La science, la cité

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Recherche

Votre recherche de le Marec a donné 10 résultats.

Mes lectures de sociologie des sciences

Je suis fasciné par les bibliothèques, je ne vous le cache pas. Alors j'aime cette idée de partager avec vous mes livres consacrés à  la science et les questionnements qui la concernent. Une sorte de témoignage personnel sur mes lectures mais également, je l'espère, un guide de lecture pour les plus novices. On commence avec les livres déjà  lus :

De droite à  gauche :

  • Les Dossiers de La Recherche, "Sciences à  risque", février-avril 2007, n° 26
  • Bruno Latour, L'espoir de Pandore, La Découverte, coll. "Poche", 2007 (1ère édition 1999)
  • Catherine Allamel-Raffin et Jean-Luc Gangloff, La raison et le réel, Ellipses, coll. "Champs philosophiques", 2007 ” un livre de philosophie par deux enseignants de mon Master
  • Bruno Latour, Nous n'avons jamais été modernes, La Découverte, coll. "Poche", 1997 [1991]
  • Bruno Latour, Le métier de chercheur, Inra éditions, coll. "Sciences en question", 2001 ” dont Fr. écrit : excellentissime, de loin son texte qui m'a le plus marqué
  • Bruno Latour, Pasteur : guerre et paix des microbes suivi de Irréductions, La Découverte, coll. "Poche", 2001 [1984]
  • Pascal Lapointe et Josée Nadia Drouin, Science, on blogue !, Editions Multimondes, 2007 ” le premier livre sur le sujet, incontournable
  • Michel Callon (dir.), La science et ses réseaux, La Découverte, coll. "Textes à  l'appui", 1988

  • Valérie Peugeot, Pouvoir savoir, C&F éditions, 2005 ” un livre que j'ai lu quand je m'intéressais à  la question des droits de propriété intellectuelle
  • Daniel Raichvarg, Sciences pour tous ?, Gallimard, coll. "Découvertes", 2005
  • Alan F. Chalmers, Qu'est-ce que la science ?, Le livre de poche, coll. "Biblio essais", 1987 [1976] ” un livre qui a reçu l'assentiment de Pablo : la meilleure présentation que je connaisse des théories épistémologiques
  • Terry Shinn et Pascal Ragouet, Controverses sur la science, Raisons d'agir, coll. "Cours et travaux", 2005 ” je le citais dans mon billet sur l'affaire Sokal
  • Nicolas Witkowski, Une histoire sentimentale des sciences, Editions du seuil, coll. "Points sciences", 2003 ” un très beau livre pour mettre la science en culture
  • Colin Ronan, Histoire mondiale des sciences, Editions du seuil, coll. "Points sciences", 1988 [1983] ” une référence classique mais utile
  • Bruno Latour, Petites leçons de sociologie des sciences, Editions du seuil, coll. "Points sciences", 1996 [1993] ” j'en offrais un extrait dans ce billet
  • Nelson Goodman, Manière de faire des mondes, Gallimard, coll. "Folio essais", 2006 [1978] ” une comparaison entre les approches de l'artiste et celles du scientifique, qui m'a tenu relativement en échec
  • Paolo Rossi, Aux origines de la science moderne, Editions du seuil, coll. "Points sciences", 2004 [1999] ” un excellent vademecum sur la naissance de la science moderne et ses institutions, pratiques

