !

Notes

[1] John Durant (2004), "The challenge and the opportunity of presenting "unfinished science"", in David Chittenden, Graham Farmelo et Bruce V. Lewenstein (dir.), Creating Connections: Museums and the Public Understanding of Current Research, Walnut Creek : Altamira Press, pp. 47“60

[2] Jean-Marc Lévy-Leblond (2003) [2000], "Le chercheur, le crack et le cancre", in Jean-Marc Lévy-Leblond, Impasciences, Paris : Le Seuil, pp. 23“24

[3] Dominique Pestre (2006), Introduction aux Science studies, Paris : La Découverte, coll. "Repères", p. 40

[4] John Durant (2004), "The challenge and the opportunity of presenting "unfinished science"", in David Chittenden, Graham Farmelo et Bruce V. Lewenstein (dir.), Creating Connections: Museums and the Public Understanding of Current Research, Walnut Creek : Altamira Press, pp. 47“60

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Lecture hivernale : le "Bestiaire amazonien" de François Feer

Paru en octobre dernier chez Le Dilettante, le Bestiaire amazonien de François Feer est un livre inclassable, à  la fois roman (illustré), recueil poétique et monographie. Cette galerie de portraits animaliers mérite son nom de bestiaire amazonien, mais offre bien plus : l'auteur nous fait entendre le son du singe hurleur (ou alouate), sentir l'odeur alliacée du pian et le frôlement du fer de lance à  lunettes (une chauve-souris)… Son ton poétique et tendre l'éloigne d'une Encyclopédie du savoir relatif et absolu façon Bernard Werber et le rapproche d'un Conrad Gessner et son Historia animalium. L'auteur, incontestablement, possède une vraie voix :

L'alouate est un singe dit "hurleur" comme la mouette est rieuse et le canard laqué. Hurler est sa vocation, sa vocalise première, une seconde nature, un cri primal, un sacerdoce incontournable, une mission sacrée. Les hurleurs hurlent, les vaches ruminent, les poules pondent et les moines font du fromage, c'est comme ça et personne ne peut rien contre. (p. 22)

François Feer écrit avec verve et met les images au service des concepts. Il présente des savoirs zoologiques et éthologiques établis mais nous fait aussi toucher du doigts des discussions de biologiste plus profondes, mentionne Freud (l'inventeur de la psychanalyse) et Darwin (l'inventeur de l'évolution) dans la même phrase, accumule les références à  Claude Lévi-Strauss, Alexander von Humboldt et le comte de Buffon et se paye quelques institutions du monde scientifique :

Le nombril ne sert à rien, comme l'appendice, les dents de sagesse ou l'Académie des sciences. (p. 48)

Comme dans l'équipage d'un navire de commerce, une hiérarchie basée sur l'âge et l'expérience en mer s'établit naturellement [chez Homo sapiens explorans]. Les vieux loups de mer transmettent à  la jeune garde les récits de leurs exploits ainsi que la saga des ancêtres, ce dont bien sûr ils se foutent complètement. (p. 184)

A peine né, l'explorans fermente dans la matrice chaude et humide de la forêt ; il commence à échafauder des théories sur le pourquoi et le comment des choses. Il le fait avec d'autant plus d'aisance que les données restent rares et qu'il n'y a pas grand monde pour aller vérifier. (p. 187)

On sent le scientifique incongru, mélange entre Jean-Henri Fabre (pour la marginalité des sujets de recherche) et Boby Lapointe (pour le côté scientifique et poète). Chercheur au CNRS et Muséum national d'histoire naturelle, nul doute qu'il sort ici des sentiers arides de la publication académique pour se faire plaisir et retrouver cet émerveillement qui caractérise tout chercheur.

Tout est parfaitement exact (pour autant que j'aie pu en juger), hormis une erreur malencontreuse (dessin intelligent au lieu de dessein intelligent). Le lecteur peut donc enrichir ses connaissances sur la faune amazonienne, tout en s'offrant un bon plaisir de lecture rehaussé par les illustrations évocatrices de Dupuy-Berberian, auteurs de bande dessinée fêtés à Angoulême à la fin du mois et habitués des éditions "Le Dilettante".

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