  • Jean-Paul Gaudillière, La médecine et les sciences, La Découverte, coll. "Repères", 2006 ” une synthèse indispensable par un des meilleurs chercheurs contemporains en histoire des sciences médicales
  • Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, La Découverte, coll. "Repères", 2006 ” une autre synthèse indispensable par un autre chercheur de référence
  • Giovanni Busino, Sociologie des sciences et des techniques, PUF, coll. "Que sais-je ?", 1998 ” un livre qui joue son rôle dans cette collection bien connue, ni plus ni moins
  • Emile Guyénot, L'origine des espèces, PUF, coll. "Que sais-je ?", 1961 ” une trouvaille de bouquiniste, assez vieillotte, qui a utilement complété ma lecture de Darwin
  • Joà£o Caraça, Science et communication, PUF, coll. "Que sais-je ?", 1999 ” un livre méconnu qui aborde des thématiques qui me sont chères, que j'ai cité abondamment dans ce billet
  • Harry Collins et Trevor Pinch, Tout ce que vous devriez savoir sur la science, Editions du seuil, coll. "Points sciences", 2001 [1993] ” un livre de deux fameux sociologues des sciences qui gagnerait à  être enseigné dans tous les lycées, que j'ai cité dans ce billet et qui m'a bien servi dans mon billet sur les preuves de la relativité
  • Jean-Marc Lévy Leblond, La pierre de touche, Gallimard, coll. "Folio essais", 1996 ” un autre livre qui m'est cher, par son érudition et sa diversité (c'est un recueil), dont je me suis servi pour ce court billet
  • Jà¼rgen Habermas, La technique et la science comme "idéologie", Gallimard, coll. "Tel", 2005 [1968] ” une recommandation de Fr., dont je n'aurai pas la prétention de dire que j'ai tout compris mais qui m'a fourni la matière à  un "Trouvez l'auteur"
  • Georges Lochak, Défense et illustration de la science, Ellipses, 2002 ” le livre d'un physicien vieille école qui m'a profondément énervé, même si cela ne se voit pas dans ce billet !
  • Jean-Marc Lévy-Leblond, La science en mal de culture, Futuribles, coll. "Perspectives", 2004 ” très cher pour pas beaucoup d'idées neuves
  • Pierre-Gilles de Gennes, Petit point, Le Pommier, 2002 ” un petit livre touchant sur le milieu de la recherche, dont j'ai fait l'éloge chez David Monniaux
  • Frédérique Marcillet, Recherche documentaire et apprentissage, ESF éditeur, coll. "Pratiques & enjeux pédagogiques", 2000 ” ce livre et les suivants m'ont servi pour mettre au point mon atelier sur la science dans la bibliothèque
  • L'Ecole des lettres des collèges, "Quel CDI voulez-vous ?", numéro spécial, 1996
  • L'Ecole des lettres des collèges, "Les textes documentaires au collège", n° 12, avril 1999
  • Isabelle Pailliart (dir.), La publicisation de la science, Presses universitaires de Grenoble, coll. "Communication, médias et sociétés", 2005 ” seule la contribution de Joà«lle Le Marec, que je citais dans ce billet sur la co-construction des savoirs, m'a vraiment marqué
  • Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, coll. "Champs", 1983 [1962]

On reprend avec deux minces brochures :

  • François Briatte, "Un stigmate épistémologique. Le relativisme dans le strong programme de David Bloor" et "Entretien avec David Bloor", Tracés, n° 12, 2007 ” tiré à  part offert par l'auteur ;-)
  • Edgar Pisani, Ingénieurs, Hommes, Citoyens, discours de remise des diplômes des élèves de l'Institut national agronomique Paris-Grignon, 2005
  • Daniel Raichvarg, Louis Pasteur, l'empire des microbes, Gallimard, coll. "Découvertes", 2003 [1995]
  • René Dubos, Louis Pasteur, franc-tireur de la science, La Découverte, 1995 [1950]
  • Bruno Latour, Chroniques d'un amateur de sciences, Presses des Mines de Paris, coll. "Sciences sociales", 2006 ” voir mon compte-rendu de lecture
  • Alliage, "L'écrit de la science", n° 37-38, 1998
  • Francis Agostini (dir.), Science en bibliothèque, Editions du cercle de la librairie, coll. "Bibliothèques", 1994
  • Sciences de la société, "Sciences et écriture", n° 67, 2006
  • Genesis, "Ecriture scientifique", 2003
  • Cahiers pédagogiques, "Expérimenter", n° 409, 2002

Puis viennent les livres à  lire ou relire :

  • Bruno Latour, La science en action, Gallimard, coll. "Folio essais", 1995 [1987]
  • Jacques Bouveresse, Prodiges et vertiges de l'analogie, Raisons d'agir éditions, 1999
  • Alan Sokal et Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Le livre de poche, coll. "Biblio essais", 1997
  • Helen E. Longino, Science as social knowledge, Princeton University Press, 1990
  • Joseph E. Harmon et Alan G. Gross, The scientific literature, The University of Chicago Press, 2007
  • Dominique Lecourt, Dictionnaire d'histoire et philosophie des sciences, PUF, coll. "Quadrige", 2006 [1999]
  • Marianne Doury, Le débat immobile, Editions Kimé, 1997
  • Jean-Michel Berthelot, Figures du texte scientifique, PUF, coll. "Science, histoire et société", 2003
  • Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification, NRF, coll. "Essais"

  • Observatoire des sciences et des techniques, Les chiffres clés de la science et de la technologie, Economica, coll."Economie poche", 2003
  • Michel Cotte, De l'espionnage à  la veille , Presses universitaires de Franche-Comté, 2005
  • Jean-Michel Berthelot, Olivier Martin et Cécile Collinet, Savoirs et savants, PUF, coll. "Science, histoire et société", 2005
  • Bernadette Bensaude-Vincent, La science contre l'opinion, Les empêcheurs de penser en rond, 2003 [1999]
  • Jean-Pierre Astolfi et Michel Develay, La didactique des sciences, PUF, coll. "Que sais-je ?", 2005
  • Pierre Laszlo, La découverte scientifique, PUF, coll. "Que sais-je ?", 1999
  • Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes suivi de Discours sur les sciences et les arts, GF Flammarion, 1992
  • Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, GF Flammarion, 1996
  • Bruno Latour et Steve Woolgar, La vie de laboratoire, La Découverte, coll. "Poche", 1996 [1979]
  • Jean Fourastié, Les conditions de l'esprit scientifique, Gallimard, coll. "Idées NRF", 1966
  • Martine Comberousse, Histoire de l'information scientifique et technique, Armand Colin, coll. "128", 2005 [1999]
  • Michel de Pracontal, L'imposture scientifique en dix leçons, Editions du seuil, coll. "Points sciences", 2005 [1986]
  • Stephen Jay Gould, Darwin et les grandes énigmes de la vie, Editions du seuil, coll. "Points sciences", 1997 [1977]

Tous ces livres devraient être à  l'honneur lors du salon littéraire "Science et société" prévu les 15 et 16 novembre à  Sucy-en-Brie, même si les informations détaillées se font attendre…

Surtout, ce billet vient un peu refermer la porte de cette bibliothèque : après avoir soutenu mon Master de sociologie des sciences, je vais enfin pouvoir varier les lectures !

Partage

Retour sur le colloque CNRS "Science et société en mutation"

Vous vous souvenez du colloque "Science et société en mutation" organisé par le CNRS l'an dernier : depuis mon compte rendu à  chaud (partie 1, partie 2), les actes ont été publiés et Marcel Jollivet (sociologue) en profite pour revenir sur le déroulement et les enseignements de ce colloque avant tout conçu pour ouvrir le débat. Je retiens plusieurs choses.

La difficulté de situer le débat

Les conférences introductives ont rejeté pour de bon l'expression "science et société" pour la remplacer par l'expression "science en société" imposée par deux visions :

  • le savant fait partie du monde et de son époque et la société, tout comme la République, a besoin des savants d'où la science dans la société, la société soutenue par la science (vision classique)
  • la recherche scientifique est une activité de production de connaissance se situant dans un espace sociétal fondé sur une notion de la connaissance de portée plus générale (vision moderne).

Pourtant, rien n'était moins sûr dans la suite des échanges et aussi tôt chassée, la conception classique d'une science ayant à  faire passer son message dans la société revenait au galop. Aïe aïe…

L'impossibilité d'accepter les présupposés du débat

Si cette conception revenait sans cesse à  la charge, c'est notamment parce que les présupposés du débat étaient encore controversés. Selon les résultats de l'enquête présentée par Daniel Boy, 72% des chercheurs ne considèrent pas qu'il y a une crise entre la science et la société : un quart va même jusqu'à  estimer qu'il y a eu un progrès parce que la société est plus attentive. Pourtant, remarquait Joà«lle le Marec, c'est en postulant implicitement l'existence d'une [telle] crise (…) qu'on mobilise en permanence l'idée qu'il est absolument nécessaire de mieux communiquer, valoriser, vulgariser. Alors, crise ou pas crise ? Se mettre d'accord permettrait enfin d'avancer ensemble ou à  défaut, il faudrait découpler la question des rapports entre sciences et société de celle de la communication, de la vulgarisation, de la valorisation.

La nécessité de balayer devant sa porte

Un intervenant suggéra, peut-être pas si innocemment, que le CNRS serait mieux armé pour se situer dans les rapports sciences-société s'il améliorait la communication en interne entre "sciences dures" et "sciences douces". D'autant plus, ajoutait-il, que nous disposons pour ce faire d'outils scientifiques pertinents. Ainsi, les sciences de la complexité constituent-elles un instrument de dialogue aussi bien entre les scientifiques eux-mêmes qu'entre les scientifiques et les autres pans de la société. C'est en effet l'interdisciplinarité qui peut aider à  confronter dans une même démarche des disciplines qui produisent les connaissances sur les sociétés et (…) celles qui produisent les connaissances sur les phénomènes naturels, afin de ne pas reproduire la fracture entre sciences et société que le monde de la recherche cherche à  réduire… Et le cloisonnement du CNRS en instituts disciplinaires ne semble pas aller dans cette direction.

Partage

De l'autorité du scientifique

Récemment, Nicolas Sarkozy saluait Pierre-Gilles de Gennes, selon lequel l'autorité scientifique ne confère pas aux savants une autorité morale, ni une sagesse particulières, pour mieux regretter ensuite que cette autorité se trouve ébranlée au tant (sic) que toutes les autres formes d'autorité par une crise de défiance sans précédent. J'ai déjà  dit le mal que je pensais de cette pirouette permettant à  notre président de retomber sur les thèmes qui lui sont chers. J'ajoutais même en commentaire que poser la question de l'autorité du scientifique, pour parler de sa place au sein de la société, était relativement stérile et réducteur !

Le Collège de France ne m'a pas écouté et a organisé les 18 et 19 octobre son colloque de rentrée, intitulé... "De l'autorité" ! Tant mieux, c'est une occasion de revenir sur la question. Parmi les intervenants, Jean Bricmont, connu pour son scientisme forcené, ne dérogeait pas à  la règle (vidéo) : selon lui, la démarche scientifique met radicalement en question l'argument d'autorité, se différenciant ainsi d'institutions comme l'armée, la prêtrise etc. — mais le problème du scientifique est celui de l'arroseur arrosé, le grand public ayant été trop entraîné à  douter, surtout face à  des communautés privilégiées comme la communauté scientifique. Que faire de cette démarche sceptique du profane ? Il faut l'entretenir, d'autant que le scientifique possède deux atouts dans sa manche qui lui permettent d'être plus facilement cru que l'homme politique ou le philosophe : il accomplit des "miracles" par la technologie (électricité, lumière etc.) et ses théories concordent avec les observations.

Sauf que... Le second point est peu accessible au profane, comme Jean Bricmont le souligne lui-même, et peut largement se discuter à  la lumière de l'histoire des sciences[1]. Et le premier point se discute à  la lumière de la sociologie des techniques, où il apparaît que ce n'est pas tant la science qui réussit à  faire décoller un Boeing mais l'ensemble des réseaux socio-techniques qu'elle mobilise (une compagnie aérienne, un aéroport, un pilote correctement formé, une compagnie pétrolière livrant du kérosène etc.).

Heureusement, Didier Sicard (président du Comité consultatif national d'éthique) va un peu plus loin dans sa réflexion intitulée "Qu'est-ce que l'autorité scientifique ?". En commençant par une remarque qui pourrait servir de définition : une "autorité" est écoutée avant de parler, il argue que l'autorité scientifique en perte de vitesse s'est transférée vers l'expert, celui qui produit non pas de la connaissance mais rationalise des connaissances à  partir de morceaux de connaissance. Je ne saurais juger cette théorie mais il donne quatre facteurs pour expliquer cette perte de vitesse, qui sont autant de critères indispensables à  l'autorité scientifique :

  • à  l'aune d'une spécialisation croissante, le scientifique peut difficilement réclamer une autorité grandissante : plus la République est petite, plus l'autorité peut devenir ubuesque ;
  • l'autorité soufre de l'accélération du temps, de l'obsolescence rapide : une autorité sans mémoire est un général sans armée ;
  • l'autorité n'est pas celle d'un vieux gardien de phare, qui prévient de l'existence des récifs, elle est celle d'un Guide dans une zone à  risque sur lequel repose la confiance, nourrie du feu des expériences. Elle est beaucoup plus liée à  un présent et un devenir qu'à  un passé. Le vrai guide n'est pas celui qui a une expérience qui le rend sûr de lui, mais c'est celui qui, dans un univers nouveau, a le plus de capacité à  entrecroiser les informations. Voilà  pourquoi il ne faut pas sacraliser les gloires passées comme Allègre ou Watson... ;
  • la science et le chercheur soufrent d'un discrédit, se disqualifiant notamment d'eux-mêmes par leurs certitudes qui se substituent à  un questionnement ouvert. Or toute autorité n'existe uniquement parce que l'opinion le veut bien (Emile Durkheim).[2]

La question est complexe, et j'avais effectivement tort de la balayer si rapidement !

Notes

[1] Le livre Tout ce que vous devriez savoir sur la science, de Collins et Pinch (Le Seuil, coll. "Points sciences", 2001), regorge d'histoires où les observations ne cadraient pas aussi bien avec la théorie qu'on a pu nous le dire, de Louis Pasteur réfutant la thèse de la génération spontanée à  Arthur Eddington vérifiant la relativité d'Einstein.

[2] Je nuancerai quand même le constat de Sicard puisque selon Joà«lle Le Marec, depuis plus de 20 ans, plus de 70% du public interrogé dans les enquêtes d'opinion régulière estime qu'il est souhaitable que la part de l'Etat consacrée à  la recherche augmente. Ce qui change, c'est l'érosion du sentiment que les retombées de la recherche apportent du bien. Les enquêtés distinguent l'activité de recherche scientifique et les retombées de cette activité de recherche sur la société. Ils soutiennent la première mais c'est un désir de contrôle accru des secondes qui est exprimé.

Partage

Colloque CNRS "Sciences et société en mutation" : compte-rendu (1)

Voici un debrefiefing rapide du colloque (programme) qui se tenait hier au siège du CNRS, à  Paris, et que j'avais annoncé il y a plusieurs mois déjà . Toutes les interventions ont été filmées et sont visibles en ligne.

Participation

500 personnes s'étaient inscrites, malgré une publicité minime, avec 48 % de femmes (contre 42,5% au CNRS, soit une sur-représentation des femmes !), 20% de personnel non-CNRS et 29% de spectateurs venues des régions. Trois attentes ont été exprimées majoritairement par le public, lors de l'inscription :

  • qu'est-ce que la communication : raison, méthodes, posture etc. ;
  • besoin de comprendre quels sont les mécanismes à  l'œuvre dans les connexions entre science et société (appel aux sciences humaines, et en particulier à  la sociologie des sciences !) ;
  • comment modifier les politiques de recherche en général pour intégrer l'éthique et les préoccupations de la société.

Introduction par la présidente du CNRS, C. Bréchignac

Introduction très moyenne, pleine de lieux communs : aux scientifiques la rationalité, au grand public l'émotion et la peur. Le but du colloque pour Bréchignac : apprendre à  faire passer les messages dans la société. De dialogue, point. On est mal parti !!

"Une prospective de la société de la connaissance"

Heureusement, Paraskevas Caracostas (conseiller à  la DG Recherche de la Commission européenne) cadre le débat et détruit ces préjugés. Oui, il faut sortir du modèle de l'instruction publique. Non, l'autre solution n'est pas celle d'une recherche menée par les associations et ONG. Entre les deux extrêmes se déploie une palette d'interactions, et une multi-modalité des recherches, où la science n'est pas neutre, pure et désintéressée. De fait, la Commission européenne est passée d'un programme "Science et société" dans le 6e PCRD à  un programme "Science en société" dans le 7e PCRD. Et Caracostas de citer Dominique Pestre à  propos des nouveaux modes de production des savoirs, comprenant la question des modèles d'innovation ouverte et la critique des droits de propriété intellectuelle. Une excellente intervention !

La perception des attentes de la société par les scientifiques

Cette session a un parti pris original, qui sort de l'habituel refrain sur la "perception des scientifiques par le grand public". Il s'agit d'enquêter et d'interroger la perception qu'ont les scientifiques (du CNRS) des attentes de la société. Un film de Joà«lle Le Marec présente 18 entretiens réalisés avec des chercheurs, y compris Baudouin Jurdant.
Pabo Pablo Jensen fait une synthèse des rapports annuels d'activité des laboratoires et chercheurs du CNRS, et présente quelques statistiques : le CNRS organise 7000 actions de vulgarisation par an (conférences, portes ouvertes, interview, accueil de scolaires etc.), mobilisant environ 1/3 des chercheurs. A comparer avec les 3/4 des chercheurs anglais mobilisés dans des actions de vulgarisation, selon un rapport de la Royal Society. 3% des chercheurs vulgarisent très souvent, et sont des "semi-professionnels", représentant 30% des actions ! Les départements "Chimie" et "Vivant" sont les moins actifs et contrairement aux idées reçues, on trouve une corrélation positive entre activité de vulgarisation et promotion CR1 -> DR2 -> DR1 !
Enfin, Daniel Boy présente les résultats d'une enquête menée auprès d'un échantillon de 2075 chercheurs et ingénieurs représentatifs de la population du CNRS. Où l'on s'aperçoit que le désir de rendre service à  la société est la deuxième motivation des chercheurs après la curiosité et que 2/3 des chercheurs se préoccupent de ce que la société pourrait attendre de leurs recherches. 28% des scientifiques pensent qu'il y a une crise entre la société et la science, contre 42% qui pensent qu'il n'y a pas de crise. 56% pensent qu'il y a une crise de vocation des jeunes, particulièrement dans le domaine des sciences de la vie ! 13% des scientifiques pensent que la science ne peut être faite que par des scientifiques et 27% pensent que les expériences de collaboration avec la société civile (associations de malades, etc.) sont intéressantes mais ne changent pas grand chose. Ce qui pourrait convaincre les chercheurs de communiquer encore plus sont d'abord la possibilité de développer des contacts favorables aux recherches, et ensuite d'obtenir des financements !
Je retiens enfin dans le débat l'intervention une chercheuse d'Aix-en-Provence, qui travaille sur la question de l'exclusion et interagit constamment avec politiciens d'une part et associations de la société civile d'autre part, pour qui valorisation et vulgarisation se confondent et, au-delà  de cette transmission, le vrai enjeu est celui de la co-construction : ses propres travaux s'inscrivent dans des préoccupations de société et se définissent avec la participation directe du "tiers-secteur".

Partage

De la co-construction des savoirs

Après avoir montré que le public doit se rapprocher de la science, il est temps de faire appel à  la sociologie pour comprendre ce que l'on entend par là . Et mettre fin à  certaines idées reçues.

Comme le montre très bien Michel Callon dans son article "Des différentes formes de démocratie technique" (Annales des mines n° 9, pp. 63-73, 1998), il existe trois manières pour la science de traiter le grand public. Dans le premier modèle, dit "de l'instruction publique" ou "deficit model", le public est spectateur et il faut l'éduquer à  tout prix ; "non seulement les scientifiques doivent tout apprendre au public, mais de plus ils ne peuvent rien apprendre de lui". Tant que le niveau moyen d'éducation scientifique est faible, les profanes ne peuvent se mêler de débats techno-scientifiques et les experts et scientifiques s'en chargent à  leur place. Le modèle ainsi formulé paraît grossier mais il est implicite dans de nombreux discours et actes. C'est ainsi que les responsables d'une centrale nucléaire vont informer les riverains pour faire disparaître les émotions et les croyances et faire tendre le risque subjectif de la population vers le risque objectif calculé par les scientifiques. Ou encore, pour interpréter les sondages (Eurobaromètres ou autres) sur le rejet des OGM ou la méfiance vis-à -vis des ondes électromagnétiques, les experts n'ont qu'une explication : les citoyens manquent simplement d'information et de connaissances. Le verdict tombe... et voilà  notre modèle de l'instruction publique ! Sauf que cette conception a été mise à  mal :

Il existe certes une corrélation entre le degré de méfiance envers la science, et la catégorie socioprofessionnelle, et cette corrélation a peut-être contribué à  renforcer le cadre d'interprétation issu du "deficit model", selon lequel ce sont les représentants des catégories les moins diplômées qui sont nécessairement les plus méfiants à  l'égard du développement scientifiques et techniques. Mais Daniel Boy (1999) a souligné l'évolution très significative de cette corrélation : actuellement, les plus diplômés partagent avec les autres une méfiance vis-à -vis des retombées du développement scientifique et technique, ce qui met en cause le stéréotype de la relation de causalité entre la méfiance (associée aux fameuses peurs irrationnelles) et le degré d'ignorance.[1]

Alors,

dans ce modèle, la légitimité des décisions politiques a deux sources. La première concerne les fins poursuivies et ne dépend que de la représentativité de ceux qui parlent au nom des citoyens. La seconde touche aux moyens mobilisés pour atteindre ces fins et est conférée par la connaissance scientifique, objective et universelle, qui permet d'anticiper les effets produits par certaines actions.

Ce modèle a récemment trouvé ses limites dans l'arène publique, d'où le deuxième modèle dit "du débat public", "obtenu par déformation et extension du précédent". Le savoir scientifique y a toujours une valeur universelle mais il est trop réduit, voire irréaliste ; il se complète donc de savoirs locaux, plus complexes et changeants. On reconnaît aussi au profane "des capacités d'analyse sociologique", égales à  celles du spécialiste qui se trouve en dehors de son domaine de spécialité ! De nombreuses procédures ont donc été mises au point pour faire intervenir les porteurs de savoirs locaux, qui sont désormais "des publics différenciés, ayant des compétences et des points de vue particuliers et contrastés" : enquêtes, auditions publiques, focus groups, conférences de citoyens etc.

Ces procédures qui instaurent des espaces publics de débat contribuent à  brouille les frontières habituelles entre spécialistes et non spécialistes. Celles-ci cèdent devant la mutiplication des divisions qui parcourent en tous sens la communauté des scientifiques et le public. L'accord s'obtient par compromis et ceux-ci résultent le plus souvent de jeux stratégiques compliqués: dans ce modèle, la lumière ne vient pas d'une science rayonnante et sûre d'elle-même ; elle naît de la confrontation des points de vue, de savoirs et de jugements, qui, séparés et distincts les uns des autres, s'enrichissent mutuellement. Les acteurs au lieu de se voir imposer des comportements et une identité dans lesquels, éventuellement, ils ne se reconnaissent pas, sont en position de les négocier.

Mais ce modèle pose la question de la représentativité. D'où l'intérêt du troisième modèle, dit de "co-production des savoirs" (qui est mon préféré à  long terme, comme l'indique le titre de ce billet). Dans celui-ci, les chercheurs et experts doivent dépasser leur crainte de voir le grand public envahir les espaces qui leur étaient réservés ; alors, l'expertise scientifique ne sollicite plus seulement la voix du public lors d'épisodes de débats mais l'intègre dès "l'élaboration des connaissances les concernant".

Dans ce modèle, la dynamique des connaissances est le résultat d'une tension toujours renouvelée entre la production de savoirs à  portée générale, standardisée et la production de connaissances tenant compte de la complexité des situations locales singulières. Ces deux formes de connaissances ne sont pas radicalement incompatibles, comme dans le modèle 1 ; elles ne sont pas engendrées indépendamment les unes des autres comme dans le modèle 2 ; elles sont les sous-produits conjoints d'un même et unique processus dans lequel les différents acteurs, spécialistes et non-spécialistes, se coordonnent étroitement [et ne sont plus dans un rapport de confiance ou méfiance].

On touche alors aux savoirs décrits par Christophe Bonneuil, émergeant "de tous les pores de la société plutôt que des seules institutions spécialisées - centres de recherche publics ou privés, bureaux des méthodes, comités d’experts, etc. -" (cf. mon exemple du récent prix Nobel de médecine). Et à  la notion de public indifférencié ou différencié se substitue celle de groupes concernés (associations de malades, acteurs locaux comme dans le cas des vignes transgéniques dans la région de Colmar etc.). Notons que du même coup, la question de la vulgarisation se pose tout à  fait autrement : elle n'existe plus en tant que telle puisque chaque interaction entre chercheur et citoyen devient prétexte à  échanger des savoirs, comprendre les méthodes de l'autre etc. Mais la vigilance doit alors s'imposer pour que les idéaux et le bien commun de la société ne soient pas confisqués par les intérêts particuliers de quelques groupes (problème que l'on retrouve plus largement en sociologie et politique).

Enfin, je renvoie les lecteurs curieux à  la page de mon wiki qui traite précisément de ce thème.

Notes

[1] Joà«lle Le Marec, "Le public dans l'enquête, au musée, et face à  la recherche" dans La publicisation de la science, Presses universitaires de Grenoble, 2005, p.87. Notons que le Daniel Boy en question sait très bien de quoi il parle puisqu'il décortique en profondeur et depuis des années les sondages d'opinion européens, notamment sur les biotechnologies...

Partage

page 2 de 2 -